Revenir aux régimes alimentaires ancestraux pour soulager les maux modernes

17 septembre 2014 16:07 Mis à jour: 29 octobre 2017 16:15

HONG KONG – La recrudescence sans précédent de maladies chroniques non contagieuses pousse les professionnels de la santé et les activistes autochtones à insister sur la nécessité de revenir aux habitudes alimentaires de leurs ancêtres pour regagner des nutriments perdus. Une telle démarche contribuerait en outre à améliorer le rapport de la société à notre planète et favoriserait autant la santé humaine qu’environnementale.

«L’essor du modèle agricole industriel a largement contribué à déconnecter les gens des aliments qui se trouvent dans leur assiette», déplore Sarah Somian, une nutritionniste installée à Nice, en France.

Un grand nombre d’aliments traditionnels non transformés, comme le millet ou le caribou, que consomment les communautés rurales sont riches en nutriments, contiennent de bons acides gras ainsi que des micronutriments et possèdent des vertus purifiantes largement absentes des régimes alimentaires en vogue dans les pays à revenus intermédiaires ou supérieurs, disent les nutritionnistes.

Les régimes alimentaires autochtones du monde entier – qu’il s’agisse d’aliments d’origine forestière de type racine ou tubercule dans l’est de l’Inde ou de poissons d’eau froide, de caribous et de phoques dans le nord du Canada – sont diversifiés, adaptés à l’environnement local et capables de prévenir la malnutrition et la maladie, révèlent les experts.

«De nombreux peuples tribaux et autochtones suivent un régime alimentaire complexe et autosuffisant, délivrant une alimentation très diversifiée et équilibrée d’un point de vue nutritionnel», affirme Jo Woodman, chercheur en chef et activiste auprès de Survival International, une organisation de défense des peuples autochtones établie au Royaume-Uni.

Toutefois, la perturbation des modes de vie traditionnels causée par la dégradation de l’environnement, couplée à l’introduction d’aliments transformés, de graisses, d’huiles raffinées et de glucides simples contribuent à l’aggravation de l’état de santé des populations autochtones et au déclin de la production d’aliments riches en nutriments qui pourraient bénéficier à toutes les communautés.

«Les systèmes alimentaires traditionnels doivent être documentés de façon à ce que les décideurs politiques mesurent les conséquences de la destruction d’un écosystème, pas simplement pour les populations autochtones, mais pour tout un chacun», fait observer à IRIN Harriet Kuhnlein, fondatrice dirigeante du Centre d’étude sur la nutrition et l’environnement des peuples autochtones (Centre of Indigenous People’s Nutrition and Environment, CINE) de l’université McGill de Montréal.

Régimes alimentaires en voie de disparition

Depuis le début des années 1960, la consommation d’aliments d’origine animale – notamment la viande, les œufs et les produits laitiers – s’est multipliée avec la croissance économique, l’urbanisation et l’accroissement de la population mondiale à plus de 7 milliards de personnes. Ces aliments ont représenté 13 % de l’apport énergétique alimentaire mondial en 2013, selon l’Institut de recherche sur l’élevage (International Livestock Research Institute, ILRI) basé à Nairobi, au Kenya. Les animaux d’élevage consomment jusqu’à un tiers des céréales à l’échelle de la planète, observe l’ILRI.

L’expansion des terres agricoles – notamment pour cultiver plus de céréales – est responsable de 80 % de la déforestation dans le monde, rapporte le Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE).

Il est prévu que la population mondiale atteigne les 9 milliards d’ici 2050 : il faudra alors produire 50 % d’aliments de plus pour nourrir la planète, selon que l’on est en présence d’un écosystème sain ou non. «Lorsqu’un environnement est pollué ou détruit, la nourriture qu’il délivre s’en trouve altérée», précise Mme Kuhnlein.

