Comment les Chinois expliquaient les rêves

28 juillet 2015 08:57 Mis à jour: 3 février 2023 15:47

Le célèbre essai théorique De l’égalité des choses, écrit par l’ancien maître taoïste et philosophe Zhuang Zi (Tchouang-tseu), s’achève sur un passage mystérieux dans lequel le sage raconte un rêve – il est un papillon, « conscient seulement de son propre bonheur » en tant que tel.

En se réveillant, Zhuang Zi pose le dilemme suivant : était-il en train de rêver d’un papillon, ou était-ce le papillon, à présent endormi, qui rêvait de lui ?

Des millénaires d’interprétations

Carl Gustav Jung, le pionnier suisse de la psychologie analytique, soutenait que « la nature est souvent obscure, mais elle n’est pas fourbe, comme l’homme. Le rêve lui-même n’attend rien : c’est un contenu qui se suffit à lui-même, un simple fait naturel ».

Déjà sous la dynastie Shang, il y a près de 4000 ans, les Chinois accordaient une grande importance aux rêves qu’ils interprétaient comme un moyen d’explorer le monde des esprits. La cour et l’aristocratie Shang employaient des fonctionnaires qui se spécialisaient dans ce domaine de l’interprétation des rêves. On croyait alors que les rêves étaient le reflet de la chance ou de la malchance propre à chaque homme.

Le Livre des rites de Zhou, un classique confucéen compilé durant la Période des États combattants (475–221 av. J-C.), divise les rêves en six catégories distinctes. Dans un autre texte écrit durant la dynastie des Han orientaux (25–220), cette liste a été élargie à dix. Les hauts principes des rêves divinatoires, un ouvrage du 16e siècle, classe, de son côté, les rêves en neuf catégories. Ils donnent lieu également à différentes interprétations, en fonction du contexte, qu’il soit médical ou religieux par exemple.

Les rêves sont des leçons

Les maîtres taoïstes étaient connus pour leurs méthodes d’enseignement indirect. Inspirant naturellement l’éveil de leurs disciples, ils se distinguent d’autres méthodes qui demandent aux disciples de se conformer à un corps rigide de dogmes. Le folklore et les légendes chinoises interprètent souvent le rêve comme une allégorie de la condition humaine dans le « monde réel ».

Une histoire dans un oreiller, écrit en 719 durant la dynastie Tang par Li Mi, décrit un tel rêve. Dans celui-ci, un jeune homme, frustré d’avoir échoué aux épreuves impériales, rencontre un vieux taoïste. Prenant l’oreiller magique que lui tend le sage, le jeune homme rêve d’une vie entière remplie de succès et de fortune.

Quatre-vingts ans se sont écoulés, alors qu’il rêvait, et pourtant il se réveille à nouveau face au vieux taoïste. Par conséquent il prend conscience que le statut et la richesse expérimentés dans son sommeil ne sont pas différents des récompenses obtenues dans le « monde réel » à travers une recherche matérielle. Éveillé, le jeune érudit oriente sa vie vers l’élévation spirituelle au lieu des profits terrestres.

Également écrit par un auteur de l’ère Tang, Li Gongzuo, Le Gouverneur de Nanke met en scène le personnage Chun Yufen qui fait face à une expérience similaire. Ayant bu jusqu’à l’ivresse, Chun sombre dans un profond sommeil, où il voit apparaître deux divinités. Elles sont vêtues de pourpre – couleur de la sagesse selon la croyance populaire de l’époque – et emmènent Chun sur leur attelage.

Chun arrive dans un monde existant dans le creux d’un arbre et il lui est accordé une vie de bonheur, de pouvoir et de confort. Il devient fonctionnaire et épouse une princesse. Cependant, l’ascension auspicieuse de Chun s’assombrit d’abord avec sa défaite contre des envahisseurs étrangers, puis lorsque sa femme succombe à la maladie. Finalement, porté en disgrâce par le tribunal, Chun démissionne et décide de rentrer « chez lui ».

Embarquant sur l’attelage des divinités, il est ramené dans notre réalité, le royaume des mortels. En examinant le creux de l’arbre, il découvre que le monde qu’il habitait en rêve n’était qu’une fourmilière. Une vie de fortunes et de tristesses est passée le temps d’une sieste. Réalisant que les vicissitudes du monde humain ne sont pas plus importantes que les événements survenant dans une fourmilière, Chun quitte son village et s’isole pour vivre une retraite méditative, comme le veut la coutume taoïste.

De nombreux rêves, de nombreuses réalités

Comme le laisse entendre la fin du Gouverneur de Nanke, les Chinois ne prennent pas les rêves comme un simple produit du subconscient, mais comme des mondes entiers au-delà du nôtre. Compte tenu de ces royaumes d’existences, une des clés de l’interprétation des rêves est la nature interchangeable des rêves et de la réalité. Dans la même veine que les songeries de Zhuang Zi, la vie elle-même peut être une réflexion d’un monde plus grand, hors d’atteinte de notre esprit conscient.

Depuis plus de deux mille ans en Chine, s’entrecroisent le bouddhisme et le concept de réincarnation. La naissance d’une personne dans ce monde est en fonction de ce qu’elle a bien ou mal accompli dans ses vies précédentes. Ce monde en serait juste un parmi tant d’autres, aussi réels les uns que les autres, et les rêves nous y donneraient accès.

Égalité de la matière

« Quand nous dormons, l’âme communique », affirme Zhuang Zi dans son essai De l’égalité des choses. Dans un monde en constant changement, les rêves deviennent réels et la réalité s’évanouit dans les rêves. Une civilisation est une fourmilière, une nuit de sommeil peut contenir les expériences d’une vie. Beauté et laideur, plaisir et douleur ; même la vie et la mort s’amalgament dans un grand continuum de l’existence en changement perpétuel.

Dans un rêve mettant en scène son débat avec un crâne parlant, Zhuang Zi le voyageur est surpris d’entendre le crâne décrire la mort comme étant une félicité royale, lui permettant de « prendre la longévité du Ciel et de la Terre » comme sienne. Zhuang Zi, après avoir demandé au crâne s’il aimerait retourner vivre en tant qu’humain, ne reçoit qu’une réponse grimaçante : « Comment pourrais-je abandonner les joies d’un monarque pour m’en retourner dans les filets du monde humain ? »

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