Le chancelier allemand demande à la Chine de jouer franc jeu sur le marché européen

"Les décisions unilatérales de la Chine en matière de politique économique créent des difficultés structurelles majeures pour les entreprises en Allemagne et en Europe", a déclaré le chancelier

Par Ella Kietlinska
24 avril 2024 17:34 Mis à jour: 24 avril 2024 17:37

Le 16 avril, le chancelier allemand Olaf Scholz a rencontré le chef du Parti communiste chinois (PCC) Xi Jinping et le Premier ministre Li Qiang à Pékin pour parler du commerce et de la politique étrangère.

M. Scholz a déclaré qu’il était important d’établir une procédure pour répondre aux préoccupations concernant les subventions de l’État chinois qui affectent le commerce, ajoutant qu’il avait discuté avec Xi Jinping de la manière dont l’Organisation mondiale du commerce (OMC) pourrait faciliter ce processus.

« L’OMC est une bonne organisation dont nous avons parlé et auprès de laquelle toutes les subventions doivent toujours être enregistrées », a-t-il annoncé aux journalistes à Pékin. « Je pense qu’il s’agit d’un progrès nécessaire que nous devrions réaliser. »

Lors de ses entretiens avec Xi Jinping, Olaf Scholz a insisté sur l’amélioration de l’accès au marché chinois et sur l’instauration de conditions équitables pour les entreprises allemandes.

Xi Jinping a laissé entendre précédemment que la coopération germano-chinoise était une opportunité et non un risque.

La visite de trois jours de M. Scholz chez le plus grand partenaire commercial de l’Allemagne intervient alors que l’Union européenne cherche à réduire sa dépendance stratégique à l’égard des produits chinois – une politique appelée « de-risking » que l’on pourrait traduire par « atténuation des risques » – et cherche à savoir si les fabricants chinois pratiquent le dumping de produits subventionnés sur le marché européen.

Xi Jinping s’est opposé aux plaintes de la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, selon lesquelles la surproduction chinoise de technologies vertes – telles que les voitures électriques, les panneaux solaires, les éoliennes, etc. – est injustement soutenue par des subventions d’État « massives ».

M. Scholz s’est montré prudent quant à l’idée de repousser la Chine, qui représente un marché important pour l’Allemagne, affirmant que l’UE ne devrait pas agir d’après ses propres intérêts protectionnistes. Toutefois, la concurrence doit être loyale, a-t-il souligné à Shanghai.

Lors de sa rencontre avec Li Qiang, le chancelier allemand a insisté pour que la Chine améliore les conditions d’opération des sociétés allemandes en leur garantissant un accès égal au marché chinois, la protection de la propriété intellectuelle et un système juridique fiable.

« J’ai exprimé mon inquiétude (…) quant au fait que les décisions unilatérales de la Chine en matière de politique économique créent des difficultés structurelles majeures pour les entreprises en Allemagne et en Europe », a-t-il dit.

C’était la deuxième visite d’Olaf Scholz en Chine depuis qu’il est devenu chancelier fin 2021. Et sa première visite depuis que le gouvernement allemand a présenté, l’année dernière, sa stratégie envers la Chine, qui a suscité des critiques de la part de Pékin. Li Qiang a rendu visite en Allemagne en juin 2023.

Industrie automobile

M. Scholz s’est rendu en Chine en compagnie de hauts responsables allemands, tels qu’Ola Källenius, le PDG de Mercedes-Benz, et Oliver Zipse, le PDG de BMW, soulignant ainsi l’importance du marché chinois pour la plus grande économie d’Europe.

Le chancelier allemand a également visité l’usine de piles à hydrogène de la société allemande Bosch dans la ville de Chongqing, dans le sud-ouest du pays.

Les liens économiques sino-allemands ne doivent pas seulement être cultivés, mais doivent aussi augmenter, a déclaré M. Källenius au radiodiffuseur allemand ARD à Pékin. « Se retirer d’un marché aussi important n’est pas une alternative, nous visons plutôt à renforcer notre position », a-t-il précisé à propos de la stratégie de sa société en Chine.