Les «systèmes» alimentaires autochtones – consistant à récolter et à préparer la nourriture en optimisant les nutriments que peut fournir un environnement – sont diversifiés et englobent notamment les Guyakis, des chasseurs-cueilleurs nomades du Paraguay oriental; les Massaïs, des éleveurs nomades du nord du Kenya; les Inuits, des groupes de pêcheurs grégaires du nord du Canada; les Kondhs, des agriculteurs-cultivateurs de millet d’Inde orientale et les Samis de Scandinavie.

Cependant, ces groupes partagent une caractéristique commune : une connaissance approfondie de la façon de bien s’alimenter sans endommager l’écosystème. «Les systèmes alimentaires des peuples autochtones recèlent des trésors de connaissances hérités de cultures ancestrales et de modes d’existence en harmonie avec les écosystèmes locaux», a révélé une étude sur les systèmes alimentaires, la nutrition et la santé autochtones financée par l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et coécrite par Mme Kuhnlein en 2009.

Aliments riches en nutriments

Ces dernières années, les céréales telles que le quinoa, le fonio et le millet – traditionnellement cultivées par les communautés rurales et autochtones des pays en développement, dont les générations plus jeunes et plus aisées se détournent de plus en plus au profit d’aliments importés – ont en revanche gagné en popularité dans les pays développés.

La recherche, le marketing et le financement de bailleurs de fonds ont aidé à faire connaître la capacité de ces céréales à haute teneur en protéines à réduire le cholestérol, à apporter des micronutriments et à diminuer les risques de diabète.

«Au vu des nombreux bienfaits pour la santé de ces aliments oubliés ou inconnus jusqu’à [récemment], il est essentiel de faire valoir la sagesse des cultures autochtones [et] des générations antérieures pour réduire la maladie et l’inflammation», ajoute Mme Somian, la nutritionniste.

Les Kondhs de l’État d’Odisha, dans l’est de l’Inde, cultivent traditionnellement jusqu’à 16 variétés de millet, rapporte Debjeet Sarangi, le directeur de Living Farms, une ONG locale qui travaille auprès de fermiers autochtones marginalisés depuis 2005.

Cependant, la superficie que les Kondhs – environ 100 000 personnes réparties en 15 000 villages – consacrent à la culture de millet a chuté de près de 63 %, passant de 500 000 hectares en 1975 à légèrement plus 200 000 hectares en 2008. Ces terres ont été transformées en rizières dans le cadre de programmes subventionnés par le gouvernement proposant un riz d’un blanc impeccable, en dépit des risques pour la santé que comporte le riz blanc raffiné.

«Pourquoi remplacer des terres qui produisaient des aliments nutritifs [par des rizières] dans une région où la malnutrition est si fréquente?», s’interroge M. Sarangi, dont l’ONG a dévoilé en 2011 que 75 % des enfants kondhs âgés de moins de cinq ans souffraient d’amaigrissement (poids trop faible par rapport à leur âge) et que 55 % présentaient un retard de croissance (trop petits par rapport à leur tranche de taille) – un signe de malnutrition chronique.

Le millet (Domaine public)

Disparition des «super aliments»

La spiruline, scientifiquement connue sous le nom d’Arthrospira platensis, est un autre «super aliment» dont la popularité est en berne. Il s’agit d’un type de cyanobactérie poussant dans les étangs, servant de denrée de base dans de nombreux systèmes traditionnels, notamment chez les Kanembous du nord-ouest du Tchad.

Des études médicales ont révélé que la spiruline avait le potentiel de renforcer l’immunité, de réduire l’inflammation, d’atténuer les réactions allergiques et qu’elle constituait une source saine de protéines, rapporte le Langone Medical Center de l’université de New York, aux États-Unis.

«Il est profondément ironique de voir que de nombreux diététiciens prônent les [régimes alimentaires et les aliments traditionnels et autochtones] et que ce soit [le] régime alimentaire [occidental] qui s’impose chez les peuples tribaux du monde entier, avec des résultats désastreux», déplore Mme Woodman de Survival International.

