Xi Jinping met en avant l’anniversaire d’un responsable chinois pro-démocratie alors que les tensions entre les élites s’intensifient
L’hommage renforcé rendu à Pékin vise à ménager les familles rouges et les critiques internes alors que Xi Jinping cherche à consolider un nouveau mandat.
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Un membre de la garde d’honneur devant le Grand Palais du Peuple, vu depuis le monument aux Héros du Peuple, place Tiananmen, à Pékin, le 12 novembre 2025.
Photo: Andres Martinez Casares / EPA POOL / AFP via Getty Images
Le Parti communiste chinois (PCC) a organisé cette semaine une cérémonie d’ampleur inhabituelle pour commémorer le 110e anniversaire de la naissance de Hu Yaobang, ex-dirigeant associé aux réformes pro‑démocratiques qui menèrent aux manifestations de Tiananmen en 1989.
Selon les analystes, la démarche vise à apaiser les familles dirigeantes de la « seconde génération » et les intellectuels critiques, alors que Xi Jinping entend assurer une nouvelle reconduction à la tête du régime.
Xi rompt avec la tradition
Le 20 novembre, le PCC a organisé au Grand Palais du Peuple, à Pékin, un colloque en l’honneur de Hu. Xi lui-même a loué l’apport exceptionnel de Hu à la modernisation du pays.
Ce geste tranche avec les hommages discrets rendus pour les précédents anniversaires de la naissance et du décès de Hu, en raison de son engagement pour la réforme politique dans les années 1980.
La mort de Hu, en avril 1989, déclenche alors des marches étudiantes vers Tiananmen, prélude aux grandes manifestations pro‑démocratie et à la répression sanglante du 4 juin. Pour la jeunesse de l’époque, Hu incarne la réforme ; sa mémoire sert de cri de ralliement pour réclamer des changements structurels, que la faction Deng Xiaoping réprime brutalement afin de maintenir l’ordre totalitaire du PCC. Cette charge symbolique explique la grande sensibilité entourant la mémoire de Hu dans l’espace public chinois.
Le discours de Xi a sciemment évacué certains points sensibles, tels que l’opposition de Hu à la campagne de « pollution spirituelle » de 1983, son plaidoyer pour la séparation du Parti et de l’État, sa volonté d’abolir la règle du poste à vie des cadres, et la relation directe entre sa mort et le soulèvement de Tiananmen.
Tang Jingyuan, commentateur américain spécialisé dans les affaires chinoises, rappelle que le PCC a pour habitude de commémorer systématiquement les anniversaires décennaux. « Pourtant, cet événement a été traité comme s’il s’agissait d’un cinquantième anniversaire ». À titre de comparaison, le 90e anniversaire de Hu Jintao en 2005 n’avait attiré que trois membres du Comité permanent du Politburo, mais cette année, Xi Jinping était présent, ainsi que l’ensemble du Secrétariat.
Pourquoi rehausser Hu aujourd’hui ?
Pour le dissident et juriste Yuan Hongbing, basé en Australie, cette mise à l’honneur répond à des impératifs politiques immédiats.
Xi, selon lui, doit rassurer deux grands cercles : les familles d’élite issues des lignées Deng Xiaoping et Jiang Zemin, qui veulent relancer un système quasi oligarchique pro‑marché, et les intellectuels pour qui Hu Yaobang reste le symbole d’une Chine ouverte.
Des citoyens se recueillent sur la tombe de Hu Yaobang, dirigeant réformiste du PCC, à Gongqing, dans le Jiangxi, la veille du dixième anniversaire de son décès en 1999. (AFP/Getty Images)
« Xi instrumentalise le 110e anniversaire de Hu pour réduire la grogne des élites rouges et la tension chez les libéraux », analyse M. Yuan. Avant le 21e congrès du Parti, l’objectif est de limiter les résistances à un nouvel allongement de sa domination.
