Risquant l’ire de Pékin, le Zimbabwe, riche en minerais, souhaite des échanges commerciaux avec les États-Unis

Selon les experts, l'amélioration des relations entre Harare et Washington pourrait compromettre les investissements importants menés par la Chine au Zimbabwe

Par Darren Taylor
4 mai 2025 19:45 Mis à jour: 6 mai 2025 03:33

JOHANNESBURG – Le Zimbabwe, dont l’économie est en difficulté et dont les taux d’inflation, de pauvreté et de chômage sont élevés, est devenu le premier pays à renoncer aux droits de douane sur les importations américaines.

La décision du président zimbabwéen Emmerson Mnangagwa, qui fait l’objet de lourdes sanctions du gouvernement américain depuis plus de vingt ans en tant que membre clé du régime ZANU-PF favorable à la Chine, est intervenue trois jours après que le président Trump a imposé des droits de douane de 18 % sur les marchandises du pays d’Afrique australe entrant sur le territoire des États-Unis.

Emmerson Mnangagwa, un ancien guérillero qui a reçu une formation militaire en Chine dans les années 1960, n’a pas lancé ses habituelles fanfaronnades anti-américaines, ses insultes et ses accusations de néocolonialisme et d’impérialisme.

Au lieu de cela, le 5 avril, il a utilisé la plateforme de médias sociaux X pour publier un message « très favorable à l’Amérique », comme l’a décrit Susan Booysen, analyste politique à l’université Nelson Mandela d’Afrique du Sud.

M. Mnangagwa, qui a pris le pouvoir à Robert Mugabe par un coup d’État en 2017, a déclaré que les tarifs douaniers réciproques de M. Trump avaient du « mérite », en particulier « en tant qu’outil de sauvegarde de l’emploi national et des secteurs industriels ».

Il a ajouté que sa suspension de tous les prélèvements sur les marchandises américaines était « dans l’esprit de construire une relation mutuellement bénéfique et positive avec les États-Unis d’Amérique, sous la direction du président Trump ».

Les statistiques du bureau du représentant américain au commerce montrent que le commerce entre la première économie mondiale et le Zimbabwe, classé 17économie africaine sur 54 pays par la Banque mondiale, reste minime.

En 2024, les États-Unis ont exporté pour près de 44 millions de dollars de marchandises, principalement des machines agricoles, vers le Zimbabwe, tout en important pour près de 68 millions de dollars de ferro-alliages, de tabac et de sucre.

M. Mnangagwa a expliqué que sa mesure tarifaire visait à faciliter l’expansion des importations américaines tout en favorisant la croissance des exportations zimbabwéennes.

« Cette action souligne notre engagement en faveur d’un cadre de commerce équitable et d’une coopération bilatérale renforcée », a-t-il écrit dans un message X du 5 avril.

Le président du Zimbabwe et président de la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC), Emmerson Mnangagwa, s’exprime lors du sommet régional extraordinaire entre les chefs d’État de la SADC et de la Communauté de l’Afrique de l’Est (EAC) au State House à Dar es Salaam, le 8 février 2025 (ERICKY BONIPHACE/AFP via Getty Images).

Le parti ZANU-PF de M. Mnangagwa gouverne le Zimbabwe sans interruption depuis que le pays a obtenu son indépendance de la Grande-Bretagne en 1980, principalement parce qu’il a truqué les élections, selon les Nations unies et d’autres observateurs.

La Banque mondiale a classé le Zimbabwe parmi les pays les plus pauvres, car l’élite politique et économique serait de connivence pour profiter presque exclusivement de ses vastes ressources naturelles, notamment l’or, le platine, les diamants, le charbon et les minéraux essentiels tels que le chrome, le nickel et le lithium, qui deviennent de plus en plus importants pour l’avenir de la planète.

Donald Trump a exempté l’or et certains minéraux critiques des droits de douane, car son administration les considère comme essentiels au progrès et à la sécurité nationale des États-Unis. Ils sont utilisés pour fabriquer un large éventail de produits, notamment des téléphones portables, des ordinateurs, des batteries de véhicules électriques et des armes telles que des missiles et des avions de chasse.

La Chine détient un quasi-monopole sur les minéraux et métaux de terres rares, en grande partie grâce à sa position dominante dans les industries extractives africaines, y compris celles du Zimbabwe.

Les paroles aimables de M. Mnangagwa à la suite de l’annonce de M. Trump le 2 avril étaient très éloignées de ses appels réguliers à la chute du dollar américain et à l’érosion de l’Occident « hégémonique » aux mains d’un « nouvel ordre mondial » dirigé par Pékin et Moscou, un autre allié proche de Harare.

