Mieux orienter les consommateurs vers les produits plus équilibrés sans « pénaliser » pour autant les « produits du terroir », tel est le vœu pieux du nouveau Nutri-Score validé mi-mars par le gouvernement, qui voudrait bien lui voir un destin européen.
L’arrêté mettant en place sa nouvelle version a été signé par la ministre de la Santé, Catherine Vautrin, tandis que le ministère de l’Agriculture n’a pas souhaité faire de commentaire et que le ministère de l’Économie n’a pas répondu.
La signature des quatre ministères (Santé, Travail, Agriculture, Économie) est nécessaire pour l’entrée en vigueur du texte. La ministre de l’Agriculture, Annie Genevard, a d’ailleurs mis en place un groupe de travail avec les représentants des 4 ministères, réunis la semaine dernière, afin de trouver le meilleur algorithme nutritionnel prenant en compte les effets de bord pouvant pénaliser les produits du terroir.
En Europe, les dissensions sont aussi nombreuses, chaque pays défendant sa vision de la nutrition, que l’on soit en Europe du Nord, occidentale ou du Sud. En cause, la préservation des produits venant du savoir-faire traditionnel face à des industriels qui disent vouloir jouer le jeu, tout en mettant en avant les produits mal classés dans leurs rayons et leurs catalogues.
Un calcul scientifique de la nutrition
Conçu par des scientifiques en nutrition, le Nutri-Score français a été mis en place en 2017 en France, sur la base du volontariat. Il classe les produits alimentaires de A à E, selon leur composition et leurs apports nutritionnels.
Le nouveau mode de calcul validé en mars améliore « la différenciation entre les aliments selon leur teneur en sel et sucre », ainsi que la classification des poissons gras, des huiles moins riches en acides gras saturés et des boissons. Il fait également passer les yaourts à boire dans les boissons, passant pour certains de B à E à cause de leur contenance en sucre.
Le Nutri-Score a des vertus de prévention sur les « maladies liées à la nutrition », comme l’obésité, le cancer, les maladies cardio-vasculaires, le diabète ou l’hypertension, explique Serge Hercberg, professeur de nutrition et concepteur de cet étiquetage largement plébiscité par les spécialistes de la nutrition.
Et commercialement, ce logo est loin d’être neutre : « Dans les supermarchés, on observe que «les ventes des produits «A» et «B» augmentent d’environ 10 %, celles des produits classés «D» et «E» diminuent de 7 à 8 % », constate le professeur de nutrition.
Les entreprises et marques engagées dans cette démarche volontaire ont maintenant deux ans pour mettre à jour leurs emballages et apposer le nouveau Nutri-Score, alors que la Commission européenne recherche une solution consensuelle d’étiquetage nutritionnel – qui ne soit pas le Nutri-Score français, auquel sont opposés certains secteurs agricoles, ainsi que le gouvernement italien.
La guerre des Nutri-Score européens
En Europe, il existe actuellement quatre systèmes pour informer les consommateurs sur la qualité nutritionnelle des aliments, chacun défendant une vision culturelle différente de la nutrition.
Huit pays appliquent le Nutri-Score français, parmi lesquels le Portugal, l’Allemagne, la Belgique, la Suisse, le Luxembourg, les Pays Bas, l’Espagne. L’indicateur repose sur un algorithme qui attribue des points en fonction de la composition nutritionnelle pour 100 g ou 100 ml de produit consommé, sans faire de différenciation sur les quantités utilisées de chaque produit lors d’un repas.
La notation des pays nordiques, intitulée Nordic Keyhole, utilisée par le Danemark, la Norvège, la Lituanie et la Suède, utilise seulement deux indications : une serrure verte pour les produits bons pour la santé et une noire pour les moins recommandés.
L’indicateur britannique, Trafic Light, se manifeste sous forme d’un logo en forme de feu tricolore, qui note en rouge, orange ou vert les quantités de gras, de gras saturés, de sucres et de sel par portion de 20 grammes, 40 grammes ou 60 grammes, selon les produits. Un produit n’a pas une seule note globale mais 4 notes en fonction des excès en gras, gras saturé, sucre et sel.
