La démocratie en Asie du Sud-Est arrive à la croisée des chemins

23 juin 2015 11:00 Mis à jour: 26 juin 2015 17:25

 

WASHINGTON – Les démocraties fragiles ou émergentes en Birmanie, en Thaïlande et au Cambodge sont à la croisée des chemins. Les décisions qui sont prises durant cette période charnière détermineront la nature des réformes démocratiques pour les mois et les années à venir, selon les témoignages offerts durant une audience du Sous-comité pour l’Asie et le Pacifique du Comité des Affaires étrangères de la Chambre des représentants américaine le 11 juin dernier.

Le président du comité, le républicain Matt Salmon, a déclaré que la promotion de la démocratie, des droits de la personne et de la bonne gouvernance est depuis longtemps un élément central de la politique étrangère américaine et il ne faut pas oublier son importance alors que les États-Unis font avancer leurs intérêts militaires et économiques.

Salmon a souligné que le Japon, la Corée du Sud, les Philippines et Taiwan sont des démocraties établies en Asie. Les démocraties émergentes, comme l’Indonésie, la Mongolie et le Timor-Leste, sont aussi importantes, mais M. Salmon voulait que l’audience se penche sur la Birmanie, la Thaïlande et le Cambodge, «des pays qui font la transition ou qui ont échoué la transition vers un système pleinement démocratique».

Au sein du premier groupe d’experts, il y avait trois responsables du département d’État qui ont abordé les facteurs qui favorisent ou qui nuisent aux réformes démocratiques dans chaque pays. Tom Malinowski, sous-secrétaire du Bureau de la démocratie, des droits de la personne et du travail; Scot Marciel, sous-secrétaire adjoint principal du Bureau des Affaires Est-asiatiques et pacifiques; et Jonathan Stivers, sous-administrateur du Bureau Asie de USAID, ont coécrit leur témoignage présenté à l’audience.

De manière générale, le Département d’État était très optimiste. À l’opposé, le deuxième groupe d’experts, composé de membres d’organisations non gouvernementales, était pessimiste et a exhorté le gouvernement américain à faire davantage pour promouvoir la démocratie et les droits de la personne dans la région.

Des représentants du département d’État américain participent à une audience sur la démocratie en Asie le 11 juin 2015 à Washington, D.C. Il s’agit de Tom Malinowski (gauche), sous-secrétaire du Bureau de la Démocratie, des Droits de la personne et du Travail; Scot Marciel (centre), sous-secrétaire adjoint principal du Bureau des Affaires Est-asiatiques et pacifiques; et Jonathan Stivers (droite), sous-administrateur du Bureau Asie de USAID. (Gary Feuerberg/Époch Times)
Des représentants du département d’État américain participent à une audience sur la démocratie en Asie le 11 juin 2015 à Washington, D.C. Il s’agit de Tom Malinowski (gauche), sous-secrétaire du Bureau de la Démocratie, des Droits de la personne et du Travail; Scot Marciel (centre), sous-secrétaire adjoint principal du Bureau des Affaires Est-asiatiques et pacifiques; et Jonathan Stivers (droite), sous-administrateur du Bureau Asie de USAID. (Gary Feuerberg/Époch Times)

Espoir de transition démocratique en Birmanie

Après cinq décennies de régime militaire, les élections parlementaires de novembre en Birmanie seront cruciales pour déterminer si la dictature laissera finalement place à une démocratie représentant les aspirations de la population. Le président américain, Barack Obama, a qualifié cette élection de «question la plus pressante» pour la Birmanie et plusieurs hauts responsables américains, dont le secrétaire d’État John Kerry, ont passé le message aux autorités birmanes, a indiqué M. Malinowski qui a visité le pays en janvier dernier avec d’autres hauts responsables civils et militaires.

«La crédibilité des élections sera déterminée par le degré de confiance qu’aura la population birmane dans l’impartialité du processus électoral…», a déclaré M. Malinowski.

Il a également affirmé que ce qui surviendra après les élections, notamment en ce qui concerne les changements constitutionnels, aura une grande incidence pour déterminer si un gouvernement civil prendra les rênes du pays. «La constitution accorde à l’armée des pouvoirs extraordinaires», a-t-il écrit.

