La victoire de l’Ukraine est essentielle pour l’Europe et l’Asie

Les plans des seigneurs de guerre médiévaux, actuels et futurs, doivent être voués à l’échec

Par Ryan Clarke
16 mars 2022 21:44 Mis à jour: 16 mars 2022 21:44

L’exemple de la barbarie et des sièges médiévaux des villes ukrainiennes par des troupes russes est un rappel sévère du fait que nous vivons toujours avec des dictateurs qui méprisent toute conception d’autogouvernance constitutionnelle et ne respectent aucune « ligne rouge » qu’on leur trace.

L’invasion de l’Ukraine n’est pas une question liée à l’OTAN, mais de la domination sur l’Occident

Vladimir Poutine n’a jamais reconnu l’existence de l’Ukraine en tant que pays entièrement indépendant et il est prêt à aller jusqu’à l’extrême pour réaliser son objectif – contrôler ce pays et soumettre son peuple.

De nombreuses personnes dans le monde, en particulier en Occident, se sont bercées d’illusions que les phénomènes catastrophiques des guerres mondiales et de l’asservissement de citoyens de l’Union soviétique appartiennent au passé. Et bien, on voit que ce n’est pas le cas.

L’échec de la dissuasion de la part de l’Occident mou et affaibli – qui s’est manifesté déjà en 2014 lors du dépeçage du territoire ukrainien par l’annexion de la Crimée et l’installation du contrôle russe sur une partie du Donbass – a permis à Poutine et à son entourage de conclure à tort qu’ils pouvaient envahir et conquérir toute l’Ukraine rapidement, de manière décisive et à faible coût.

Pourtant, il s’est avéré que les forces armées et les milices civiles ukrainiennes sont capables de prendre des risques extrêmes et qu’elles se battront jusqu’au bout. Poutine a paniqué face à la perspective d’une forte résistance ukrainienne et a opté pour le scénario de la ville de Grozny anéantie lors des guerres tchétchènes : le bombardement aveugle des infrastructures civiles (y compris des immeubles d’habitation) et l’encerclement de villes entières.

On peut tracer même des parallèles historiques entre les forces russes qui tentent aujourd’hui d’étrangler Kharkiv, la deuxième plus grande ville de l’Ukraine, et les mesures prises à l’époque par le tyran soviétique Josef Staline qui visait à provoquer délibérément la famine et l’inanition dans cette même ville.

Si l’Ukraine avait été un membre à part entière de l’OTAN – l’alliance qui prévoit une riposte collective à l’agression contre l’un de ses membres – cela ne se serait pas produit. Si l’Ukraine avait disposé des systèmes intégrés et bien protégés de défense aérienne, des systèmes d’artillerie, de missiles de croisière et autres, ainsi des avions de combat que Kiev réclamait depuis des années, cela ne se serait pas produit non plus.

Si les pays baltes – l’Estonie, la Lituanie et la Lettonie incorporées de force à l’Union soviétique en 1940 – n’étaient pas aujourd’hui membres de l’OTAN, les troupes russes seraient probablement (au moins) stationnées à leurs frontières. Il serait également bien dangereux de se trouver en Pologne, en Roumanie, en Hongrie ou même en Turquie.

Poutine ne veut pas comprendre ni n’apprécie la communication indirecte, le langage diplomatique poli ou toute forme de nuance. Le maître du Kremlin a cherché à reconstituer l’Union soviétique – il a déclaré à plusieurs reprises qu’il considérait son éclatement comme la plus grande tragédie de l’histoire. Il a physiquement assisté à la chute du mur de Berlin en étant affecté en Allemagne comme un agent du KGB, et il a envahi l’Ukraine parce qu’il pensait pouvoir le faire. Si l’OTAN n’était pas aux côtés de l’Ukraine, la situation stratégique de ce pays serait encore plus grave.