Enfin, le Nutri-score italien, NutrInform Battery italien, le 2e plus utilisé en Europe par la République Tchèque, la Grèce, Chypre, la Hongrie, la Lettonie, la Roumanie, reprend le principe des portions et de notes données aux différents excès en gras, en gras saturé, en sucre ou en sel du produit. L’indicateur reconnaît l’importance des gras en proportion d’une alimentation équilibrée, des gras nécessaires mais qui ont une mauvaise note dans la notation française. Il permet ainsi de défendre les filières des produits du terroir et de la culture culinaire traditionnelle plutôt que les produits venant des grands groupes industriels.
Le vœu pieux de ne pas pénaliser les produits du terroir
En France, un gage est toutefois donné au secteur agroalimentaire : les ministres français assurent qu’ils seront « attentifs à ce que ce système […] ne nuise pas aux produits issus de la richesse de nos terroirs et symboles de notre patrimoine culinaire ». Ils entendent rester « vigilants aux effets de bord » que la nouvelle méthode de calcul du Nutri-Score « engendre pour les produits issus du savoir-faire français ».
La ministre de l’Agriculture, Annie Genevard, avait d’abord assumé publiquement bloquer la publication de l’arrêté en mars, reprochant au nouveau Nutri-Score de donner une mauvaise note aux produits « remarquables » du terroir ou à des « magnifiques salaisons françaises », comme les différents type de fromages, d’huile d’olive, de beurre, de charcuteries locales, etc. Il s’agit notamment des produits sous appellation d’origine protégée (AOP), sous indication géographique protégée (IGP) ou Label rouge, qui pourraient être pénalisés ainsi que toutes les filières paysannes associées.
« Quand on prend un fromage : 100 grammes de fromage classé en E, on ne tient pas compte de la réalité d’une consommation normale de fromage qui est aux alentours de 30 grammes », mettait en garde Mme Genevard. « Je ne sais pas quelles sont mes marges de manœuvre pour en corriger les effets négatifs, mais croyez bien que je m’y intéresse de très près », avait-elle déclaré au Sénat.
La question de la promotion de la « malbouffe » en France
Plusieurs acteurs économiques de la grande distribution et de la transformation agro-alimentaire défendent l’affichage nutritionnel Nutri-Score en terme concurrentiel par rapport aux autres enseignes.
Cependant avec des bonbons à la caisse, des rayons entiers de boissons sucrées ou d’aliments gras et salés dans les magasins et les catalogues promotionnels, les distributeurs et leurs fournisseurs agro-industriels incitent trop à la consommation de « malbouffe », déplorait l’association de consommateurs UFC-Que Choisir en 2024.
Après avoir visité 600 super et hypermarchés dans 61 départements, le constat est sans appel pour l’UFC-Que Choisir. Dans 86 % d’entre eux, les « confiseries sont revenues aux caisses » malgré un engagement contraire demandé en 2008 par le ministère de la Santé, indique l’association.
En 2008, les professionnels avaient joué la carte du volontariat pour « éviter toute contrainte réglementaire », souligne l’UFC-Que Choisir. L’association demande aux pouvoirs publics d’ « interdire la promotion des aliments les plus déséquilibrés » en pointant les enjeux de santé publique et appelle les enseignes « à cesser sans délai ce marketing irresponsable ».
Fin août, l’association Consommation Logement Cadre de Vie (CLCV) avait révélé les conclusions d’un épluchage de dix catalogues promotionnels de cinq enseignes pesant ensemble plus de 80 % du marché, E. Leclerc, Carrefour, Intermarché, Coopérative U et Lidl.
Sur 1349 produits mis en promotions, les produits de Nutri-Score D et E, ceux dont la consommation doit être réduite selon les autorités sanitaires, « correspondent à 43 % des promotions chez Carrefour, 42 % chez Système U, 41 % chez Lidl, 39 % chez E. Leclerc et 37 % chez Intermarché ».
Les produits de Nutri-score A, B et C représentaient quant à eux respectivement 26 %, 18 % et 15 % des promotions proposées en catalogues.
Alors que les autorités sanitaires recommandent d’augmenter la consommation de fruits, légumes, légumineuses et fruits à coque, « seulement 3 % des promotions ciblent des fruits frais, 5 % des légumes frais et 2 % des légumes cuisinés », regrette l’association qui a réalisé son relevé entre février et avril 2024.
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