«La Russie a joué sur nos divisions et sur une faille importante de notre démocratie», explique l’éditorialiste Patrick Edery

Par Epoch Times
25 septembre 2023 15:35 Mis à jour: 15 novembre 2023 05:47

Patrick Edery est éditorialiste. Il vit en Pologne. Il revient pour Epoch Times sur les tensions qui ont été mises en avant ces derniers jours entre la Pologne et l’Ukraine et n’hésite pas à pointer du doigt les points de vue particulièrement hostiles et biaisés de la presse française à l’égard de la Pologne comme la pénétration de l’influence russe en France.

Epoch Times : Comment analysez-vous les récentes tensions qui ont été mises en avant ces derniers jours entre la Pologne et l’Ukraine ?

Patrick Edery : Ce n’est pas un divorce comme les médias aiment à le présenter mais plus une scène de ménage comme il en arrive dans tous les couples. M. Zelensky a commencé par sous-entendre que les Polonais travaillaient pour les Russes, de façon indirecte. Et c’est effectivement ce que vous pourriez dire de pire à un Polonais, comme traiter un Français de collabo. Suite à quoi le président de la République polonaise a répondu en utilisant la métaphore de la noyade : quand quelqu’un se noie et qu’on veut essayer de le sauver, il faut faire attention à ce qu’il ne vous emmène pas avec lui dans ses gestes désespérés. Ce sont effectivement deux déclarations fortes des deux côtés, mais qu’il ne faut pourtant pas surinterpréter.

Ce qui est plus problématique, c’est le discours et l’analyse des médias français sur cette situation qui peut rapidement être contredit quand on lit l’ensemble des discours des deux dirigeants. On comprend alors que s’ils sont mécontents tous les deux, ils restent très proches et que la Pologne fera toujours ce qu’il faut pour aider l’Ukraine. Les médias n’ont cité qu’une phrase de l’interview du Premier ministre Morawiecki, mais ils ne l’ont pas cité quand il a dit qu’il fera tout pour aider l’Ukraine.

Même chose pour les livraisons d’armes. La Pologne continue ses livraisons d’armes : tout ce qui était prévu va continuer à être livré. Dans certaines catégories, la Pologne a donné tout ce qu’elle pouvait donner. Il faut se rendre compte que presque 50 % de son matériel lourd a été donné à l’Ukraine. Certains pays comme la France ont tapé dans leurs stocks pour donner à l’Ukraine. Mais la Pologne a donné les armes en dotation dans ses armées, ce qui est très différent. Donc la Pologne doit avant tout se réarmer maintenant.

Une possible baisse du soutien aux réfugiés ukrainiens en Pologne est également évoquée ces derniers jours. L’avez-vous ressenti sur place ?

Non, pas vraiment, il y a des questionnements. Il y a un peu plus de 3 millions d’Ukrainiens en Pologne, presque 10% de la population. Forcément, il peut y avoir de temps en temps certaines tensions, mais c’est épisodique, absolument pas structurel. Je ne crois pas qu’une baisse de soutien aux réfugiés — qui n’arrivent plus beaucoup en Pologne — soit à l’ordre du jour : la situation s’est stabilisée.

Mais si l’on en parle autant, pensez-vous que cela puisse être instrumentalisé pour affaiblir la perception du soutien polonais à l’Ukraine ?

C’est ce qui m’étonne le plus. Jusqu’à présent il y avait toujours eu un traitement de l’information différent du côté des médias mainstream français et des réseaux sociaux pro-russes : à chaque fois qu’il y avait une information, chacun la traitait de façon différente selon son prisme bien sûr. Et là, depuis quelques jours, cela ne se limite pas qu’à la Pologne, le traitement de l’information converge.

Cela confirmerait une analyse de Françoise Thom pour Desk Russie qui soutient que la Russie cherche toujours activement à saper le soutien occidental à l’Ukraine et finit, à l’usure, par marquer des points.

Je ne peux que le constater, sans être sûr de pouvoir l’expliquer. Je ne peux que spéculer. Des élections se préparent actuellement en Pologne. L’opposition au gouvernement est progressiste et particulièrement proche de nombreux journalistes occidentaux.

