Taxi Sofia - la déconfiture bulgare

Taxi Sofia @Selma Linski
Un beau matin, un chauffeur de taxi, qui n’est pas vraiment un chauffeur de taxi mais un petit entrepreneur menacé par les huissiers, amène sa fille à l’école avant de rencontrer le banquier corrompu qui doit lui prêter de l’argent.
Alors qu’il dépose sa fille au lycée, une lycéenne monte dans le taxi pour – soi disant – rendre visite à sa grand-mère malade. Mais notre élève va en réalité « travailler », elle se prostitue.
Le spectateur comprend alors qu’il y a vraiment « quelque chose de pourri dans le royaume bulgare ».
Mais notre chauffeur, qui n’est pas vraiment un chauffeur, a des principes. Cela on l’a déjà compris car les huissiers l’attaquent parce qu’il a porté plainte contre la corruption de son banquier qui voulait un pot de vin pour lui accorder un prêt.
Notre chauffeur donc, ayant découvert le plan de la jeune fille, décide de la ramener contre son gré à l’école, ce qui ne va pas sans provoquer une violente réaction qui se traduit en un lancer de bordée d’injures en pleine tête.
Après l’avoir déposé tant bien que mal, il va rencontrer son banquier qui lui promet de le ruiner, lui et sa famille s’il n’a pas son bakchich. Désespéré, dans un pays où c’est la loi du plus fort qui triomphe, le chauffeur prend son arme, tire sur le banquier, puis tente de se suicider. Mais la balle glisse et il se retrouve à l’hôpital en situation de mort clinique.
Notre chauffeur devient alors le symbole même de la Bulgarie. Son cœur sera transplanté dans le corps d’un pauvre menuiser sans foi. Certainement, une référence au « sacré cœur » qui renvoie au à l’Amour infini de dieu qui brûle dans le cœur de Jésus pour le salut de l’humanité, dans un pays autrefois très catholique. Cette idée est d’autant plus forte que le chauffeur de taxi qui amène le receveur du cœur à l’hôpital, n’est autre que le prêtre de la région.
Notre héros, toujours dans le coma, est au cœur d’un débat national, il fait le « buzz » d’une émission de radio dans laquelle le public est invité à s’exprimer.
Et la radio, bien-sûr, on l’entend dans les taxis qui circulent dans la capitale bulgare, conduits par des chauffeurs pas vraiment chauffeurs, la nuit. Un professeur d’école, un prêtre, un vieillard qui a perdu son fils, une femme qui a raté sa vie à cause d’un haut fonctionnaire corrompu du Parti, etc. Tous, conduisant la nuit, en plus de leur métier diurne, pour survivre dans un pays sans foi ni loi.
Visite panoramique « by night » dans une Bulgarie désespérée, dévasté par la corruption et les séquelles du communisme.
La ville, les personnages, les relations se déploient au sein des taxis et à travers leurs vitres. Chaque histoire se déroule dans un plan séquence qui accentue la misère de ce pays.
Nous découvrons un pays fantôme, vidé d’un tiers de sa population.
Depuis le communisme, les bulgares ont perdu tout espoir dans l’humain, oublié la solidarité et l’empathie. Leur seul moteur est la vengeance et le désespoir dans une course après leur dignité perdue.
Entre des « huis-clos ambulants » et un « Road movie », Taxi Sofia (comme les autres films tournés dans des taxis) fait connaître les « twilight zone » des villes et des sociétés. Si Taxi Sofia peut rappeler de temps en temps After Hours (1985) le film hilarant de Martin Scorsese, qui présente une nuit hallucinante et surréaliste, Taxi Sofia ne prend pas le recul suffisant pour nous permettre de nous identifier aux différents personnages. Le film rappelle également Taxi Téhéran (2015) de Jafar Panahi, – ne serait-ce que par le titre – Taxi Téhéran est un film sur le cinéma autant qu’il est un film militant.
C’est cette lumière qui manque à Stephan Komandarev dans son film – une étincelle qui transcenderait la violence et le désespoir de l’ici et maintenant et qui permettrait à l’humain de surpasser sa condition.
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