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Le coût caché de l’embargo : que perd l’Espagne en rompant avec l’industrie militaire israélienne ?

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Le Premier ministre espagnol Pedro Sánchez (à g.) passe en revue la garde d'honneur lors de sa cérémonie de bienvenue au palais du Planalto à Brasilia, le 6 mars 2024.

Photo: EVARISTO SA/AFP via Getty Images

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Durée de lecture: 9 Min.

Le 8 septembre dernier, le Premier ministre Pedro Sánchez, a annoncé à la Moncloa (la résidence officielle du président du gouvernement espagnol, ndlr) un embargo sur les armes à destination d’Israël.
Il s’agit d’une mesure s’inscrivant dans un ensemble destiné à « arrêter le génocide à Gaza », qui comprend des restrictions de l’espace aérien et des ports, auxquelles s’ajoutent d’autres décisions à portée symbolique, comme la non‑participation de RTVE – le grand groupe de médias d’État espagnol comprenant 7 chaînes de télévision et 6 stations de radio – à l’Eurovision 2026, voire la possible renonciation de l’Espagne à accueillir la Coupe du monde 2026 (si le pays hébreu se qualifie).
L’embargo, que M. Sánchez a affirmé appliquer « de facto depuis octobre 2023 », vise à être entériné par un décret‑loi pour interdire « légalement et de façon permanente l’achat et la vente d’armement, de munitions et d’équipements militaires » à Israël.
Une semaine après l’annonce, le ministère de la Défense a annulé deux contrats pour un montant total proche de 1000 millions d’euros : le système lance‑roquettes SILAM pour 700 millions et 168 missiles Spike LR pour 287,5 millions.
Depuis lors, et tandis que la ministre de la Défense, Margarita Robles, finalise le décret polémique, les questions se multiplient à Madrid : est‑il possible de rompre les liens militaires avec Tel‑Aviv ? Cette mesure ouvrirait‑elle une brèche dans la sécurité et la défense ? Quels fournisseurs et quels services seraient touchés ? Peut‑on les remplacer ? Qui en bénéficierait ?

Le bénéficiaire le moins attendu

À la question de savoir qui profiterait le plus, le grand bénéficiaire pourrait être l’un des adversaires potentiels de l’Espagne.

Le Premier ministre espagnol Pedro Sánchez lors du sommet des dirigeants de l’OTAN à La Haye, aux Pays-Bas, le 25 juin 2025. (JOHN THYS/AFP via Getty Images)

Dans un entretien accordé à Epoch Times Espagne, Francisco Bendala Ayuso, lieutenant‑colonel retraité et ancien membre du CESID spécialisé dans le contre‑terrorisme arabe, estime que « toute rupture partielle — ou pire encore totale, si elle survenait — avec n’importe quel pays, est une mauvaise idée ».
Il précise toutefois que, pour Israël, c’est « encore pire », car il s’agit d’« une puissance technologique, mais aussi d’influence sous toutes ses formes (politique, diplomatique, économique, etc.) ».
M. Bendala met en garde contre un risque géopolitique : « De plus, c’est le principal allié et soutien, avec les États‑Unis, du Maroc, notre véritable ennemi déclaré, dont les revendications, si Israël les soutenait, lui apporteraient des soutiens diplomatiques qui nous porteraient un grave préjudice ».
Depuis les Accords d’Abraham (2020), Israël a vendu au Maroc un système de défense antimissile Barak MX — pour un montant d’environ 422 millions d’euros —, des drones kamikazes — 18,5 millions d’euros — et un satellite espion Ofek 13 — 845 millions d’euros.
Cette alliance, qui inclut la coopération en cybersécurité, pourrait renforcer les prétentions de Rabat sur le Sahara‑Occidental et affaiblir la position espagnole.