Des choix peu judicieux

«Nous avons perdu le rapport originel au monde qui nous entoure», admet Dr Martin Reinhardt, citoyen ojibwé – de la tribu chippewa de Sault-Sainte-Marie, un peuple amérindien du Michigan, aux États-Unis – et professeur adjoint d’études amérindiennes à l’université de Northern Michigan (NMU).

Historiquement, les ancêtres des Amérindiens créaient les systèmes alimentaires en les planifiant pour les sept générations à venir, en enseignant à chaque génération qu’il était de sa responsabilité d’assurer la survie de la septième, précise Dr Reinhardt. Pour ce faire, ils chassaient et cueillaient uniquement ce dont ils avaient besoin, en économisant les ressources comme le bois et l’eau, et en protégeant la biodiversité des aliments.

Toutefois, lorsque les Amérindiens furent contraints de s’assimiler, l’accès historique à ces connaissances nutritionnelles fut perdu, poursuit Dr Reinhardt. Selon le Special Diabetes Program for Indians (SDBI, un programme anti-diabète adressé aux Amérindiens) conduit par l’Indien Health Service (IHS, le système de santé amérindien du gouvernement fédéral américain), les 566 peuples autochtones répertoriés aux États-Unis présentent à l’heure actuelle un taux de diabète neuf fois supérieur à la moyenne nationale.

De la même façon, le taux de diabète chez les Premières Nations et les Inuits du Canada est cinq fois supérieur à la moyenne nationale, selon le ministère de la Santé canadien.

Au Laos, les minorités des hautes terres du Nord telles que les Yawas, les Htins et les Khmus se nourrissent traditionnellement d’aliments d’origine forestière, notamment de cochons sauvages, d’oiseaux, de pousses de bambou, de fleurs de bananier et de patates douces riches en vitamine C. Toutefois, ces dernières décennies, le gouvernement laotien a organisé le déplacement de milliers de personnes des hautes terres vers les villes pour des raisons économiques, expose un rapport du Fonds international de développement agricole (FIDA) datant de 2012.

«Les communautés ont [moins] accès aux ressources naturelles qu’auparavant», souligne Jim Chamberlain, anthropologue et ancien consultant auprès de la Banque mondiale basé dans la capitale, Vientiane. Il a expliqué que le régime alimentaire traditionnel de ces communautés reposait sur la forêt, et que le déplacement avait entraîné une détérioration de leur statut nutritionnel. Le taux de malnutrition chez les enfants laotiens de moins de cinq ans est l’un des plus élevés d’Asie du Sud-Est.

Trouver un équilibre

Tandis que le rétablissement des systèmes alimentaires traditionnels est fondamental pour la santé de tout un chacun, ainsi que pour l’environnement, l’absence d’un marché pour ces «super aliments» représente un vrai défi, déclarent les défenseurs de cette cause.

Dans le nord du Canada, bon nombre des poissons riches en oméga 3 – un aliment de base des régimes alimentaires traditionnels des tribus arctiques – évoluent dans des eaux toujours plus infestées de mercure, selon le gouvernement canadien.

La déforestation mondiale, bien souvent pour laisser place à une production agricole à grande échelle, se fait au détriment des nutriments qui peuvent être tirés de ces forêts.

La destruction environnementale est en grande partie attribuable au détachement de la société moderne vis-à-vis de ses systèmes alimentaires, ajoute Dr Reinhardt, qui a coordonné entre 2010 et 2012 un projet de l’UNM baptisé Decolonize Your Diet (Décolonisez votre régime alimentaire) dont l’objectif était d’apprendre aux gens à faire le lien entre nourriture, culture, santé et environnement.

«Les êtres humains peuvent, et doivent, se reconnecter avec la nature de façon si intime que leur survie en dépende», a-t-il dit. «J’espère que nous n’avons pas dépassé le seuil [de ce que la planète peut tolérer].»

Source : IRIN News

Le point de vue dans cet article est celui de son auteur et ne reflète pas nécessairement celui d’Epoch Times.

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