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plus-iconFibres alimentaires et santé digestive

Inuline : une fibre très utilisée, aux effets potentiellement ambivalents pour certaines personnes

Présente dans de nombreux aliments transformés, l’inuline a été associée au cancer dans des études animales et dans un premier cas clinique chez l’être humain. Souvent présentée comme une solution pour pallier le manque de fruits et de légumes dans l’alimentation occidentale, l’inuline raffinée s’est discrètement imposée dans presque toutes les catégories d’aliments transformés — des gâteaux et confiseries aux yaourts et aux laits infantiles. Certaines personnes vont même jusqu’à en ajouter une cuillère dans leur café du matin.

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Photo: SGH/Shutterstock

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Durée de lecture: 16 Min.

Cette fibre d’origine végétale est devenue très prisée par l’industrie agroalimentaire, car il s’agit d’un prébiotique : elle nourrit les bactéries intestinales, ce qui la rend idéale pour les aliments dits « fonctionnels ».
Mais l’image santé de l’inuline se trouble aujourd’hui. Des données émergentes suggèrent que cette fibre n’est pas bénéfique pour tout le monde et pourrait même être associée au cancer chez certaines personnes. Cette situation, conjuguée à d’autres études continuant de souligner les effets positifs de l’inuline, crée une véritable zone grise pour les consommateurs.
« L’utilisation de ces fibres prébiotiques peut être un moyen puissant d’améliorer la santé, mais cela doit se faire avec prudence », a déclaré à Epoch Times Andrew Gewirtz, spécialiste de l’inuline et chercheur à l’université d’État de Géorgie. « Il peut aussi y avoir des conséquences négatives. »

L’histoire d’un patient

Peu de personnes sont aujourd’hui aussi concernées par ces questions que Lowell Parker, le patient — resté anonyme dans un premier temps — d’un rapport de cas établissant un lien entre un cancer du côlon métastatique et une supplémentation en inuline.
Souhaitant augmenter son apport en fibres et améliorer sa santé cardiovasculaire, ce chercheur retraité en chimie, très attentif à son hygiène de vie, a commencé à ajouter chaque jour une cuillère à café de poudre d’inuline raffinée à sa boisson matinale. Cette habitude provoquait des gargouillements intestinaux et des gaz — des signes qu’il interprétait comme positifs, convaincu qu’il enrichissait ainsi sa flore intestinale et améliorait sa santé.
Comme d’autres fibres, l’inuline nourrit les bactéries intestinales qui produisent des composés bénéfiques ; selon plusieurs études, ces substances peuvent renforcer la barrière intestinale et potentiellement détruire des cellules cancéreuses.
Deux ans après le début de cette consommation quotidienne d’inuline, une coloscopie de routine réalisée en 2021 a révélé une tumeur : un cancer de stade III, avec atteinte d’un ganglion lymphatique. Lowell Parker a alors radicalement changé d’avis sur l’inuline — le seul changement de mode de vie intervenu depuis sa précédente coloscopie, qui remontait à sept ans et était normale. Son hypothèse d’un lien entre l’inuline et son cancer métastatique a été jugée suffisamment crédible pour qu’Andrew Gewirtz décrive ce cas dans une étude publiée dans Gastro Hep Advances.
Ce cas s’inscrit dans la continuité des travaux antérieurs de Andrew Gewirtz reliant l’inuline au cancer chez l’animal. Ces recherches ont montré que l’inuline pouvait déclencher une inflammation chronique de la muqueuse du côlon, susceptible de favoriser l’apparition d’un cancer dans certains cas — en particulier chez des sujets présentant une dysbiose, c’est-à-dire un déséquilibre du microbiote intestinal.
« Nous avons tendance à oublier que la biologie de chacun est unique », souligne Lowell Parker. « Ce n’est pas parce que cela ne pose pas de problème à certains que cela n’en pose pas à d’autres. »
Le mécanisme d’action de l’inuline l’inquiète : cette fibre pourrait-elle également nourrir des bactéries nocives et favoriser leur prolifération, jusqu’à conduire à un cancer ?

