Un ancien juge se souvient des exécutions de masse en Chine

22 novembre 2018 17:36 Mis à jour: 5 septembre 2019 22:48

Dans l’essai ci-dessous, Zhong Jinhua, un ancien juge de Wenzhou, dans le sud-est de la Chine, partage ce qu’il a vu pendant les 14 années de ses fonctions : des exécutions de masse par balles, par injection léthale et des prélèvements d’organes forcés. M. Zhong a passé 5 ans en cour d’assise, avec « des condamnés à mort presque tous les jours ».

Que ce soit en Chine, en Amérique ou partout ailleurs, servir la justice dans un tribunal avec la robe d’un juge est un honneur auquel aspirent de nombreux professionnels du droit, moi-même y compris. Avec des efforts et de la chance, j’ai obtenu un poste à la cour populaire intermédiaire de Wenzhou, après avoir obtenu mon diplôme en juillet 1994. Après avoir été clerc dans la division criminelle d’une cour de première instance pendant 3 ans, j’ai été nommé juge, un travail que j’ai exercé pendant 14 ans. En juillet 2008, j’en ai finalement eu assez et ai démissionné pour devenir avocat.

De ces 14 années au tribunal, les 9 passées dans la section criminelle ont été les plus difficiles à oublier. J’ai été clerc pendant 3 ans puis juge pendant 5 années de plus. Presque chaque jour je faisais face à des condamnés à mort, et chaque mois je devais assister à une sanglante exécution. Je voudrais ici déplier ces souvenirs qui hantent mon esprit, et peut-être chasser le cauchemar qui m’a agrippé le cœur.

Au début, quand je voyais des condamnés à mort ligotés, leur identité vérifiée et la sentence exécutée, je pensais qu’il s’agissait seulement de punir les criminels et de défendre la justice ce qui est, en définitive, la mission d’un juge. Mais avec le temps, le nombre d’exécutions augmentant, j’ai été témoin de scènes brutales et d’une horreur inimaginable qui m’ont profondément ébranlé. Mon opinion a graduellement changé. C’est devenu compliqué à gérer émotionnellement et j’étais assailli de cauchemars.

Mon premier choc a eu lieu en 1996 ou 1997, sur le terrain d’exécution appelé Montagne enneigée à Wenzhou. L’endroit était impressionnant, déjà parce que c’était le plus grand lieu d’exécution par balle que j’avais vu, avec 26 prisonniers exécutés ; et parce que beaucoup étaient membres de deux gangs de ma ville natale, le canton Cangnan de Wenzhou. C’étaient le gang des frigos et le gang Xu Haiou. C’était un moment où on « frappait fort » contre les activités criminelles en Chine, et Wenzhou, en tant que région économiquement développée, devait jouer une partie de la partition.

Le jour de l’exécution, Montagne enneigée était remplie de policiers armés et d’officier de la sécurité publique. Cet après-midi, les condamnés escortés par des policiers en arme sont arrivées dans des véhicules policiers et militaires venus de tout le pays. Les prisonniers ont été emmenés près d’un mur de sac de sable et ont dû se mettre en ligne, à genoux. Chaque policier avait une arme semi-automatique déjà chargée. Il ont tiré dans le dos des prisonniers, au niveau du cœur.

J’étais encore nouveau au tribunal, prenais des notes pendant les procès, les auditions, et les exécutions. C’était horrible de voir ces choses pour la première fois, mais en me souvenant de mes responsabilités vis-à-vis du gouvernement, j’ai compté avec attention tous les prisonniers de gauche à droite, puis de droite à gauche – ils étaient 26.

Le commandant a donné l’ordre, et les coups sont partis. Les prisonniers sont tombés les uns après les autres, leur sang giclant partout. J’ai commencé à voir des étoiles et avais du mal à me tenir droit. J’ai frotté mon visage et mon crâne avec mes mains pour me calmer. Les équipes du crématorium sont vite venues pour emporter les corps.