Toutefois, certains experts financiers avertissent que la suppression par M. Mnangagwa des droits de douane sur les produits américains pourrait nuire davantage à l’économie du Zimbabwe et contrarier ses deux principaux partenaires commerciaux, la Chine et l’Afrique du Sud, qui ont tous deux investi massivement dans le pays africain.

Le pays dépend fortement de l’Afrique du Sud voisine pour la plupart de ses produits, y compris les denrées alimentaires, son économie s’étant effondrée au début des années 2000 à la suite de violences politiques et de la saisie par M. Mugabe de fermes appartenant à des Blancs.

« Il est peu probable que les États-Unis remplacent l’Afrique du Sud en tant que principal partenaire commercial du Zimbabwe », a déclaré à Epoch Times Mohamad Razak, économiste à l’université sud-africaine de KwaZulu-Natal, ajoutant que l’Afrique du Sud ne serait pas ravie que M. Mnangagwa mette un terme aux droits de douane sur les importations américaines.

« Le Zimbabwe taxe un grand nombre de produits importés d’Afrique du Sud, et Pretoria s’attend donc à ce qu’il mette fin à ces taxes et lui accorde également un accès sans droits de douane à son marché. »

M. Razak a déclaré que les partenaires économiques du Zimbabwe en Afrique australe, notamment le Botswana, l’Angola et la Zambie, seraient également « assez déçus » de l’approche « unilatérale » de M. Mnangagwa.

« On a le sentiment que la SADC (Southern African Development Community : Communauté de développement de l’Afrique australe) aurait dû décider d’une réponse commune aux droits de douane, afin que les intérêts de tous les pays soient protégés », a-t-il souligné.

En réponse, le porte-parole du gouvernement zimbabwéen, Nick Mangwana, a déclaré à Epoch Times que les dirigeants du pays avaient le droit, en tant qu’administration élue, de prendre des décisions dans « l’intérêt supérieur » de ses citoyens.

M. Razak a indiqué que Pékin, en particulier, se sentirait « menacé » si Harare s’acoquinait avec les États-Unis.

Un broyeur installé dans la mine de lithium Arcadia, le 11 janvier 2022 à Goromonzi, au Zimbabwe. (Tafadzwa Ufumeli/Getty Images)

La Chine a injecté des milliards de dollars dans l’industrie extractive du Zimbabwe ces dernières années et possède 90 % des mines du pays, selon une étude réalisée en septembre 2024 par le Centre pour la gouvernance des ressources naturelles, basé à Harare.

L’ambassadeur de Pékin à Harare, Zhou Ding, n’a pas répondu aux demandes de commentaires.

Selon l’économiste indépendant zimbabwéen Tapiwa Mupandawana, l’or a été jusqu’à présent le principal centre d’intérêt de Pékin.

Le Zimbabwe est le 25producteur mondial d’or, avec une production de près de 36,5 tonnes en 2024, selon The Herald, un quotidien d’État.

Mais dernièrement, a expliqué M. Mupandawana à Epoch Times, les Chinois se sont tournés vers le lithium, que les géoscientifiques décrivent comme l’un des minerais critiques les plus importants.

Le lithium est essentiel à la fabrication des micropuces, des ordinateurs portables, des écrans d’affichage à haute résolution et des batteries.

« Ces technologies constituent l’épine dorsale d’Internet, des technologies sans fil et de l’IoT (Internet des objets) qui soutiennent l’infrastructure d’aujourd’hui et alimentent également le passage à l’industrie 4.0. L’énergie verte et les technologies de stockage de l’énergie comme l’éolien, le solaire et les batteries de véhicules électriques dépendent également de manière critique » d’un petit groupe de minéraux, dont le lithium, selon Analytichem, une société internationale d’analyse des minéraux.

Selon M. Mupandawana, les mines de lithium construites par les Chinois sont désormais répandues dans tout le Zimbabwe, « et d’autres apparaissent sans cesse ».

Harare affirme que ses experts ont découvert le plus grand gisement de lithium connu au monde, soit plus de 11 millions de tonnes, qui pourrait fournir au moins 20 % du lithium mondial une fois que toutes les ressources seront pleinement exploitées.

« Je peux penser à des choses moins importantes que cela pour encourager les Américains à se réconcilier avec le Zimbabwe », a affirmé Mme Booysen.

Elle est convaincue que l’accès à l’or et aux minerais essentiels pourrait constituer la base de meilleures relations entre Harare et Washington.

« Je pense que le gouvernement Mnangagwa considère les tarifs douaniers et la nature mercantile de M. Trump comme une porte d’entrée pour cela », a déclaré Mme Booysen à Epoch Times.

L’obtention de droits d’exploitation minière et de ressources au Zimbabwe n’est « qu’une pièce du puzzle » qui pourrait permettre aux États-Unis de briser la mainmise de la Chine sur les minéraux des terres rares, tout en renforçant l’économie et la sécurité nationale des États-Unis, a expliqué M. Razak.