Des résultats inattendus chez l’animal

En 2018, Andrew Gewirtz et le chercheur en microbiome Vishal Singh s’attendaient à des résultats positifs lorsqu’ils ont mené leur étude chez la souris sur la supplémentation en inuline. Ils pensaient que cette fibre transformée pourrait aider à inverser certaines maladies métaboliques chroniques, comme la stéatose hépatique ou le diabète de type 2.
Les résultats — publiés dans la revue Cell — se sont révélés contrastés. Si l’étude a confirmé les bénéfices métaboliques attendus, elle a également montré que certaines souris présentant déjà une dysbiose développaient un cancer du foie lorsqu’elles recevaient de l’inuline.
« Ce résultat a été une énorme surprise », a confié à Epoch Times Vishal Singh, professeur de physiologie nutritionnelle à l’université d’État de Pennsylvanie.
Chez les souris nourries avec une alimentation saine, l’inuline améliorait le métabolisme, prévenait l’obésité et corrigeait les troubles intestinaux. En revanche, celles consommant des aliments transformés développaient un microbiote déséquilibré — et ce sont elles qui ont développé un cancer.
Chez l’être humain, les causes de la dysbiose ne se limitent pas à l’alimentation : antibiotiques, autres médicaments, toxines environnementales, tabac, alcool et stress peuvent également en être responsables.
« De tels résultats devraient inciter à la prudence face à l’incorporation croissante de ces fibres dans les aliments transformés, qui pourrait contribuer à l’association récemment mise en évidence entre la consommation d’aliments ultra-transformés et l’incidence du cancer », ont écrit les auteurs.

Une base scientifique fragile

La sécurité de l’inuline en matière de cancer repose en grande partie sur une seule étude datant de 1988, publiée dans le Journal of the American College of Toxicology. Les fabricants d’inuline ont cité cette étude dans treize pétitions adressées à la Food and Drug Administration (FDA) “Administration des aliments et des médicaments”américaine sur une période de vingt ans, afin d’obtenir le statut « généralement reconnu comme sûr » (GRAS).
Ce statut permet d’éviter la procédure classique d’autorisation préalable à la mise sur le marché des nouveaux aliments. Il revient alors aux entreprises de fournir à la FDA des preuves de l’innocuité de leurs produits.
L’étude de 1988 évaluait la toxicité et le potentiel cancérogène d’un produit à base d’inuline appelé Neosugar chez le rat. Elle concluait que le produit était sûr « comme prévu », les taux de tumeurs étant comparables entre les rats supplémentés et le groupe témoin.
« En lisant l’article et en examinant les analyses statistiques, j’ai eu le sentiment que quelque chose n’allait pas », explique Lowell Parker, ancien tuteur en mathématiques et en sciences.

Des erreurs statistiques aux conséquences majeures

Lowell Parker a sollicité deux statisticiens familiers des méthodes utilisées dans l’étude, qui ont tous deux confirmé ses doutes. Il a ensuite co-signé une réanalyse des données avec Markus Neuhäuser, statisticien et professeur de mathématiques à l’université de Coblence, en Allemagne.
Selon Markus Neuhäuser, deux erreurs statistiques majeures figuraient dans l’étude originale de 1988.
La première concernait l’utilisation d’un mauvais type d’analyse statistique. Les chercheurs ont appliqué une méthode destinée à mesurer des variables continues — par exemple l’augmentation du prix d’un billet d’avion avec la distance — alors que leurs données étaient binaires : soit l’animal avait une tumeur, soit il n’en avait pas. Une autre méthode aurait dû être employée.
« Les chercheurs ont mélangé ces deux approches : ils ont appliqué un modèle de régression logistique, mais ont calculé la significativité comme s’il s’agissait d’une régression linéaire », explique Markus Neuhäuser. « En conséquence, certaines augmentations significatives sont passées inaperçues. »
Lorsqu’il a réanalysé les données avec une régression logistique appropriée, Markus Neuhäuser a mis en évidence une augmentation significative du nombre de tumeurs chez les rats recevant de l’inuline.
La seconde erreur consistait à combiner les données des rats mâles et femelles, alors que la tendance tumorale était à la hausse chez les mâles et à la baisse chez les femelles. Ensemble, ces données donnaient l’impression d’une absence de potentiel cancérogène.
« Évidemment, ce n’est pas correct », souligne Markus Neuhäuser. « On ne peut pas conclure à une absence d’effet global lorsque la moitié de la population présente un effet significatif. »
Si les erreurs sont fréquentes en science, rappelle-t-il, elles modifient rarement les conclusions d’une étude.
« Ici, c’est différent », insiste-t-il. « L’erreur est bien plus grave que la moyenne : le résultat final est complètement modifié. »

Des auteurs difficiles à retrouver

Lowell Parker n’est pas parvenu à contacter l’auteur principal de l’étude originale, M. A. Clevenger. Lowell Parker et Markus Neuhäuser ont d’abord tenté de publier leur réanalyse dans l’International Journal of Toxicology, successeur de la revue ayant publié l’étude de M. A. Clevenger. Les éditeurs leur ont répondu que l’ensemble des données disponibles sur l’inuline importait davantage qu’une seule étude.
Après plusieurs tentatives infructueuses — dont un journal de toxicologie incapable de trouver des évaluateurs — ils ont finalement réussi à publier leur article cette année dans Communications in Statistics.
« C’était assez étonnant », confie Markus Neuhäuser. « Maintenant que c’est publié, nous verrons s’il y a des conséquences. »