M. Zipse a exprimé un point de vue similaire sur la Chine, premier partenaire commercial de l’Allemagne. « Nous voyons, en fait, plus d’opportunités que de risques », a-t-il lancé lors de l’émission Tagesschau de l’ARD.

Xi Jinping a indiqué au chancelier allemand que la Chine et l’Allemagne disposaient d’un « énorme potentiel » de coopération dans les secteurs traditionnels tels que la fabrication de machines et d’automobiles, ainsi que dans des domaines émergents tels que la transformation verte et l’intelligence artificielle numérique.

Comme résultat positif de la visite pour l’Allemagne, on peut noter le fait que la Chine a levé les restrictions sur les importations de bœuf et de pommes en provenance de ce pays.

Selon Eurostat, l’office statistique de l’UE, l’Allemagne était le plus grand exportateur vers la Chine en 2023 parmi les États membres de l’UE.

Enquête de l’UE sur les subventions chinoises

La présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen prononce un discours lors de la conférence de presse sur le Chips Act au siège de l’UE à Bruxelles, le 8 février 2022. (Virginia Mayo/AFP via Getty Images)

En mars 2023, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen a déclaré que le découplage avec la Chine n’était ni viable ni dans l’intérêt de l’Europe et a proposé à la place une politique de de-risking diplomatique et économique.

Tout en notant que l’objectif clair de l’État-parti chinois est de changer l’ordre mondial en faisant de la Chine son centre, Mme von der Leyen a souligné que les relations de l’UE avec la Chine étaient « déséquilibrées et de plus en plus affectées par les distorsions » créées par le système économique chinois contrôlé par l’État.

D’après Eurostat, en 2023, la Chine était le troisième partenaire dans les exportations de l’UE, en comptant près de 9%, et le premier partenaire dans les importations de l’UE (plus de 20%).

Ursula von der Leyen a noté que la coercition économique exercée par la Chine sur les membres de l’UE dénonçant les violations des droits de l’homme commises par le régime chinois ne doit pas être tolérée.

Les exemples de politique chinoise visant délibérément les autres pays sont « les boycotts contre les marques de vêtements qui abordent le sujet des droits de l’homme ou les sanctions contre les membres du Parlement européen, les fonctionnaires et les institutions académiques à cause de leur position sur les actions de la Chine », a-t-elle précisé.

Les mesures de rétorsion prises par le régime chinois à l’encontre de la Lituanie lorsque ce pays a ouvert dans sa capitale un bureau de représentation taïwanais sont un exemple de la politique chinoise « soumets-toi et conforme-toi », a indiqué Mme von der Leyen.

Elle a également essayé de tracer une ligne rouge dans les politiques à l’égard de la Chine lors d’un discours prononcé devant Mercator Institute for China Studies (MERICS), un think tank basé en Allemagne et dédié uniquement à l’étude de la Chine.

« Nous devons veiller à ce que les capitaux, l’expertise et les connaissances de nos entreprises ne soient pas utilisés pour renforcer les capacités militaires et de renseignement de ceux qui sont nos rivaux systémiques », a-t-elle martelé.

« Lorsque l’on ne peut exclure un double usage (civil-militaire) ou que les droits de l’homme peuvent être mis en cause, il faudra déterminer clairement si les investissements ou les exportations sont dans l’intérêt de notre propre sécurité. »

En juin 2023, la Commission européenne – l’organe exécutif de l’UE – a dévoilé une stratégie de sécurité économique axée sur la diversification des chaînes d’approvisionnement et traitant de la coercition économique, de la sécurité énergétique et de la sécurité des infrastructures critiques, ainsi que du risque de fuite technologique, en particulier la technologie qui peut être utilisée dans des buts civils et militaires.

En octobre 2023, la Commission européenne a lancé une enquête antisubventions sur les importations de voitures électriques en provenance de Chine.