Vue aérienne de la partie centrale de la mine de lithium Arcadia, le 11 janvier 2022 à Goromonzi, au Zimbabwe. (Tafadzwa Ufumeli/Getty Images)

Mais Kim Gundani, analyste commercial à Harare, estime que les sanctions américaines font obstacle à un rapprochement.

Washington maintient des sanctions à l’encontre de personnalités et de collaborateurs du ZANU-PF depuis 2003, date à laquelle il a accusé le gouvernement Mugabe de torturer et de tuer des opposants politiques et d’avoir organisé des élections frauduleuses.

En mars 2024, le président américain de l’époque, Joe Biden, a annoncé une nouvelle série de sanctions visant spécifiquement M. Mnangagwa et dix de ses alliés, dont sa femme et son commandant militaire, pour une série de crimes présumés.

Le bureau de contrôle des avoirs étrangers (OFAC : Office of Foreign Assets Control) du département du Trésor américain a publié une déclaration affirmant que le président du Zimbabwe était impliqué dans des activités de corruption, notamment dans la contrebande d’or et de diamants.

« M. Mnangagwa offre un bouclier protecteur aux contrebandiers pour qu’ils puissent opérer au Zimbabwe et a ordonné à des fonctionnaires zimbabwéens de faciliter la vente d’or et de diamants sur les marchés illicites, en acceptant des pots-de-vin en échange de ses services. M. Mnangagwa supervise également les services de sécurité du Zimbabwe, qui ont violemment réprimé les opposants politiques et les groupes de la société civile », peut-on lire dans la déclaration.

L’OFAC a fait savoir que la première dame du Zimbabwe, Auxillia Mnangagwa, « facilite » les crimes présumés de son mari.

L’OFAC a affirmé qu’Auxillia Mnangagwa « est responsable ou complice, ou s’est engagée directement ou indirectement dans la corruption, y compris le détournement de biens de l’État, l’expropriation de biens privés à des fins d’enrichissement personnel, la corruption liée aux contrats gouvernementaux ou à l’extraction de ressources naturelles, ou les pots-de-vin ».

Les sanctions ont gelé tous les actifs détenus par les Mnangagwa et leurs associés aux États-Unis et ont interdit aux institutions financières et aux citoyens américains de faire des affaires avec les personnes et les entreprises sanctionnées.

Le gouvernement zimbabwéen avait alors qualifié les mesures prises par Washington d’« inhumaines » et d’« illégales ».

Selon Mme Booysen, l’administration Trump semble « beaucoup plus ouverte à la fin du gel » entre Washington et Harare.

« M. Mnangagwa souhaite clairement que M. Trump abandonne les sanctions, tout comme il a abandonné les droits de douane sur les importations américaines, en brandissant la possibilité d’accéder aux ressources zimbabwéennes comme une carotte », a-t-elle expliqué.

Le Bureau des Affaires africaines du département d’État américain a publié une déclaration sur les relations américano-zimbabwéennes le 23 janvier, trois jours après le retour de M. Trump dans le Bureau ovale.

Il a critiqué le gouvernement Mnangagwa pour avoir continué à « utiliser la violence contre les manifestants pacifiques et la société civile, ainsi que contre les dirigeants syndicaux et les membres de l’opposition politique ».

Le Bureau a souligné que Harare n’a guère progressé dans la mise en œuvre des vastes réformes nécessaires à la stabilité politique et économique.

Selon la déclaration, le soutien américain au peuple zimbabwéen implique de « demander des comptes aux Zimbabwéens qui utilisent les ressources publiques à des fins privées et qui refusent à leurs concitoyens les libertés fondamentales ».

Parallèlement, le bureau a affirmé que les États-Unis « se félicitent de l’opportunité d’accroître le commerce et les investissements bilatéraux avec le Zimbabwe, ce qui profitera aux entreprises américaines et zimbabwéennes ».

Une femme marche au sommet d’une colline formée par les résidus des anciennes activités minières, le 2 décembre 2020 à Bindura, au Zimbabwe. (Tafadzwa Ufumeli/Getty Images)

D’après Mme Booysen, les administrations précédentes à Washington n’auraient « jamais ouvert la porte » au Zimbabwe à ce point.

« Il n’est donc pas impossible qu’un jour prochain, les États-Unis aient une participation importante dans le secteur minier du Zimbabwe, si certaines choses se produisent, et l’une d’entre elles serait la levée des sanctions contre M. Mnangagwa et ses associés. »

« Les Chinois seront en colère si les États-Unis entrent dans ce qu’ils considèrent comme le marché [de Pékin], mais le régime [du dirigeant chinois Xi Jinping] est lui-même mercenaire, il ne devrait donc pas beaucoup se plaindre si cela se produisait. »

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