L’ancien président américain Ronald Reagan s’adresse aux habitants de Berlin-Ouest devant la porte de Brandebourg, le 12 juin 1987. « Abattez ce mur ! » est le célèbre ordre que Reagan a donné au dirigeant soviétique Mikhaïl Gorbatchev. Son discours est largement considéré comme ayant marqué le début de la fin de la guerre froide et de la chute du communisme. (Mike Sargent/AFP via Getty Images)

Aucun principe de limites : Poutine ne s’arrêtera pas tant qu’il ne sera pas arrêté

Poutine ne respecte pas l’Union européenne en tant qu’institution et n’accepte probablement pas l’existence indépendante des États baltes. Il a aussi clairement l’intention de conquérir toute l’Ukraine et pas seulement sa mythique « moitié orientale ».

Il est important de rappeler que le président ukrainien Volodymyr Zelensky est lui-même originaire de l’Est de l’Ukraine et que le russe est sa première langue. En 2019, il a été démocratiquement élu par la majorité des Ukrainiens face au président sortant Petro Porochenko.

Comprendre l’état d’esprit et l’orientation stratégique de Poutine n’est pas difficile : il continuera à pousser aussi loin en Europe (oui, en Europe) qu’il le peut jusqu’à ce que le coût de ces actions dépasse son seuil personnel d’acceptation. C’est au moins la cinquième guerre menée par la Russie depuis que Poutine est au pouvoir.

Si les effets des sanctions économiques et financières, l’annulation de projets de pipelines et autres mesures de ce genre ne doivent pas être banalisés, il est bien probable que le risque de ces sanctions a déjà été pris en compte par Poutine et son entourage. L’effondrement du rouble et autres conséquences économiques de ces mesures ont créé des problèmes graves pour des millions de Russes qui, en même temps, risquent d’être accusés de trahison s’ils s’expriment publiquement contre les actions militaires du Kremlin en Ukraine. Si des manifestations ont eu lieu dans certaines villes russes, elles ont été violemment réprimées et elles ne représentent probablement pas une vraie menace pour le régime de Poutine.

Une rébellion au sein de son cercle restreint n’est pas non plus probable, car ses acolytes doivent leur position et, ce qui est peut-être encore plus important, leur fortune personnelle au fait que Poutine la leur a accordée. Étant donné qu’une partie importante de cette richesse personnelle a été conservée en Russie dans le but de la protéger des sanctions internationales (et qu’elle n’est probablement pas libellée uniquement en roubles), elle reste soumise à la discrétion de Poutine. Si Poutine l’a donnée, il peut aussi la reprendre.

Le résultat net est que Poutine garde le contrôle à Moscou et il continuera à mettre en œuvre ses ambitions moyenâgeuses en Ukraine (et plus largement en Europe) à moins qu’il ne soit arrêté. Ce n’est que lorsque Poutine et son cercle intime auront été vaincus et auront tout perdu que cette folie cessera. Les demi-mesures telles que les cessez-le-feu temporaires, les partitions territoriales partielles, les sanctions économiques dont certaines peuvent prendre des années avant d’avoir un effet, ou toute autre mesure en deçà d’une défaite totale de la Russie de Poutine ne résoudront pas le problème.

Les dirigeants de l’époque de la Seconde Guerre mondiale (à part des rares exceptions, comme celle de Winston Churchill) n’ont pas pleinement compris ou apprécié ce principe stratégique éternel – et cela a coûté la vie à quelque 60 millions de personnes (principalement en Europe et en Asie). Si des actions décisives ne sont pas entreprises aujourd’hui, nous serons de toute façon obligés de prendre des mesures extrêmes plus tard.

L’Ukraine et Taïwan : des pays très différents qui s’alignent au même principe

L’Ukraine et Taïwan sont deux pays dotés de leurs histoires et cultures uniques, ainsi que de leurs propres formes de gouvernement démocratique et constitutionnel. L’un est une nation insulaire située entre l’Asie de l’Est et du Sud-est, tandis que l’autre est un vaste territoire continental d’Europe de l’Est. Malgré ces différences, entre autres, l’Ukraine et Taïwan partagent un principe fondamental que l’Occident et les pays d’Asie doivent comprendre, assimiler et appliquer.