La réponse de la FDA

L’objectif final de Lowell Parker et Markus Neuhäuser est d’alerter la FDA et la communauté scientifique sur le caractère potentiellement défaillant de cette étude fondatrice, afin qu’une investigation approfondie soit menée ou que des avertissements figurent sur les produits.
La FDA indique qu’elle donne la priorité à l’examen des additifs alimentaires et a partagé une base de données des produits actuellement en cours d’évaluation. Au moment de la publication, l’inuline ne figurait pas sur cette liste. Toutefois, l’agence a précisé par courriel à Epoch Times que la réanalyse de l’étude de Clevenger « constitue un signal à prendre en compte dans le cadre de notre processus systématique d’évaluation post-commercialisation ».
La FDA rappelle également qu’elle ne s’appuie jamais sur une seule étude pour évaluer la sécurité d’un produit, mais prend en compte de multiples sources d’information, dont plusieurs études, les niveaux de consommation et les procédés de fabrication.
Andrew Gewirtz estime que l’inuline n’obtiendrait probablement pas aujourd’hui l’autorisation de la FDA si elle arrivait pour la première fois sur le marché, en raison des nouvelles données et des études récentes remettant en question son innocuité universelle.

Les nuances de l’inuline

Une revue publiée en 2024 dans Gastroenterology Report illustre à quel point les effets de l’inuline sont nuancés. Ils dépendent du microbiote de départ, de la durée de la supplémentation, de la quantité consommée et du type d’inuline utilisé.
Parmi les bénéfices observés, une supplémentation à court terme en inuline pendant un traitement contre le cancer est associée à une meilleure réponse aux thérapies conventionnelles, à une atténuation des symptômes, à une récupération plus rapide et à une meilleure cicatrisation après une intervention chirurgicale.
« Cependant, les essais cliniques fournissent peu de preuves de l’efficacité de l’inuline dans la prévention du cancer colorectal », notent les auteurs. « De plus, des données récentes suggèrent qu’une consommation inappropriée d’inuline pourrait même être délétère pour la santé gastro-intestinale dans certaines circonstances. »
Bien que des recherches supplémentaires soient nécessaires pour définir ce qu’est une consommation inappropriée, la revue mentionne notamment les personnes dont la muqueuse colique est fragilisée — comme celles atteintes de maladies inflammatoires chroniques de l’intestin —, les apports excessifs ou prolongés, ainsi qu’une alimentation riche en graisses, en sucres raffinés et en produits ultra-transformés, qui augmente déjà le risque de cancer colorectal.
Chez les personnes présentant une forte concentration de bactéries productrices de toxines — en particulier celles atteintes de maladies inflammatoires de l’intestin ou d’un cancer colorectal —, l’inuline peut aggraver l’inflammation intestinale.
Les auteurs soulignent que davantage d’études sont nécessaires et précisent que les effets négatifs de l’inuline sont surtout associés aux suppléments hautement purifiés, et qu’ils sont peu susceptibles de compenser les dommages liés à une alimentation riche en produits transformés.

Que doit faire le consommateur ?

Selon les experts, l’inuline ne doit pas être envisagée de manière manichéenne, mais une chose est certaine : l’inuline naturellement présente dans les aliments constitue une option plus sûre.
« Si vous prenez cela dans l’objectif d’améliorer votre santé, je ne pense pas que ce soit une bonne idée », estime Andrew Gewirtz, tout en précisant que consommer occasionnellement un produit contenant de l’inuline ne présente pas de danger.
L’inuline se trouve naturellement dans les bananes, les poireaux, les oignons, les asperges, l’ail, la racine de chicorée et le topinambour — des aliments à la saveur douce et à la texture épaisse, qui expliquent l’attrait de l’inuline raffinée sous forme de poudre concentrée.
Une exposition occasionnelle à des produits contenant de l’inuline n’a pas de quoi inquiéter, rappelle le chercheur. En revanche, il déconseille son utilisation sous forme de complément alimentaire à des fins de santé.
La meilleure stratégie consiste à privilégier l’inuline apportée naturellement par les aliments. Même si les suppléments semblent surtout poser problème chez les personnes ayant déjà des troubles digestifs, les résultats scientifiques restent hétérogènes et encore débattus — ce qui fait de l’inuline issue d’aliments entiers le choix le plus prudent.
Amy Denney est journaliste spécialisée dans la santé à Epoch Times. Elle est titulaire d'une maîtrise en journalisme d'affaires publiques de l'université de l'Illinois à Springfield et a remporté plusieurs prix pour ses enquêtes et ses reportages sur la santé. Elle couvre le microbiome, les nouveaux traitements et le bien-être intégratif.

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