Après une nouvelle agression d’une des leurs, les professeurs en colère veulent résister à la peur

Des gendarmes et des policiers laissent les parents d'élèves entrer dans le lycée Robert Schuman de Benfeld, dans le nord-est de la France, le 24 septembre 2025, après qu'une enseignante a été poignardée par un élève plus tôt dans la journée.
Photo: SEBASTIEN BOZON/AFP via Getty Images
L’agression au couteau d’une enseignante de musique sexagénaire mercredi à Benfeld, dans le Bas-Rhin, vient rouvrir les plaies d’une profession déjà meurtrie. Face à cette énième attaque, les professeurs français expriment leur désarroi mais refusent catégoriquement de céder à la peur.
Christine Guimonnet, professeure d’histoire-géographie à Pontoise, ne mâche pas ses mots : « Ces agressions se multiplient de façon très choquante. Cela remet en question la capacité de l’institution à nous protéger. » Une interrogation partagée par François Desnoyer, enseignant de mathématiques toulousain, qui s’interroge amèrement : « Qui sera le prochain sur la liste ? »
L’ombre persistante de Samuel Paty
La mémoire de Samuel Paty, décapité en octobre 2020 après avoir montré des caricatures de Mahomet, hante toujours les couloirs des établissements scolaires. « Pas un jour ne passe sans que je pense à Samuel Paty. La colère née de son assassinat ne s’est jamais apaisée », confie Christine Guimonnet.
Cette tragédie s’inscrit dans une liste macabre qui s’allonge : Agnès Lassale et Dominique Bernard, assassinés en 2023, rejoignent le martyrologe des victimes du système éducatif. Sans oublier les incidents récents qui glacent le sang : une surveillante tuée à Nogent par un adolescent de 14 ans, quatre victimes dans un lycée nantais, des blessures à Antibes.
Des signaux d’alarme inquiétants
L’agresseur de Benfeld, âgé de 14 ans, avait pourtant donné des signaux d’alarme. Elisabeth Borne, ministre de l’Éducation nationale, a révélé que l’adolescent avait été sanctionné pour sa « fascination envers Hitler et les armes ». Un profil préoccupant qui interroge sur les dispositifs de détection et de prise en charge des élèves en difficulté.

La ministre sortante de l’éducation, de l’enseignement supérieur et de la recherche, Elisabeth Borne , s’adresse à la presse après sa visite au lycée Robert-Schuman de Benfeld, dans le nord-est de la France, le 24 septembre 2025, après qu’une enseignante a été poignardée avec une arme tranchante par un élève plus tôt dans la journée. (SEBASTIEN BOZON/AFP via Getty Images)
Plus troublant encore, cette violence touche désormais les plus jeunes : mardi, un écolier de 8 ans menaçait verbalement un directeur d’école cannois avec une lame de ciseaux, témoignage glaçant d’une violence qui se banalise et s’étend à toutes les tranches d’âge.
L’insuffisance criante des moyens
Face à cette escalade, les enseignants dénoncent l’impuissance des pouvoirs publics. « L’État doit investir davantage, réduire les effectifs par classe pour un accompagnement individualisé », plaide Christine Guimonnet. Mais l’espoir s’amenuise : « Nous ne sommes plus naïfs, nous savons que l’État n’agira pas », particulièrement en période de restrictions budgétaires.
Les solutions proposées peinent à convaincre. Les portiques détecteurs de métaux restent « une arlésienne » selon les syndicats, qui redoutent des embouteillages dangereux aux entrées. Seule mesure concrète : 6 200 fouilles policières depuis mars ont permis la saisie de 400 armes, révélant l’ampleur du problème.
Un système de santé mentale à bout de souffle
L’état « sinistré » de la santé mentale scolaire cristallise les critiques. Depuis la pandémie, la détresse psychologique des adolescents s’est considérablement aggravée, sans que les moyens suivent. Cette négligence institutionnelle nourrit un cercle vicieux où violence et désespoir se conjuguent.
« Le jour où la peur nous gagnera, nous arrêterons »
Malgré ce tableau sombre, les enseignants refusent l’abandon. « Je n’ai pas peur », affirme Sabrina, professeure francilienne, forte de ses « bonnes relations » avec ses élèves. François Desnoyer renchérit : « Ma femme et moi enseignons tous deux. Le jour où la peur nous gagnera, nous arrêterons. Mais ce jour n’est pas venu. »
Cette résistance s’accompagne d’une humanité touchante : même dans la douleur, ces professeurs gardent une pensée pour l’agresseur adolescent, entre la vie et la mort après avoir retourné son arme contre lui.
Avec AFP

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