Des voitures électriques pour l’exportation attendent d’être chargées sur le BYD Explorer NO.1, un navire de fabrication locale destiné à exporter des automobiles chinoises, dans le port de Yantai, dans la province chinoise du Shandong, le 10 janvier 2024. (STR/AFP via Getty Images)

Lors de son discours sur l’état de l’Union en septembre 2023, Ursula von der Leyen a noté que le marché mondial était inondé de voitures électriques bon marché dont les prix étaient maintenus artificiellement bas grâce à « d’énormes subventions publiques ».

En début d’année, la Commission européenne a lancé des enquêtes sur les fournisseurs chinois d’éoliennes, de panneaux solaires et de trains afin de déterminer si les subventions du régime chinois leur conféraient un avantage déloyal sur le marché de l’UE.

Cette enquête a débuté après l’adoption par l’UE d’un nouveau « règlement sur les subventions étrangères » qui oblige les sociétés opérant dans l’UE à déclarer les contributions financières qui dépassent certains seuils et qui leur ont été accordées par des gouvernements de pays tiers au cours des trois dernières années.

Une nouvelle étude de l’Institut Kiel pour l’économie mondiale, basé en Allemagne, affirme que le régime chinois subventionne fortement les industries nationales, en particulier les technologies vertes, telles que les véhicules électriques et l’énergie éolienne.

L’UE envisage d’imposer des droits de douane pour protéger ses producteurs contre les importations de voitures électriques chinoises moins chères, dont certains craignent qu’elles n’inondent le marché européen.

Pas de découplage, mais du de-risking douteux

Au cours de sa visite, Olaf Scholz a déclaré que l’Allemagne ne souhaitait pas « se découpler » de la Chine et l’a invitée à réaliser des progrès sur les questions structurelles et à améliorer la qualité de la coopération.

Pékin a exprimé un point de vue similaire. Lin Jian, le porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, a laissé entendre lors d’une conférence de presse : « Les deux parties ont convenu de s’opposer au découplage et à la rupture des chaînes industrielles et d’approvisionnement, ainsi que de travailler ensemble pour répondre aux défis mondiaux et apporter communément une plus grande stabilité et une plus grande certitude dans le monde. »

Katja Drinhausen, responsable du programme politique et social de MERICS, a critiqué les résultats de la visite de haut niveau allemand en Chine.

« Bien que Scholz ait soulevé des points importants pour l’Allemagne et l’UE, la visite a mis en évidence la réussite de la Chine dans sa tactique de maintenir la direction de la conversation et de la limiter à des questions que la Chine peut détourner ou repousser », a-t-elle expliqué le 18 avril. « Un tel silence stratégique de la part des deux parties occulte des questions – des droits de l’homme à la cybersécurité – qui finiront par refaire surface et rendront improbable un bon déroulement des relations bilatérales. »

Selon l’Institut économique allemand (IW), les sociétés allemandes ont continué à investir en Chine au cours des trois dernières années autant qu’au cours des six années précédentes, atteignant un record d’investissement direct de 11,9 milliards d’euros en 2023.

Malgré les frictions politiques et commerciales, en 2023, la Chine a été le premier partenaire commercial de l’Allemagne pour la huitième année consécutive, avec 253,1 milliards d’euros de biens et de services échangés entre les deux pays. Bien que ce chiffre ait baissé de 15,5% par rapport à l’année précédente, il était toujours supérieur à celui des échanges de l’Allemagne avec les États-Unis, d’après les données officielles du gouvernement allemand.

Le 17 avril, le Center for Eastern Studies, un groupe d’experts basé en Pologne, a souligné que l’analyse de l’IW, l’important volume des échanges avec la Chine et « la volonté des grandes sociétés [allemandes] d’étendre leurs activités en Chine sapent l’idée du de-risking qui était au cœur de la stratégie de l’Allemagne à l’égard de la Chine depuis 2023 ».

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