Peter Manikas du National Democratic Institute partage le point de vue du département d’État selon lequel les élections parlementaires de novembre représentent un «test» de «l’engagement des dirigeants envers les réformes démocratiques authentiques et une occasion d’augmenter la confiance des citoyens envers la transition d’un régime militaire à un gouvernement civil».

Néanmoins, l’avenir est très incertain selon M. Manikas. Selon lui, la transition est inégale et a ralenti. «Tandis que l’espace politique s’est ouvert pour les militants prodémocratie, le respect des droits de réunion et d’expression n’est pas garanti. Beaucoup de prisonniers politiques ont été libérés sous condition, alors que d’autres demeurent en détention…»

Kelley Currie, du Project 2049 Institute, est allée plus loin et a écrit dans son témoignage que, «depuis la visite d’Obama en novembre 2012, les réformes ont stoppé net et la situation s’est continuellement aggravée pour la société civile…».

Mme Currie a également accusé la Birmanie de ne pas faire un effort sincère pour régler la situation de la minorité musulmane rohingya, alors que «des milliers demeurent confinés à des camps sans emploi, sans soins médicaux et sans éducation». C’est ce sort qui a poussé nombre d’entre eux à prendre la mer, causant la crise migratoire actuelle dans la mer d’Andaman et la baie du Bengale.

«Plus de 100 000 Rohingyas sont déplacés à l’intérieur de leur pays dans l’État central de Rakhine et des centaines de milliers ont fui dans les pays voisins. Beaucoup parmi ceux qui ont fui sont devenus victimes de la traite des personnes», a écrit M. Manikas.

Le républicain Matt Salmon, président du Sous-comité sur l’Asie et le Pacifique, tient une audience sur l’état de la démocratie en Asie le 11 juin 2015 à Washington, D.C. (Gary Feuerberg/Époch Times)
Le républicain Matt Salmon, président du Sous-comité sur l’Asie et le Pacifique, tient une audience sur l’état de la démocratie en Asie le 11 juin 2015 à Washington, D.C. (Gary Feuerberg/Époch Times)

Ramener la démocratie en Thaïlande

Matt Salmon dit avoir constaté «un progrès limité [de la Thaïlande] pour retourner à la démocratie» depuis le dernier putsch en mai 2014, et il n’y a pas de date pour la tenue des prochaines élections. La junte sous le Conseil national pour la paix et le maintien de l’ordre (CNPO) a imposé une constitution intérimaire qui limite sévèrement les libertés.

Le témoignage écrit du département d’État n’avait pas de réponse précise pour le président du sous-comité. Il est indiqué qu’il y a des signes que la date pour les prochaines élections parlementaires pourrait même être reportée après le début 2016. De plus, il n’y a pas d’échéancier pour la tenue d’un référendum populaire sur l’ébauche de constitution.

«L’armée a pris le contrôle politique afin de pouvoir gérer la succession royale, peu importe quand cela surviendra.» – Murray Hiebert du Center for Strategic and International Studies

Le département d’État a indiqué que les États-Unis ont une amitié et une relation de longue date avec la Thaïlande, remontant à 182 ans, et ils veulent que la démocratie soit restaurée «par la voie d’élections libres et équitables». La Thaïlande a connu 12 coups d’État militaires réussis et plusieurs tentatives depuis sa transition à la monarchie constitutionnelle en 1932. «Tel que prescrit par la loi, [le gouvernement américain] a immédiatement suspendu certains programmes lorsque le putsch est survenu», affirme le département d’État.

Le département d’État s’inquiète que, même si la loi martiale a été levée le 1er avril, plusieurs des mêmes restrictions aux libertés civiles sont toujours en place, notamment le jugement de civils par des tribunaux militaires.

La police thaïlandaise arrête des étudiants qui manifestent dans un centre commercial de Bangkok le 22 mai 2015. (Pornchai Kittiwongsakul/AFP/Getty Images)
La police thaïlandaise arrête des étudiants qui manifestent dans un centre commercial de Bangkok le 22 mai 2015. (Pornchai Kittiwongsakul/AFP/Getty Images)

Concernant la Thaïlande, les témoignages des ONG sont beaucoup moins optimistes en ce qui a trait au retour de la démocratie.

