Elle a grandi en ville et est allée à l’université. Pourtant, l’été dernier, Lindsey Anson, âgée de 33 ans, a passé sa sixième saison à manier le lasso et à conduire du bétail comme cowgirl dans un ranch isolé du Wyoming.
Dans les collines ondoyantes de cet État de l’Ouest américain, l’époque des cowboys n’a jamais vraiment disparu. Au Pitchfork Ranch, situé en amont de la vallée de Meeteetse, on élève, on marque et on conduit du bétail depuis 1878. Une tradition que Lindsey et son mari, Ben, perpétuent aujourd’hui avec fierté.
Tous deux ont rejoint le ranch après l’obtention de leur diplôme universitaire et une première expérience comme cowboys dans d’autres exploitations. « Au bout de quatre ans, Ben a été promu directeur du ranch », raconte Lindsey Anson à Epoch Times. Le couple s’y est marié et dirige désormais ensemble les opérations, dans la continuité d’un héritage datant de près d’un siècle et demi.
Si Ben a grandi au contact du bétail dans la campagne du Wyoming, Lindsey est issue d’un tout autre univers. Élevée à Bellingham, dans l’État de Washington, elle confie : « J’ai grandi en ville. En classe de quatrième, mes parents m’ont proposé d’acheter mon premier cheval — et tout a basculé à partir de là. »
Lindsey Anson au ranch. (Mckenzy Ellisen)
Un cow-boy au ranch Pitchfork. (Mckenzy Ellisen)
Apprendre un métier
Elle a cependant vite appris. « Les vieux cowboys n’aiment pas trop quand on leur pose trop de questions dans la même journée », sourit-elle. « Alors il faut choisir avec soin ce qu’on veut apprendre ce jour-là. »
Avant de rejoindre le Pitchfork Ranch, Lindsey Anson avait déjà fait ses armes lors de stages dans d’autres exploitations du Wyoming. Elle y a découvert aussi bien les bonnes pratiques que les erreurs à éviter.
« Sentir la dynamique du bétail est absolument essentiel », explique-t-elle en évoquant l’art d’interpréter le langage corporel des bovins. « Quand on déplace 500 à 600 vaches avec leurs veaux, beaucoup de gens préfèrent rester à l’arrière et pousser le troupeau. Mais il vaut mieux les laisser s’étirer et avancer à leur rythme. »
Lorsque les cowboys se fient aux signaux de leurs collègues, dit-elle, le troupeau se met alors en mouvement presque naturellement, sans effort apparent.
Les difficultés ne manquent pas : réveils à trois heures du matin pour conduire les bêtes vers les pâturages plus frais des montagnes en été, ou vent glacial et neige cinglante en plein visage durant l’hiver. Mais Lindsey a appris à aimer ces matins limpides de transhumance et le calme de la chevauchée dans des collines au relief séculaire.
Une histoire mouvementée
Cette tradition que Lindsey et Ben ont adoptée remonte aux fondations du ranch Pitchfork. Celui-ci a été fondé par Otto Franc von Lichtenstein, qui s’installa dans la région en 1878. Originaire d’Allemagne, il avait d’abord émigré à New York, où il avait fait fortune en important des bananes. Mais l’Ouest l’attirait, et il a découvert dans les pâturages vierges du Wyoming une opportunité prometteuse pour l’élevage bovin. Sa seule crainte était alors les tribus indiennes, mais cela ne l’a pas arrêté.
Un troupeau de bétail près des pâturages de montagne, près du ranch Pitchfork. (Mckenzy Ellisen)
Une scène des débuts du ranch. (Pitchfork Ranch)
M. Von Lichtenstein a réussit son pari et est devenu un cowboy prospère. Il a engagé d’autres hommes pour garder ses troupeaux, qui comptaient plusieurs milliers de têtes. Mais il s’était taillé la réputation d’un employeur intransigeant, prompt à congédier les paresseux ou les ivrognes. L’homme avait également ouvert son propre bureau de poste et était devenu juge de paix local, avant de mourir tragiquement d’une blessure accidentelle en tentant de franchir une clôture barbelée, un fusil de chasse à la main.