L’Ukraine est un pays chrétien orthodoxe, slave et ukraino/russophone qui a réussi à naviguer dans le chaos de l’effondrement de l’URSS et dans la guerre psychologique et d’intimidation menée par le Kremlin. Il a émergé comme une nation démocratique autogouvernée qui voit son avenir en Europe et comme un membre à part entière de la civilisation occidentale. L’Ukraine est la preuve vivante de la nature mensongère et intéressée de la politique de Poutine qui se fond sur la présomption que la Russie est la seule vraie nation mère slave et qu’elle doit être gouvernée d’une main de fer (cependant, la majorité des Russes ethniques habitant dans les pays baltes se considèrent comme appartenant à ces pays).

Au fur et à mesure que l’Ukraine progresse en surmontant graduellement son héritage de l’époque soviétique et postsoviétique, il devient de plus en plus impossible pour le Kremlin d’expliquer le manque relatif de progrès de la Russie. Chaque jour de l’existence de l’Ukraine indépendante et démocratique représente une menace pour Moscou par sa simple existence.

Vue sur Taipei, capitale de Taïwan, et le gratte-ciel Taipei 101, autrefois le plus grand bâtiment du monde, le 7 janvier 2020. (Carl Court/Getty Images)

De son côté, Taïwan est un pays à majorité ethnique chinoise, parlant le mandarin, doté d’un système démocratique et d’un marché libre parfaitement opérationnel, ce qui a assuré une prospérité économique et la stabilité politique fondée sur le multipartisme qui sont inimaginables dans l’État-parti de Chine continentale.

Aujourd’hui, Taïwan représente exactement l’inverse du programme de Xi Jinping et du Parti communiste chinois (PCC) qui continuent à adhérer à l’idée manifestement fausse et régressive – l’idée que le peuple chinois est incapable de s’autogouverner et a donc besoin d’un système de contrôle omniprésent et impitoyable pour maintenir la stabilité.

Le progrès continu et l’existence même de Taïwan représentent une menace existentielle pour les dirigeants du PCC. Les Taïwanais forment une nation chinoise qui a emprunté le chemin opposé à celui de la Chine continentale et qui a obtenu des résultats supérieurs selon touts les indices de qualité de vie. Cela explique l’obsession constante de l’État-parti chinois de mettre la main sur le pays insulaire qui compte moins d’habitants que la zone métropolitaine de Shanghai.

L’Ukraine et Taïwan représentent l’avenir, et ils sont situés juste en face de ceux qui restent attachés au passé brutal et barbare des atrocités du XXe siècle. La réussite et la liberté préservée de ces deux pays réduiront le risque de voir ces événements se répéter. L’inverse est également vrai. Une série de guerres frontalières apparemment mineures survenue en Europe dans les années 1930 a abouti à la mort des dizaines de millions de personnes en Europe et en Asie peu de temps après. Nous ignorons ou tentons d’ignorer cette réalité historique à nos risques et périls.

Xi Jinping observe

Il est difficile à imaginer que la concentration des troupes russes aux frontières de l’Ukraine et son invasion éventuelle de l’Ukraine n’ont pas été discutées lors de la visite de Poutine en Chine en tant qu’invité personnel de Xi Jinping aux Jeux olympiques de Pékin de 2022. Bien que l’on ne sache pas exactement ce qui a été discuté, les objectifs stratégiques de Xi peuvent être déduits de ses actions au cours de cette invasion.

En plus de tenter bizarrement d’imputer aux États-Unis la responsabilité de l’invasion menée par le Kremlin, Xi et les dirigeants du PCC ont conclu de nouveaux contrats d’approvisionnement énergétique à long terme avec des entreprises d’État russes – un mécanisme permettant de contourner les sanctions occidentales toujours plus nombreuses. Cela aura aussi probablement pour effet d’accroître la dépendance de la Russie à l’égard de la Chine et de sa monnaie, ce qui permettrait à l’État russe de régler les transactions et de se procurer en cachette des ressources en Chine ainsi que sur les marchés internationaux.

Vladimir Poutine et Xi Jinping posent pour une photo lors de leur rencontre à Pékin, le 4 février 2022, au début des Jeux olympiques de Pékin qui ont été suivis de l’invasion russe en Ukraine. (Alexei Druzhinin/Sputnik/AFP via Getty Images)

Les exportations d’armes russes sont également susceptibles de se concentrer plus étroitement sur les priorités et les considérations de Xi, étant donné le statut de partenaire mineur de plus en plus évident de Poutine dans leurs relations. Le PCC considère l’effet de son influence d’une manière stratégique et l’exploite en conséquence.

