Jean Malaurie, l’explorateur du Grand Nord et défenseur des Inuits, est décédé

Par Vincent Solacroup
5 février 2024 17:17 Mis à jour: 5 février 2024 17:22

L’ethnologue et éditeur Jean Malaurie, décédé à l’âge de 101 ans, a été l’inlassable avocat des « peuples premiers » particulièrement du Grand Nord, dénonçant avec charisme la « fatigue » d’un Occident qui a perdu le contact avec la nature.

Le Grand Nord exerçait sur lui « une force d’appel si profonde qu’elle était devenue une obsession », martelait cet auteur d’une douzaine de livres, créateur de la collection « Terre humaine ». Il a passé dix ans de sa vie entre le Groenland et la Sibérie.

Premier homme à rejoindre le pôle géomagnétique Nord

Premier homme, avec l’Inuit Kutsikitsoq, à rejoindre en 1951 le pôle géomagnétique Nord (qui n’est pas le pôle Nord) en deux traîneaux à chiens, Jean Malaurie a dirigé la première expédition franco-soviétique en Tchoukotka sibérienne en 1990. Il fut également le premier Occidental à découvrir, cette année-là, « l’allée des baleines », monument du nord-est sibérien d’esprit chamanique, ignoré jusqu’à son identification dans les années 70 par l’archéologie soviétique.

« Terre humaine », une collection pour défendre les « peuples premiers »

La collection « Terre humaine » (ed. Plon) est née parce qu’il a été « bouleversé » en 1951 par l’implantation brutale d’une base nucléaire américaine : il a voulu mettre en garde contre le risque que la terre ne soit plus, un jour, humaine. Il a dénonçé la destruction du territoire des Inuits par l’implantation de cette base américaine et a décrit le mode de vie de ce peuple méconnu dans le livre qui l’a rendu célèbre, « Les Derniers Rois de Thulé » chez Plon en 1955. À son catalogue figure le « Tristes tropiques » de Claude Lévi-Strauss.

Attaché au chamanisme, il regrettait qu’il lui soit parfois impossible « de faire comprendre que les “peuples premiers” ont une pensée égale à la nôtre ». « On peut être titré et sans culture, on peut être illettré et être cependant un sage », assurait-il.

Il a publié en 2022 ses mémoires, « De la pierre à l’âme », toujours chez Terre humaine. Ce titre était une évocation de sa conception scientifique selon laquelle la culture et le système de croyances de l’individu (l’âme) ne pouvait être compris sans tenir compte de ses relations à son milieu naturel (la pierre).

Une « grande gueule » hyper énergique

Immense carcasse vigoureuse aux yeux plissés, mèches blanches et épais sourcils noirs jusqu’à un âge avancé, voix tonnante, Jean Malaurie était avant tout un « caractère », une « grande gueule » hyper énergique, ferraillant contre le déclin de l’Occident : « nos sens sont fatigués. À force de téléphones, de calculettes, nous sommes devenus des handicapés. »

Méfiant à l’égard des systèmes philosophiques et, selon son expression, « des grands mots en ‘ismes’, comme fascisme ou communisme », ce géographe de formation n’aimait pas les étiquettes. Lui-même n’était pas réductible à une seule spécialité : était-il d’abord un explorateur ? Un scientifique ? Un aventurier ? Un écrivain ? Un éditeur ? Il a été tout cela à la fois.

Grande figure du CNRS français, il a co-fondé au début des années 1990 l’Académie polaire d’Etat de Saint-Pétersbourg, chargée de former des élites chez les peuples transsibériens, dont il était président d’honneur à vie.

Il expliquait ainsi son travail : « Je suis nomade, je flaire, je note tout puis je deviens sédentaire, citoyen parmi d’autres, vêtu d’une peau de bête. » Il parlait avec ferveur des périodes passées dans des igloos, à manger du poisson cru par -5° (et -30° hors de l’abri).

« Peut-être reviendrai-je sous la forme d’un papillon ? »

Jean Malaurie est né le 22 décembre 1922 à Mayence (Allemagne) où enseigne son père, dans une famille bourgeoise et austère. Il racontait qu’une traversée du Rhin gelé, effectuée tout gamin, a peut-être déterminé sa vocation pour le monde des glaces.

Résistant pendant la guerre, il suit à Paris des études de lettres et de géographie. Avec son maigre salaire d’attaché de recherche au CNRS, il part à Thulé, au nord-ouest du Groenland en 1950 en qualité de cartographe et géocryologue (spécialiste des minéraux). Ce séjour changera sa vie.

Croisant la géographie, l’ethnologie et l’histoire, Jean Malaurie a contribué à bâtir une nouvelle approche interdisciplinaire de l’étude de l’homme.

« J’aimerais juste que mes cendres soient dispersées au-dessus de Thulé, au Groenland. D’une façon ou d’une autre je continuerai à vivre, peut-être reviendrai-je sous la forme d’un papillon ? », confiait-il au magazine Télérama, à quelques mois de ses 98 ans.

Il disait alors avoir « plusieurs projets en cours » pour « remettre sur de bons rails » la collection « Terre humaine », qui selon lui partait « à vau-l’eau ». En février 2021, il a quitté ses fonctions de président d’honneur de la collection.

Louant sa conscience écologique précoce, le prince Albert II de Monaco décrivait l’auteur comme « le modèle, la référence pour tous ceux qui (…) se mobilisent pour notre planète et pour ses pôles ».

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