Les États-Unis abandonnent-ils l’Afrique à la Chine ?

17 septembre 2018 05:15 Mis à jour: 17 septembre 2018 05:15

Deux phénomènes internationaux récents ont attiré l’attention du monde sur l’Afrique. Le premier est le financement généreux de la Chine et l’autre est le retrait des forces militaires américaines. Qu’est-ce que cela signifie quand les deux grandes puissances mondiales entrent et sortent simultanément du continent africain ? Pourquoi les pays d’Afrique sont-ils devenus si importants pour la Chine ?

La générosité soudaine de la Chine envers les pays africains est une mesure de précaution au cas où elle perdrait une partie du marché américain dans la guerre commerciale. L’efficacité réelle de cette stratégie peut être décevante, car ces pays pourraient ne pas rendre les faveurs de la Chine.

Capture d’écran sur CGTN français

Lors du Forum sur la coopération sino-africaine (FCSA) qui s’est tenu à Pékin au début du mois, Xi Jinping a annoncé que la Chine fournira 52 milliards € (60 milliards $ US) d’aide financière aux pays africains au cours des trois prochaines années. En juillet, le New York Times a rapporté que, même si l’armée américaine aidait à la formation antiterroriste dans un certain nombre de pays africains, elle prévoyait de réduire ses effectifs militaires de moitié au cours des prochaines années. Cela implique que les États-Unis ont l’intention de se retirer progressivement de l’Afrique.

Les relations entre les États-Unis et l’Afrique

Les États-Unis ont fait beaucoup pour promouvoir le développement économique en Afrique. L’ancien président américain Barack Obama a adopté la Loi sur la croissance et les possibilités économiques en Afrique. Auparavant, la structure industrielle des pays africains se limitait à l’exportation de minéraux et de produits agricoles.

Les pays en développement partagent trois caractéristiques communes. D’abord, ils exportent principalement des minéraux et des produits agricoles. Deuxièmement, ils exportent les produits vers les pays développés en échange d’importations de biens de consommation et d’équipements industriels. Troisièmement, il n’y a pas beaucoup d’échanges commerciaux entre les pays de la région. La plupart des pays africains sont des pays en développement.

Sous le gouvernement Obama, les États-Unis ont fourni 6 milliards € (7 milliards $ US) en technologie, en finances et en investissements aux pays africains et ont supprimé les droits de douane sur les exportations de certains pays africains.

En dépit de ces conditions préférentielles, les exportations africaines vers les États-Unis ne se sont pas sensiblement améliorées. Quatre-vingts pour cent de leurs exportations vers les États-Unis étaient du pétrole et le commerce avec les pays africains représentait moins de 2 % du commerce extérieur total des États-Unis.

Les États-Unis ont également offert aux pays africains de nombreuses possibilités d’immigration. En 2000, il n’y avait que 690 000 immigrants africains aux États-Unis. En 2015, ce nombre était passé à 1,3 millions € (1,72 millions US), soit environ une fois et demie de plus. Dans le même temps, les envois de fonds reçus par les pays subsahariens par les voies appropriées en provenance des États-Unis sont passés de 4,2 milliards € (5 milliards $ US) par an avant 2004 à 30 milliards € (35 milliards $ US) en 2015, selon un rapport du Migration Policy Institute.

Ces 30 milliards € d’envois de fonds annuels sont devenus essentiels pour répondre aux besoins intérieurs de certains pays africains. Son effet est beaucoup plus important que celui des autres aides. Il semble que la plus grande contribution aux pays africains dans le cadre de la politique africaine d’Obama n’ait pas été de promouvoir le développement économique local, mais plutôt les effets des transferts de fonds générés par les immigrants africains aux États-Unis.

L’augmentation des envois de fonds des immigrants africains montre également qu’ils peuvent travailler dur pour améliorer la vie de leur famille dans leur pays d’origine. Mais dans ces pays, l’autocratie politique, la corruption, les troubles internes et le retard limitent les progrès. L’environnement social favorable des États-Unis leur a donné l’occasion de réussir. Mais les problèmes des pays africains ne peuvent être complètement résolus par la mise en place de systèmes démocratiques. L’aide économique étrangère peut aider pendant un certain temps, mais il est difficile de changer la culture politique et les traditions sociales locales.

La Chine peut-elle intégrer l’Afrique à l’économie mondialisée ?

Une caissière compte des billets de yuans dans une banque à Lianyungang, province du Jiangsu, le 11 août 2015. (STR / AFP / Getty Images)

Quand la Chine parle aujourd’hui de développer le marché africain et de mettre en place la « Nouvelle route de la soie » en Afrique, il semble que la situation soit des plus gagnants entre la Chine et l’Afrique en amenant les pays africains dans la mondialisation économique. Mais cela ne prend pas en considération le faible niveau de développement de l’Afrique, ce qui rend le commerce avec les pays africains tout à fait différent du commerce avec les pays développés auquel la Chine est habituée.

Le degré d’industrialisation ou de développement de l’économie globale d’une région peut être mesuré par la proportion du commerce entre les pays de la région par rapport au volume total du commerce de ces pays. Plus la part du commerce entre les pays de la région dans le volume total des échanges de ces pays est élevée, plus les économies de cette région sont développées.

Avant le début de la mondialisation économique au milieu du XXe siècle, la théorie populaire de gauche en sciences sociales occidentales voulait que les pays d’Amérique latine dépendent de l’exportation de minéraux et de produits agricoles vers les pays développés, ce qui est un symbole de sous-développement.

Puis, après la mondialisation économique, les pays d’Amérique latine ont-ils progressé ? Selon l’Economist, le commerce entre les pays d’Amérique centrale et d’Amérique du Sud ne représentait que 27 % du volume total de leurs importations et exportations ; en revanche, la même proportion était de 63 % dans les pays européens et 52 % dans les pays asiatiques.