Ainsi a commencé un héritage transmis à deux autres familles au fil des deux derniers siècles. Le domaine d’Otto Von Lichtenstein est passé simultanément entre les mains des familles Phelps et Belden, qui en ont assuré la gestion pendant 95 ans. Six générations s’y sont succédées, perpétuant la tradition cowboy, jusqu’à la vente du ranch en 2003. Selon Lindsey Anson, la décision fut dictée en partie par une « mauvaise gestion » et un manque de rentabilité.
Le nouveau propriétaire n’était pas un homme de l’Ouest, encore moins un cowboy, mais Lenox Baker, un chirurgien cardiaque originaire de Caroline du Nord. Séduit par l’idée de posséder une parcelle authentique du Far West, il a reprit les rênes. Bien qu’il ne se soit jamais initié à la vie de rancher, M. Baker a gardé les cowboys employés par les Phelps et les Belden, permettant ainsi à la tradition du Pitchfork de se poursuivre.
Des cowboys attrapant un veau au lasso près du ranch Pitchfork. (Mckenzy Ellisen)
Bétail et cow-boys au ranch. (Lindsey Anson)
Un avenir incertain
Aujourd’hui, sous la direction du couple Anson, le ranch est redevenu rentable, même si les défis de l’élevage bovin restent nombreux.
« C’est difficile », reconnaît Lindsey. « Surtout ici : les revenus du bétail ne couvrent pas le coût des terres. »
C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles d’autres exploitations du Wyoming se sont diversifiées dans les loisirs, en accueillant par exemple des mariages facturés jusqu’à l’équivalent de 17.000 euros pour la promesse d’un panorama de montagne intemporel, ou encore des séjours “cowboy” à destination des touristes en quête d’aventure.
« Nous n’avons rien fait de tout cela ici », précise Lindsey.
Malgré leurs succès en tant que véritables cowboys, Lindsey et Ben ne savent pas de quoi l’avenir du Pitchfork Ranch sera fait. Le propriétaire actuel, Lenox Baker, celui-là même qui s’était offert un morceau du Far West par passion, a vieilli. À 83 ans, il peine désormais à se déplacer sur le domaine.
« Il vend le ranch », confie Lindsey. « Il voulait passer plus de temps avec ses enfants, qui eux-mêmes deviennent grands-parents, et qui vivent à Park City, dans l’Utah. »
Le Pitchfork pourrait donc connaître le même destin que bien d’autres ranchs : des héritiers qui préfèrent tourner la page. « Ce sont tous des gens formidables », assure Lindsey à propos des enfants de M. Baker, « mais aucun n’avait envie de continuer à gérer le ranch. »
Ben, le mari de Lindsey Anson, à cheval. (Kristen Schurr)
Lindsey Anson admire un magnifique lever de soleil lors d’un transhumance. (Mckenzie Ellisen)
Sauver un héritage
Il existe toutefois une lueur d’espoir : Lenox Baker tient à trouver un acquéreur à la hauteur de ce patrimoine. Car, comme le souligne Lindsey Anson, « il faut une personne très particulière pour acheter 100.000 acres de terres ». Le chirurgien souhaite agir correctement envers ses employés afin qu’ils puissent continuer à travailler sur le ranch.
« L’acheteur idéal serait quelqu’un qui aimerait poursuivre l’héritage du ranch et le faire fonctionner comme une véritable exploitation », explique-t-elle. Heureusement, des servitudes de conservation protègent le domaine : il ne peut être morcelé ni transformé.
« Il ne veut pas vendre à quelqu’un qui viendrait tout casser », insiste Lindsey. « Pour nous, il est vraiment essentiel de maintenir vivante une tradition qui existe depuis des centaines d’années. »
Michael Wing est un rédacteur basé à Calgary, au Canada, où il est né et a reçu une éducation artistique. Il écrit principalement sur la culture, la dimension humaine et les tendances de l'actualité.