En tant que juge, je ne savais plus dire si j’étais un défenseur de la justice ou simplement un assassin rendu légitime par la protection de la loi.
— ZHONG JINHUA

Les scènes d’exécution m’ont toujours rappelé les films sur la guerre avec le Japon que je regardais quand j’étais plus jeune, où des soldats japonais exécutaient des Chinois en masse. Elles me faisaient penser aussi aux abattoirs, où les bouchers jettent les porcs sur des civières avant qu’ils soient dépecés. Il est difficile de décrire précisément cette sensation ; mon cœur était très lourd.

Le second événement que j’ai gardé vivement en mémoire est un incident avec un policier du peloton d’exécution. Je ne peux me rappeler le moment exact mais j’étais très probablement déjà juge.

Je ne sais pas qui exécute les sentences dans d’autres régions de Chine, mais à Wenzhou, c’est normalement fait par les policiers armés des centres de détention. Il y avait moins de prisonniers que la fois précédente, mais pas beaucoup. Lorsque tout le monde a pris sa position, nous avons remarqué que les bras et jambes d’un homme tremblaient fortement. C’était sans doute sa première exécution. Le commandant a foncé sur lui et lui a ordonné d’arrêter de trembler, mais il ne réussissait pas. Le commandant l’a sévèrement blâmé et a donné l’ordre de tirer.

Mais après la salve, les prisonnier à genoux devant le policier qui tremblait n’était pas tombé. Il s’est retourné lentement en se relevant pour le regarder. Le policier avait tellement peur qu’il a crié, a jeté son arme en l’air et a dansé comme s’il était devenu fou. Le commandant a foncé sur le prisonnier, l’a mis à terre et lui a tiré dessus deux fois avec son arme de poing. Je ne sais pas ce qui est arrivé au policier, s’il a été puni ou si l’incident lui a laissé un traumatisme, mais son air terrorisé restera avec moi pour toujours.

Un jour d’été par temps chaud en après-midi, j’ai vu l’exécution d’une prisonnière, une jeune femme condamnée à mort par le tribunal populaire intermédiaire de Wenzhou pour son implication dans le trafic de plus de 200 grammes d’héroïne. La Cour populaire suprême avait approuvé l’exécution. Je me souviens de tout le processus car j’étais chargé de vérifier son identité. La trafiquante de drogue, vêtue d’une longue robe blanche, hurlait et pleurait désespérément tout du long depuis le centre de détention. Elle ne cessait d’appeler « Ciel ! » et « Maman ! ». Ses deux mains, étroitement menottées derrière son dos, étaient devenues de couleur violet-foncé, et elle tremblait de façon incontrôlable. À l’instant où elle a été contrainte de s’agenouiller, elle a soudain poussé un cri perçant :  » Ciel ! » et « Maman ! » « Ciel ! » et « Maman ! ». C’était insupportable d’en être témoin.

Le coup de feu retentit, et elle, vêtue de sa longue robe blanche, tomba par terre et s’arrêta à jamais de pleurer. La légiste a dit qu’elle était si effrayée qu’elle s’est souillée.

Je ne pouvais rien dire, je fus envahi par des vagues de tristesse. La peine de mort, comme je te déteste, comme je te hais !

Le quatrième événement que j’ai gardé en mémoire est un accident impliquant une injection mortelle vers 2001 ou 2002, également sur le site d’exécution Montagne enneigée. Depuis 1997, l’exécution par injection létale est aussi devenue une méthode d’exécution, en plus d’exécutions par balles. Cette méthode d’exécution a été adoptée à Wenzhou vers 2001 ou 2002. L’injection létale est censée être une alternative plus humaine, réduisant la terreur ressentie par le prisonnier devant le peloton d’exécution.

Dans ce cas-ci, cependant, non seulement la douleur et la peur n’ont pas été réduites, mais elles ont été rendues encore plus horribles par la négligence du bourreau.

