Le Groenland, aux confins de la beauté et du froid
Sous ses fjords gelés et ses falaises vertigineuses, le Groenland dévoile une mosaïque de paysages et de cultures. Longtemps isolée, la plus grande île du monde attire aujourd’hui voyageurs et rêveurs, fascinés par sa beauté brute et sa chaleur humaine.
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Nuuk, au Groenland, est connue pour ses maisons en bois colorées, qui contrastent fortement avec le paysage rocheux de l'Arctique.
Vous avez sans doute déjà entendu la question : le Groenland est-il vraiment couvert de glace et l’Islande réellement verte ? La réponse est à la fois oui et non. Tout dépend de l’endroit où l’on se trouve.
Pourtant une chose est sûre : le Groenland, la plus grande île du monde, constitue un joyau de l’Arctique. Longtemps difficile d’accès, le pays attire aujourd’hui un nombre record de visiteurs. Un nouvel aéroport à Nuuk relie désormais la capitale à Newark, dans le New Jersey, tandis que les croisières se multiplient le long des côtes.
J’y suis allé à plusieurs reprises et je peux l’affirmer : le Groenland – ou Kalaallit Nunaat en groenlandais – fascine autant qu’il intimide. L’île est à la fois spectaculaire, revigorante et impitoyable. Et oui, elle est réellement verte, du moins par endroits, surtout le long de la côte sud-ouest durant l’été. Dans cette région, un courant océanique chaud venu du sud fait naître des prairies émeraude et des fourrés de bouleaux, de frênes et d’aulnes.
À l’époque coloniale, des couleurs spécifiques — rouge, jaune, bleu et vert — étaient utilisées pour indiquer la fonction de chaque bâtiment. Aujourd’hui, ce système n’est plus appliqué et les propriétaires sont libres de choisir leurs couleurs de peinture. (KenWiedemann/Getty Images)
Mais, pour être précis, la majeure partie du Groenland reste recouverte de glace et de neige. Ses côtes glaciales s’étirent à perte de vue, bordées de montagnes immaculées dont beaucoup n’ont toujours pas de nom. À l’intérieur des terres, la plus vaste calotte glaciaire de l’hémisphère Nord recouvre environ 80% du territoire. Ses dimensions donnent le vertige : 2900 km de long, près de trois km d’épaisseur à son point le plus profond, et une surface totale de 1,7 million de km carrés.
Les premiers humains ont foulé cette île il y a environ 4500 ans, après avoir traversé un détroit gelé depuis l’actuel Canada. Six vagues d’Inuits leur ont succédé, migrant vers l’est à travers l’Arctique.
Une autonomie sous la couronne danoise
Peuplé de moins de 60.000 habitants, dont 90% d’origine inuit, le Groenland est un territoire autonome au sein du Royaume du Danemark. Le roi Frederik X en est le chef d’État.
Les voiliers qui traversent le Scoresbysund doivent emprunter des falaises abruptes, des icebergs impressionnants et des fjords profonds. (Dylan Shaw/Unsplash)
Le Danemark conserve la gestion des affaires étrangères et de la sécurité, tout en assurant un soutien financier important. Les Groenlandais sont citoyens danois et utilisent la couronne danoise comme monnaie.
L’île a instauré son propre gouvernement local et son parlement, l’Inatsisartut, en 1979. L’indépendance complète demeure un objectif partagé par tous les grands partis, ainsi que par une majorité de la population. Elle impliquerait des négociations avec Copenhague et un référendum. Beaucoup y voient une évolution inévitable – mais personne ne sait quand elle surviendra.
Un héritage complexe
La présence danoise sur cette terre éloignée, située à près de 3000 kilomètres de ses côtes, remonte à l’époque du Viking Erik le Rouge. Né en Norvège et banni en 982, il navigua jusqu’ici pour fonder une colonie. C’est lui qui a donné au territoire son nom évocateur : Greenland. Soucieux d’attirer des colons, il voulut faire passer son refuge balayé par les vents pour une contrée accueillante. L’entreprise a échoué.
Erik le Rouge est mort sur place, et les colons nordiques ont peu à peu quitté l’île. Les derniers sont partis au XVe siècle. Mais la Scandinavie n’en avait pas fini avec le Groenland.
En 1721, un prêtre dano-norvégien, Hans Egede, est débarqué pour évangéliser les Inuits et établir des missions. Sa statue domine encore la mer à Nuuk, près de la principale église luthérienne de la ville. Lors d’une visite récente, un jeune guide a souligné que le monument suscite désormais la controverse.
La statue de Hans Egede se dresse sur une colline dominant Nuuk, en hommage au missionnaire dano-norvégien qui fonda la ville en 1728. (nevereverro/Getty Images)
La colonisation dano-norvégienne s’ensuivit, et le Groenland est demeuré une colonie jusqu’à son intégration complète au Danemark en 1953.
Traditions vivantes et modernité nordique
Les traditions des Inuits, comme la danse au tambour et le chant de gorge, sont toujours célébrées. La chasse et la pêche continuent d’assurer une part essentielle de la subsistance : le phoque côtoie le saumon dans les supermarchés.
Nuuk reflète quant à elle un Groenland tourné vers l’avenir : centre commercial, cinéma, brasseries artisanales utilisant l’eau de la calotte polaire. Le Greenland National Museum and Archives (Musée national et les Archives) conservent des momies du XVe siècle et la plus ancienne embarcation en peau connue au monde. Plus de 90% de la population dispose d’un accès Internet à haut débit.
Photo de 1906 du seul cheval du Groenland à l’époque. (Musée national du Danemark/Unsplash)
Photo historique de la ville de Nuuk, également connue sous le nom de Godthab, vers 1889. (Musée national du Danemark/Unsplash)
Voyager au bout du monde
Qu’on arrive par le tout nouvel aéroport ou par la mer, le Groenland mérite une place en tête de toute liste de voyages. Lors de mes séjours, j’ai traversé en traîneau à chiens le village le plus septentrional de la côte est et survolé la calotte glaciaire en hélicoptère, simple aperçu de son immensité. J’ai marché jusqu’au fjord d’Ilulissat, là où naissent les icebergs du monde, et observé des baleines rares ainsi que des ours polaires.
Mais au-delà de la nature, c’est la chaleur humaine des Groenlandais qui marque le plus. Dans ce pays si froid, c’est sans doute la plus belle raison de venir.
L’ours polaire est originaire des régions arctiques du Groenland et se rencontre sur ses côtes nord et est. (MB Photography/Getty Images)
La langue du froid et du vent
Le groenlandais appartient à la famille des langues inuites. Les distances immenses entre les communautés ont façonné quatre dialectes distincts : du Sud, de l’Ouest, de l’Est et de Thulé. Langue polysynthétique, elle combine racines, affixes et suffixes pour former des mots aussi longs qu’une phrase entière.
Détail amusant : les Groenlandais ont aussi emprunté quelques mots à l’anglais, hérités des soldats américains de la Seconde Guerre mondiale : aluu pour « bonjour », baaj pour « au revoir ». Les enfants apprennent trois langues à l’école : le groenlandais de l’Ouest, le danois et l’anglais.