«L’armée a pris le contrôle politique afin de pouvoir gérer la succession royale, peu importe quand cela surviendra. Au moins quelques observateurs affirment qu’il est peu probable que nous verrons de véritables élections en Thaïlande avant la succession et cela pourrait prendre des années», estime Murray Hiebert du Center for Strategic and International Studies.

Kelley Currie blâme également la monarchie de retarder le développement démocratique de la Thaïlande. La société et la politique thaïlandaises sont très divisées. Les institutions monarchiques agissent comme médiatrices dans la société thaïlandaise et cela étouffe «des principes essentiels de la démocratie, particulièrement la liberté d’expression», indique Mme Currie. Les États-Unis dépendent d’une institution mourante pour assurer la stabilité, ajoute-t-elle.

«La nouvelle ébauche de constitution – écrite par une assemblée nommée par l’armée – marginalise les partis politiques et impose des balises aux représentants élus par l’entremise d’entités dominées par l’élite», explique Peter Manikas.

Murray Hiebert affirme que le CNPO interdit l’activité politique et censure les médias. «Plusieurs centaines de dissidents politiques auraient été jugés par des tribunaux militaires», indique-t-il.

«Le CNPO a ordonné à des journaux de ne pas publier d’articles critiquant l’armée. Des chaînes de télévision satellite et des stations de radio affiliées à des factions politiques ont été fermées. […] L’armée a bloqué l’accès à des centaines de sites web qui posent, selon elle, une menace à la sécurité nationale», ajoute-t-il.

Scott Busby (droite), sous-secrétaire d’État adjoint pour la Démocratie, les Droits de la personne et le Travail, discute avec Hor Namhong (gauche), le ministre cambodgien des Affaires étrangères, le 2 juin 2015 à Phnom Penh. (Tang Chhin Sothy/AFP/Getty Images)
Scott Busby (droite), sous-secrétaire d’État adjoint pour la Démocratie, les Droits de la personne et le Travail, discute avec Hor Namhong (gauche), le ministre cambodgien des Affaires étrangères, le 2 juin 2015 à Phnom Penh. (Tang Chhin Sothy/AFP/Getty Images)

Le gouvernement américain fait pression sur le Cambodge

Le département d’État s’est félicité dans son témoignage d’avoir réussi à convaincre le gouvernement du Cambodge de dialoguer directement avec l’opposition et de ne pas avoir recours à la violence, elle qui a entaché les transitions politiques précédentes dans le pays. L’opposition, qui demandait des réformes électorales et des enquêtes sur les irrégularités électorales et qui avait boycotté le Parlement, a conclu un accord politique avec le gouvernement.

Néanmoins, «des allégations d’élections imparfaites et non représentatives persistent», affirme Matt Salmon.

Les représentants du département d’État ont fait part de leurs inquiétudes concernant un projet de loi qui est en attente depuis 2011. Si adopté, il imposerait des limites aux ONG et menacerait les libertés d’expression, d’association et de réunion. Le contenu exact du projet de loi n’a pas été révélé. Les sociétés civiles américaines et cambodgiennes demandent plus de transparence dans le processus législatif ainsi que la tenue de discussions sérieuses sur le projet de loi. Le gouvernement cambodgien a signalé son intention d’adopter la loi sans la tenue de plus amples consultations aussi tôt que ce mois-ci.

Priorité aux valeurs démocratiques

Kelley Currie affirme que le soi-disant pivot de l’administration Obama vers l’Asie – mettant l’accent sur les intérêts économiques et sécuritaires – n’a pas pleinement incorporé les valeurs démocratiques. Ce manque sape gravement les efforts américains visant à soutenir la démocratie et les droits de la personne en Birmanie, en Thaïlande et au Cambodge, estime-t-elle.

«Le fait que nous n’engageons pas vraiment la Chine sur la démocratisation ne passe pas inaperçu auprès des autres pays de la région», estime Sophie Richardson, directrice du programme Chine chez Human Rights Watch. Cela envoie le signal aux autres pays en Asie que les États-Unis ne sont pas préoccupés par les réformes politiques significatives.

Mme Richardson a témoigné que «les responsables américains abordent rarement l’absence d’élections compétitives en Chine, et ils n’imaginent pas exprimer leur solidarité avec les voix prodémocratie du continent».

Version originale: Democracy in Asia Enters a Pivotal Period

 

 

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