Ce bourreau et moi ne nous occupions pas des mêmes causes pénales, donc par règlement, il n’était pas nécessaire que je sois là. Mais comme Wenzhou n’avait adopté l’injection létale que très récemment, nous étions encouragés, en tant que juges pénaux en chef, à observer le processus d’exécution pour nous familiariser avec cette méthode.

Nous sommes d’abord arrivés dans la salle d’observation des injections létales nouvellement rénovée et installée, qui était reliée à la chambre d’exécution. La table d’exécution était déjà en place et quelques employés en uniforme blanc étaient en train de déplacer l’équipement. Un prisonnier y a été amené. Les huissiers de justice ont fixé ses membres et sa tête à différentes parties de la table et y ont fixé différents matériels d’injection. Il y avait deux boutons d’exécution. Le prisonnier était silencieux et avait l’air stupéfait ; il était paralysé par la peur.

L’exécution a été effectuée par un huissier de justice. Tout était en place, et le commandant a crié : « Prêt à partir ! » Après que le huissier a appuyé sur l’un des boutons, le prisonnier n’est pas entré dans le sommeil anesthésié comme prévu, mais s’est soudain mis à se débattre violemment, hurlant comme s’il était déchiré membre par membre. Le personnel et les gardes ont arraché les cadres de soutien et l’équipement en un clin d’œil, et ont rapidement traîné le prisonnier en difficulté à l’extérieur. Ils l’ont coincé au sol et lui ont tiré dans la tête.

Plus tard, on nous a informé que le bourreau avait mal suivi l’ordre et pris le bouton d’injection létale pour celui de l’anesthésie, ce qui a mené à cette fin grotesque. En tant que juge ordinaire, je n’avais aucun pouvoir de changer quoi que ce soit, je n’avais que le silence et le désespoir.

En plus des exécutions, j’ai été bouleversé de voir des médecins ouvrir les corps des prisonniers pour prélever leurs organes. J’en avais déjà entendu parler par bribes – les prélèvements d’organes sur des condamnés à mort pour une transplantation d’organes était un « secret de Polichinelle » dans les cercles gouvernementaux chinois et dans la société – mais le voir de mes propres yeux était un choc terrible.

C’était aussi sur le site d’exécution de Montagnes enneigés, mais je ne me souviens pas de l’heure exacte. C’était alors nous procédions encore aux exécutions par balles. Après l’exécution, je me suis précipité dans une toilette extérieure voisine pour me soulager. Sur le chemin du retour, j’ai pris la mauvaise direction et je suis entré dans un petit bâtiment qui servait apparemment de salle d’opération improvisée. Le type allongé sur la table d’opération était le prisonnier qui venait d’être abattu. Il était sur le dos, et tracé sur sa poitrine jusqu’à l’estomac, il y avait une grande et profonde forme de croix . D’un côté, l’abdomen était retourné vers l’extérieur et pendait au bord de la table d’opération pendant que deux médecins vêtus de blanc prélevaient ses organes. Une forte odeur nauséabonde remplissait toute la pièce, et j’étais si repoussé que j’étais sur le point de vomir. Je me suis retourné et je suis sorti de l’immeuble en courant, puis j’ai vomi sur l’herbe près du mur extérieur de l’immeuble.

Jusqu’à présent, j’ai toujours envie de vomir quand je me souviens de cette scène. J’ai été témoin, très clairement, de l’existence de ce « secret de Polichinelle ». J’ignorais qui était responsable de tout cela dans les coulisses et qui leur avait donné l’ordre. J’étais complètement dans l’ignorance sur ce point.

En tant que juge, je ne savais pas si j’étais un défenseur de la justice ou simplement un meurtrier rendu légitime sous le voile de la loi.