En Europe et en Asie, la mondialisation de l’économie a en effet contribué à resserrer le développement économique entre les pays. L’industrie manufacturière est développée et les industries sont complémentaires. Par conséquent, le volume des échanges commerciaux entre les pays de la région représente une part relativement élevée de leurs échanges mondiaux.

Mais la situation en Afrique est loin d’être la même. En 2016, les pays d’Afrique subsaharienne ne représentaient que 18 % du total de leurs exportations sur le continent africain (Mariama Sow, Africa’s Intra- and Extra-Regional Trade, 29 mars 2018). Ce ratio montre que les économies des pays africains dépendent encore fortement de l’exportation de minéraux et produits agricoles vers l’Europe, les États-Unis et les pays asiatiques. Leur capacité d’importer des biens de consommation et de l’équipement industriel dépend du montant des devises gagnées par les exportations.

Il a fallu un demi-siècle aux pays d’Amérique centrale et d’Amérique du Sud pour porter ce ratio à 27 %. Si les pays africains veulent atteindre le niveau actuel des pays d’Amérique latine, cela pourrait prendre au moins un demi-siècle.

Pourtant, un demi-siècle plus tard, les pays africains seraient comme les pays actuels d’Amérique centrale et d’Amérique du Sud, dépendant de l’exportation de minéraux et de produits agricoles pour des devises étrangères limitées. Le plan de financement à grande échelle de la Chine en Afrique compte-t-il sur des rendements limités après 2070 ?

La Chine peut-elle utiliser l’Afrique comme marché de remplacement ?

La guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine indique que la Chine pourrait graduellement perdre le marché américain, un vaste marché qui soutient la croissance économique de la Chine depuis de nombreuses années. La Chine doit de toute urgence trouver de nouveaux marchés pour ses capacités excédentaires.

Wei Jianguo, ancien vice-ministre du Commerce et vice-secrétaire général du Centre chinois des échanges économiques internationaux, a déclaré qu’au cours des cinq prochaines années, la Chine espère exporter 430 milliards € (500 milliards $ US) de marchandises chaque année vers les pays africains et remplacer les États-Unis par l’Afrique comme premier marché d’exportation de la Chine. La question est de savoir si les pays africains peuvent répondre aux exigences de la Chine.

Bien que le commerce extérieur des pays d’Afrique subsaharienne représente plus de la moitié de leur PIB, leur commerce extérieur représente moins de 2 % du commerce extérieur mondial, dont la part des exportations de minéraux et de produits agricoles n’a pas diminué mais a augmenté de 12 % entre 1995 et 2014.

La dépendance à l’égard de l’exportation de produits minéraux pour ces pays s’est accrue. Il indique les trois points suivants. D’abord, la croissance économique de ces pays a beaucoup à voir avec l’exportation de produits minéraux. Deuxièmement, les variations des prix du pétrole sur le marché international ont un impact important sur la hausse et la baisse économiques de ces pays. Le prix du pétrole a été ramené de 120 € (140 $ US) le baril de juin 2014 à 60 € (70 $ US) actuellement. L’augmentation de la production d’huile de schiste aux États-Unis va freiner pendant longtemps la hausse des prix internationaux du pétrole, de sorte que le potentiel de croissance économique des pays africains a considérablement diminué. Troisièmement, le potentiel de croissance future des importations de ces pays diminue également avec la baisse des échanges à l’exportation. En 2016, les exportations de la Chine vers l’ensemble des pays africains (y compris les pays arabes et les pays d’Afrique subsaharienne) n’ont totalisé que 79 milliards € (92,2 milliards $ US), alors que les exportations de ces pays vers la Chine n’ont été que de 51 milliards € (56,9 milliards $ US). Il est imprudent de s’attendre à ce que le volume des importations en provenance de Chine vers les pays africains augmente quatre fois au cours des cinq prochaines années.

Pour la Chine, il n’est pas difficile d’élargir un peu le marché africain, ce qui peut être réalisé en prêtant de l’argent aux pays africains. Mais il est impossible de développer le marché africain plusieurs fois en quelques années. Ce qui est encore plus difficile, c’est que les pays pourraient ne pas être en mesure de rembourser leurs dettes. Ce type de modèle d’entreprise peut-il être le pilier du développement économique de la Chine ?

Cheng Xiaonong est un spécialiste de la politique et de l’économie de la Chine

Cheng Xiaonong est un spécialiste de la politique et de l’économie de la Chine basé dans le New Jersey. Il est diplômé de l’Université Renmin, où il a obtenu sa maîtrise en économie, et de l’Université de Princeton, où il a obtenu son doctorat en sociologie. En Chine, M. Cheng a été chercheur en sciences politiques et assistant de l’ancien chef du parti, Zhao Ziyang, lorsque Zhao était Premier ministre. Cheng Xiaonong a été chercheur invité à l’Université de Gottingen et de Princeton, et il a été rédacteur en chef de la revue Modern China Studies. Ses commentaires et ses chroniques paraissent régulièrement dans les médias chinois à l’étranger.

Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.

Références :

Version originale

Soutenez Epoch Times à partir de 1€

Comment pouvez-vous nous aider à vous tenir informés ?

Epoch Times est un média libre et indépendant, ne recevant aucune aide publique et n’appartenant à aucun parti politique ou groupe financier. Depuis notre création, nous faisons face à des attaques déloyales pour faire taire nos informations portant notamment sur les questions de droits de l'homme en Chine. C'est pourquoi, nous comptons sur votre soutien pour défendre notre journalisme indépendant et pour continuer, grâce à vous, à faire connaître la vérité.