Image d’illustration. Un drone israélien Hermes 450 survole la frontière sud d’Israël avec la bande de Gaza le 14 janvier 2025. (JACK GUEZ/AFP via Getty Images)

Systèmes d’artillerie et mobilité : le vide laissé par le SILAM

L’un des premiers perdants de l’embargo envisagé par le gouvernement de M. Sánchez est sans doute Elbit Systems, géant israélien qui perdra, avec l’annulation du SILAM, un contrat attribué en décembre 2023 à une UTE composée d’Escribano Mechanical & Engineering et de Rheinmetall Expal Munitions.
Basé sur le système PULS d’Elbit, le projet comprenait 12 lanceurs (extensibles à 24), 685 roquettes guidées, des radars et des drones tactiques, éléments essentiels depuis la mise hors service des Teruel il y a 14 ans.
Autrement dit, sans SILAM, l’Armée de Terre espagnole se retrouverait dépourvue d’artillerie à longue portée, cruciale en cas de conflit de haute intensité.
« Le programme d’urgence SILAM devait combler cette carence de l’Armée de Terre depuis la mise hors service des Teruel en 2011 », souligne le lieutenant‑colonel (R) M. Bendala.
Elbit fournit également des mortiers Soltam montés sur véhicules VAMTAC ainsi que des systèmes de détection et de contrôle des incendies pour blindés.

Missiles et protection : Rafael et Plasan sur la sellette

Un véhicule blindé de combat d’infanterie Dragon fabriqué par la société espagnole Tess Defence est exposé lors du Salon international de la défense et de la sécurité (FEINDEF) à Madrid, le 12 mai 2025. (Thomas COEX /AFP via Getty Images)

Également très touchés par les récentes annulations du portefeuille dirigé par Mme Robles figure Rafael Advanced Defense Systems et ses missiles Spike LR2, attribués en 2023 à PAP Tecnos Innovación SA.
Ces missiles devaient être intégrés aux tourelles Guardian 30 du blindé 8×8 Dragón et étaient prévus pour une intégration future sur les hélicoptères Tigre.
M. Bendala précise que « PAP Tecnos s’est vu attribuer la deuxième phase des missiles multiprécision Spike LR2 en 2023 pour 285 millions d’euros ».
Rafael fournit aussi des nacelles Reccelite et Litening pour les avions de l’armée de l’air, notamment pour 45 exemplaires d’Eurofighter.
Par ailleurs, le Dragón 8×8  utilise des systèmes de Plasan (blindage, spall liner, sièges anti‑mines) et des récepteurs E‑LAWS 2 d’Elbit, avec des modernisations pour la version génie VZAP Castor par Pearson Engineering, acquise par Rafael en 2022.

Communications et surveillance : Elbit et Elta en ligne de mire

Un avion C-295. ( Licence Curimedia/Wikimedia Commons/ CC 2.0 )

Le lieutenant‑colonel (R) M. Bendala souligne que les radios E‑Lynx d’Elbit Systems pourraient connaître le même sort. Elles ont été acquises par l’Armée de Terre via Telefónica et Aicox dans le cadre du Système Conjoint de Radio Tactique (SCTR).
De même, Israel Aerospace Industries (IAI), par l’intermédiaire de sa filiale Elta, équipe 16 avions C‑295 de radars ELM‑2022A.
Seraient également affectés des systèmes tels que les stations Mini Samson (Rafael) et la munition de 120 mm pour Leopard fournie par IMI (achetée via Elbit) avec des programmateurs M339 SETTER.

Un avenir incertain pour la défense espagnole

Selon les informations parvenues ces derniers jours, le gouvernement mise sur un « plan de déconnexion technologique » avec Indra et Escribano, en favorisant des fournisseurs européens comme Bittium (Finlande).
Toutefois, l’Espagne, premier pays de l’UE en importations d’armement israélien — pour 54 millions d’euros entre octobre 2023 et mai 2025 —, pourrait commettre une erreur stratégique : s’exposer à des indemnisations à hauteur de plusieurs centaines de millions. Le précédent de « l’impuesto al sol » (« taxe solaire »), estimé à environ 1 000 millions d’euros en arbitrages, illustre ce risque financier.
« La logique serait de se tourner vers des fabricants occidentaux (américains et européens), mais […] en se tournant vers d’autres fournisseurs, nord‑américains ou européens, conscients de notre besoin de déconnecter la technologie israélienne, il est probable qu’ils « serrent » les prix et les conditions, au détriment de l’Espagne », avertit M. Bendala.