En octobre 2003, j’ai été transféré de la chambre criminelle à la chambre de contrôle judiciaire en tant que président du tribunal. J’y suis resté 5 ans à m’occuper de pétitions, d’erreurs judiciaires et de fausses accusations. En juillet 2008, j’ai démissionné de mon poste au tribunal populaire intermédiaire de Wenzhou et quitté définitivement le système judiciaire chinois.

Mais les cauchemars ont continué à me hanter. J’ai souvent rêvé d’être traîné par une foule de gens vers la guillotine. Je me réveillais, essoufflé et couvert de sueur, au moment précis où la lame tombait.

Les exécutions ont également fait des ravages chez mes collègues. Un jour, sur le chemin du retour du lieu de l’exécution, un juge surnommé Zhang s’est évanoui et s’est effondré dans une rizière.

Lorsque j’étais en Chine en tant que juge pénal, j’optais pour une peine clémente dans tous les cas où c’était possible. Je me battais bec et ongles chaque fois que j’avais la chance de ne pas prononcer la peine de mort. Par conséquent, j’ai offensé un assez grand nombre de collègues et de superviseurs, mais j’estime toujours que chaque juriste doit considérer le respect de la vie et de la liberté comme son devoir éthique fondamental. Parce que tout le monde n’a qu’une vie !

Zhong Jinhua, ancien juge et avocat en Chine, dans les rues de Manhattan le 12 avril 2016. Avant d’arriver aux États-Unis en août 2015, Zhong avait exercé comme juge en Chine pendant plus d’une décennie. Il était aussi devenu un avocat défenseur des droits civiques durant de nombreuses années, avant d’être contraint à l’exil. (Benjamin Chasteen/Epoch Times)

À propos de l’auteur

Zhong Jinhua, travailleur indépendant en exil, est un ancien juge et avocat des droits de l’homme chinois.

D’août 1994 à juillet 2008, Zhong Jinhua a siégé au tribunal populaire intermédiaire de Wenzhou dans le Zhejiang, en Chine, où il a été greffier à la chambre criminelle, juge président et juge président de la chambre de contrôle judiciaire.

De juillet 2010 à août 2015, Zhong Jinhua a travaillé au sein du cabinet d’avocats Beijing Yingke, du Capital Equity Legal Group dans leur cabinet d’avocats de Shanghai et de Shanghai Junlan en tant qu’associé et associé principal, respectivement.

Le soir du Nouvel An, fin 2011, Zhong Jinhua a fait une annonce publique sur son blog personnel du Sina Weibo, demandant au Parti communiste chinois (PCC) de lever les restrictions imposées aux partis politiques, à la liberté de la presse et aux élections démocratiques. Il a également déclaré qu’il démissionnerait du Parti et organiserait un parti d’opposition pour renverser la dictature du PCC. En conséquence, il a été convoqué par les autorités chinoises et menacé d’arrestation. Il a également été licencié par Dong Dongdong, directeur du cabinet d’avocats Beijing Yingke. Il a été contraint de quitter sa maison pendant 15 jours.

Au cours de la vague de répression connue sous le nom « 709 » (9 juillet ou 9/7) en 2015, lorsque des centaines d’avocats de la défense des droits de l’homme et de citoyens ont été arrêtés, Zhong Jinhua a également été harcelé et « invité à prendre le thé » pour avoir défendu les droits des demandeurs ruraux et des avocats de la défense. Le 13 juillet 2015, la police chinoise est venue chez lui avec l’ordre de l’arrêter, mais il s’est échappé grâce aux pressions et au soutien extérieurs.

La famille de Zhong Jinhua, ancien juge et avocat en Chine

Le 11 août 2015, Zhong Jinhua a emmené son épouse et ses deux enfants à l’aéroport international de Pudong à Shanghai. Après avoir passé trois heures en détention et subi des fouilles corporelles, ils ont pu prendre un vol pour les États-Unis, où ils vivent aujourd’hui en exil.

Traduction par Eva Fu

Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.

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