Présence des « familles rouges »
Les médias d’État chinois ont signalé que des proches et descendants de Hu assistaient à la cérémonie — une première, la famille ayant longtemps subi surveillance et restrictions.
Les caméras ont notamment capté le fils de Hu, Hu Deping, assis au troisième rang au visage fermé, ou Liu Yuan, fils de l’ex-président Liu Shaoqi, en uniforme militaire. Xi Yuanping, frère du président actuel, était lui aussi présent.
Ces images ont rapidement attiré l’attention du public sur les relations tendues entre Xi et la « deuxième génération rouge », qui regroupe les descendants des fondateurs du Parti et des anciennes élites.
Selon M. Yuan, cette tension recoupe deux enjeux. D’abord, celui de la ligne politique : une partie des élites souhaite restaurer l’autorité du PCC mais revenir au modèle économique ouvert des années Deng, socle de la stabilité nationale, tandis que d’autres défendent une réforme politique graduelle, frontalement contraire à la ligne de plus en plus dure adoptée par Xi pour conserver le pouvoir.
Autrement dit, Xi use de l’anniversaire de Hu pour damer le pion sur la question économique, même si ce geste demeure hautement symbolique.
Ensuite, l’enjeu du partage du pouvoir. M. Yuan y voit la marque d’une volonté de mainmise absolue, façon Mao Zedong, au détriment des réseaux familiaux concurrents. Ce raidissement du pouvoir place Xi en opposition directe à bon nombre de ces anciennes familles rouges désormais marginalisées.
Le geste de Xi lors de cet événement commémoratif semble être une branche d’olivier tendue aux élites influentes du PCC qui critiquent son programme.
Généalogie d’une mémoire taboue
La disgrâce puis la mort de Hu sont indissociables du printemps 1989.
À la fin 1986, des étudiants dans toute la Chine manifestent pour réclamer une réforme politique et dénoncer la corruption, le mouvement gagnant vite Shanghai et Pékin. Deng Xiaoping impute à Hu la dérive d’un « libéralisme bourgeois » incontrôlé.
En janvier 1987, Hu est publiquement pris à partie lors de réunions internes du Parti, accusé de fautes graves puis contraint à la démission de son poste de secrétaire général, incarnant pour beaucoup la figure du réformateur.
Lorsque Hu est décédé subitement d’une crise cardiaque en avril 1989, les étudiants des meilleures universités chinoises ont affiché des posters en sa mémoire. Le deuil s’est rapidement transformé en manifestations de masse, conduisant à la répression militaire brutale du 4 juin. Zhao Ziyang, qui a succédé à Hu, a été purgé pour avoir refusé de soutenir l’usage de la force et a passé le reste de sa vie en résidence surveillée.
Ce contexte a amené le PCC à porter un voile quasi total sur la mémoire de Hu, ses idéaux réformateurs étant peu à peu effacés de la sphère publique.
Des étudiants déposent fleurs et gerbes sous le portrait de Hu Yaobang, dirigeant réformateur du Parti, au pied du monument aux Héros du Peuple, lors d’une manifestation non autorisée à Pékin, le 19 avril 1989. (Catherine Henriette/AFP/Getty Images)
Hommage officiel et mémoire collective
Pour M. Yuan, l’hommage officiel n’a rien à voir avec la défense de l’héritage réformiste. « Les cérémonies publiques à la gloire de Hu Yaobang répondent à l’aspiration à la liberté, mais la démarche officielle orchestrée par Xi Jinping s’inscrit en réalité dans sa stratégie de consolidation », tranche-t-il.
M. Yuan juge que Xi ne lâchera jamais son emprise ni la nature totalitaire du régime : « Ceux qui pensent que Xi changera de cap ou assouplira la dictature font fausse route », conclut-il.
Li Jing et Luo Ya ont contribué à la rédaction de cet article.
Michael Zhuang est un collaborateur d'Epoch Times, spécialisé dans les sujets se rapportant à la Chine.