La principale erreur de Poutine dans cette situation a été de croire qu’il était la personne la plus intelligente. Avec ou sans Poutine, la Russie se trouvera dans un état structurellement diminué par rapport à la Chine et, par conséquent, sera soumise au programme stratégique du PCC. Les antécédents en matière de la politique du PCC par rapport à d’autres pays, comme le Pakistan, en sont une preuve.

En plus d’exploiter les erreurs stratégiques de Poutine pour établir des avantages asymétriques dans les relations sino-russes, Xi observe attentivement les réactions des principales puissances occidentales et asiatiques afin de voir ce qui sera toléré et contre quoi et comment il devra réagir. Si un précédent d’invasion d’un pays indépendant peut avoir lieu en Europe sans conséquences graves pour l’envahisseur, cela donnera au PCC le potentiel d’appliquer la même pratique à travers l’Asie – et ce, de manière qui pourra bien éclipser ce qui se passe en Europe aujourd’hui, aussi grave que soit la situation.

Une invasion d’un pays démocratique indépendant doit mener à des conséquences graves pour l’envahisseur

Des paroles « courageuses », des visites impromptues à Moscou et des supplications mêlées à des menaces non spécifiées de « conséquences » et « d’isolement international » n’ont pas réussi à dissuader les ambitions de Poutine en Ukraine – et nous voyons aujourd’hui les résultats de cet échec.

L’Occident et l’Asie doivent comprendre que les tyrans vivent toujours parmi nous et qu’ils coordonnent leurs actions et s’inspirent les uns des autres. Même s’ils peuvent avoir des différences, ils sont capables de les mettre de côté, au moins temporairement, pour se concentrer sur leur objectif stratégique commun : réorienter l’ordre mondial et exercer un contrôle total qui infligera la misère à des milliards d’habitants de la planète.

Nos parents et grands-parents n’étaient pas en mesure de percevoir ce danger, ils n’ont pas eu l’exemple des événements qui ont mené à la Seconde Guerre mondiale. Aujourd’hui, nous n’avons pas cette excuse. Nous devons arrêter fermement la réalisation de toutes sortes de stratégies de domination et de contrôle – en le faisant pour nous-mêmes, pour les générations futures et pour ceux qui ont combattu dans le passé pour préserver nos libertés.

La dissuasion ne fonctionne que si une ou plusieurs nations peuvent utiliser efficacement l’ensemble de leurs ressources nationales (militaires et autres) et qu’elles envoient un message clair et direct que ces ressources seront utilisées. Les concepts stratégiques modernes tels que la « puissance douce » (soft power) ou « diriger en arrière-plan » ont manifestement échoué face aux dictateurs.

Afin de préserver notre propre avenir, il faut s’adresser directement aux seigneurs de guerre médiévaux. Et leur dire : « Si vous envahissez une nation démocratique indépendante, vous et tous ceux qui vous entourent perdront tout. La perte de vos titres autoproclamés sera le dernier de vos soucis. Tout votre entourage disparaîtra, sera mis en faillite, et vous ne serez pas en sécurité même dans votre propre maison. Vous pouvez commencer la guerre, mais vous n’aurez aucun contrôle sur la manière dont elle se terminera. »

Il ne s’agit pas du langage diplomatique que l’on enseigne dans nos universités prestigieuses. Il s’agit du type de communication directe que les dictateurs ayant des objectifs stratégiques comprennent et respectent réellement.

L’Occident et l’Asie ne devraient plus jamais se retrouver dans une situation où nous négocions sous la menace d’une arme avec ceux qui ne croient même pas que les États démocratiques et libres ont le droit d’exister.

Le Dr Ryan Clarke est chercheur principal à l’East Asian Institute de l’Université nationale de Singapour. Au cours de sa carrière, il a occupé des postes de direction dans des entreprises de technologies de défense et de renseignement, dans des banques d’investissement, dans le domaine de la biodéfense, des évaluations stratégiques, des interventions d’urgence et de l’application de la loi. Il est titulaire d’un doctorat de l’université de Cambridge.

Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.

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