En physique, un célèbre paradoxe qui ne tient qu’à une fibre…

4 mai 2018 09:01 Mis à jour: 4 mai 2018 09:01

Imaginez une barre de métal chauffée à l’une de ses extrémités. Au lieu que la chaleur ne se répartisse peu à peu sur toute sa longueur, la barre finirait par redevenir brûlante à l’endroit d’origine. Il s’agit là d’un processus physique où un système complexe retourne à son état initial au lieu d’évoluer vers l’équilibre : l’explication de ce paradoxe résiste depuis plus de soixante ans aux physiciens. Grâce une série de mesures bien plus riches et complètes qu’auparavant, réalisées dans des fibres optiques, notre équipe franco-italienne vient de franchir un palier dans la compréhension fine de ce phénomène.

La publication qui relate ses progrès, a fait la couverture de la revue Nature Photonics. Il s’agit de résultats de tout premier plan pour la physique en général mais il est aussi d’intérêt pour le public : le processus en question est au cœur de phénomènes aussi divers que la formation des vagues scélérates dans l’océan ou la conception d’horloges optiques de haute précision.

Enrico Fermi. (Department of Energy/Wikipedia)

Le projet Manhattan à l’origine du paradoxe

Retour en 1954, à l’origine de la découverte du paradoxe. Les acteurs en sont des scientifiques de premier plan, certains impliqués dans le projet Manhattan qui visait à doter les États-Unis de la bombe atomique, et a fait naître les tous premiers ordinateurs de l’histoire. Il s’agit de Stanislaw Ulam, John Pasta, et Mary Tsingou, et du prix Nobel de physique Enrico Fermi. Celui-ci a l’idée d’utiliser l’un de ces ordinateurs pour explorer des phénomènes physiques complexes nouveaux dont la résolution n’est pas possible par le calcul. Cela marque le début d’une révolution, la simulation numérique, qui est devenue incontournable dans tous des domaines de la physique.

Mais pour Fermi et ses collègues, ce premier essai sera celui d’une grande surprise : l’ordinateur révèle en effet un comportement tout à fait inattendu : le retour à son état initial du système qu’ils étudiaient.

Depuis, le problème a fait couler beaucoup d’encre. Les efforts répétés des physiciens pour le résoudre ont été particulièrement féconds pour les nombreuses branches de la physique où l’on peut l’observer. Ils ont conduit notamment à la découverte de la théorie du soliton, ces impulsions qui se déplacent sans déformation que l’on retrouve dans les océans, en physique des plasmas ou en optique.

Certains modèles prédisaient que le phénomène de Fermi, Pasta et Ulam était en fait cyclique (le système retournant plusieurs fois à l’état initial). Mais les expériences qui l’avaient mis en évidence dans de nombreux domaines différents, comme la physique des plasmas, en hydrodynamique, ou dans les fibres optiques n’avaient jamais plus observé plus d’un retour à l’état initial : les pertes d’énergie atténuaient trop rapidement ses manifestations.

Des fibres optiques pour observer le paradoxe

Diffusion de la lumière dans une fibre optique.

Grâce à notre expertise des fibres optiques, notre équipe lilloise du laboratoire PHLAM associée à un théoricien italien est parvenue à trouver un moyen de compenser ces pertes sur plus de huit kilomètres de fibre, en ajoutant une autre source de lumière de couleur très différente. Cette disposition inédite nous a permis d’observer pour la première fois un deuxième retour à l’état initial. L’expérience s’est déroulée au sein de la plate-forme FiberTech Lille, de l’institut de recherche sur les composants logiciels et matériels pour l’information et la communication avancée (Ircica).

Plusieurs récurrences de Fermi Pasta Ulam avec alternance de maxima (rouge) et minima (bleu clair).

Nous sommes allés plus loin. Grâce à un astucieux dispositif exploitant la diffusion de la lumière par les impuretés de la fibre (diffusion Rayleight), nous sommes parvenus à mesurer, non seulement l’intensité de la lumière, mais aussi ce que les spécialistes en optique appellent sa phase, et ce, sur toute sa longueur. Nous avons alors observé un comportement inédit : les récurrences se décalent d’un cycle à l’autre, les maxima prenant la place des minima.

Ce résultat prévu par certains modèles ouvre une nouvelle voie dans la compréhension de ce phénomène qui est à la base de nombreux autres processus complexes : les peignes de fréquence. Ces véritables « règles lasers », en plein développement ces dernières années font entrevoir un grand nombre d’applications nouvelles, allant de la mesure de distance pour les voitures autonomes à la découverte d’exoplanètes.

Arnaud Mussot, Professeur au Laboratoire de Physique des Lasers Atomes et Molécules (PHLAM), CNRS UMR8523, IRCICA, Université de Lille – ULNE

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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