Vous avez des influenceurs connus comme Adam Michnik du journal Gazeta Wyborcza qui vomit le parti au pouvoir (le PiS, ndlr) et qui est prêt à amplifier n’importe quelle information pour porter atteinte au gouvernement et qu’indirectement il perde les élections. Il faut savoir qu’il en veut particulièrement au PiS notamment, car ce dernier a essayé de faire extrader de Suède son frère, Stefan Michnik qui était un juge militaire du régime communiste, impliqué dans l’arrestation, le procès, l’emprisonnement et l’exécution pour des raisons politiques d’un certain nombre de combattants et militants anticommunistes polonais. Beaucoup de ceux qui ont été persécutés par Michnik ont également combattu contre l’Allemagne nazie pendant la Seconde Guerre mondiale, en tant que membres de la résistance polonaise. Il est très proche de la plupart des journalistes en France qui s’intéressent à l’Europe de l’Est. Est-ce que lui et d’autres ont diffusé un nouveau narratif pour taper sur le gouvernement dans le cadre des élections ? Que la Russie cherche à appuyer et mettre en avant ces divisions, c’est une évidence, mais pourquoi certains médias, qui étaient jusque-là plus proche de l’Ukraine, ont adopté ce narratif soudainement, cela reste un mystère.

Vous avez justement publié une longue enquête sur les réseaux russes en France. Que pouvez-vous nous en dire ?

Ce que j’appelle le Parti russe de France est multiforme, protéiforme, mais il est très peu connu du grand public. On connaît les grands scandales comme Nicolas Sarkozy qui reprend tous les arguments prorusses et dont on sait qu’il a signé pour plus de 3 millions de contrats avec des fonds russes. Après, vous avez le niveau des diplomates, des généraux, des hauts fonctionnaires, des membres des think tank comme Pascal Boniface de l’IRIS, ou son directeur de recherche en charge de la Russie, Monsieur de Gliniasty. Il disait par exemple, le 7 février 2022, soit deux semaines avant l’invasion, que la Russie n’envahirait jamais l’Ukraine alors que les chars étaient autour de l’Ukraine, avec des déplacements de troupes massifs.

C’est ce qui est impressionnant. Quand vous écoutez Monsieur de Gliniasty ou d’autres, vous voyez qu’ils ont une connaissance très profonde de la Russie. Pourtant ils ont été intoxiqués. Alors qu’il suffisait de rentrer dans une librairie russe pour voir toutes les bandes dessinées, les livres, qui disaient comment l’OTAN voulait détruire la Russie, comment la Russie allait reconquérir l’Ukraine, allait devenir le principal hégémon de l’Europe. Il suffisait d’écouter la télévision russe pour entendre réhabiliter Staline.

Mais ce qu’on ne voit pas, c’est comment la Russie a réussi à infiltrer toute la base du « parti pro-russe ». En fait, la Russie a joué sur nos divisions et sur une faille importante de notre démocratie qui est le manque de pluralisme dans les médias mainstream. C’est-à-dire qu’il y a des questions interdites, qu’on n’a pas le droit d’aborder avec un avis contraire, comme l’immigration, le déclassement de la France, etc.

Vous avez toute une partie d’intellectuels français, de journalistes français, de chroniqueurs français qui ont été marginalisés ou qui se sont sentis en décalage avec ce discours.

C’est à ce moment que la Russie, notamment via Russia Today, a commencé à créer des structures où elle a pu accueillir ces intellectuels et ces journalistes en leur permettant d’avoir un revenu.

À côté de cela, vous avez des personnes comme Alain Soral qui était proche de l’ambassadeur de Russie Orlov, mais aussi très proche d’Alexandre Douguine, un des principaux idéologues de la Russie. Vous avez eu aussi une jonction entre l’extrême droite antisémite et l’extrême gauche antisioniste française. Et cette nébuleuse est extrêmement influente idéologiquement sur des partis comme Reconquête, le Rassemblement national ou La France insoumise.

Il est intéressant de noter que l’un des grands architectes de l’influence russe en France et entremetteur entre nationaux-bolcheviques, souverainistes et droite française a été Alexandre Orlov, ancien ambassadeur de Russie à Paris. Il a été à la fois le promoteur d’Alain Soral et assez proche d’Eric Zemmour pour être l’un de ses deux parrains à l’entrée du club le plus sélect de Paris, le Cercle de l’Union interalliée.

A priori, environ 80 % des politiques et principaux influenceurs qui se réclament du gaullisme sont pro-russes. J’englobe dans les pro-russes ceux qui appellent à la « paix » à la manière de Miss Monde qui se déclare pour la fin de la famine et la paix dans le monde. Quelle paix et à quelles conditions, ils sont bien incapables de le dire, mais ils interviennent toujours dans les débats avec les mêmes éléments de langage que Nicolas Sarkozy : ils demandent invariablement d’arrêter d’armer les Ukrainiens, car ce serait prolonger la guerre et donc les souffrances de ces derniers, et accusent ceux qui veulent aider l’Ukraine d’être des bellicistes. Une inversion accusatoire classique dans la pure tradition de la propagande soviétique…

Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.

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