Le pétrel des neiges, sentinelle du changement climatique en Antarctique

16 novembre 2018 10:24 Mis à jour: 16 novembre 2018 10:24

La manière dont le changement climatique influence les écosystèmes terrestres et marins est devenue ces dernières décennies un sujet de préoccupation majeur pour l’écologie et la biologie de la conservation.

Aux pôles, de profonds changements sont déjà visibles ; ils conduisent à une modification du cycle de vie de certaines espèces animales ou végétales.

En Arctique, au pôle Nord, l’étendue et l’épaisseur de la banquise ont drastiquement diminué ces quarante dernières années, avec deux records de fonte, en mars 2017 puis en mars 2018. Cette réduction menace les espèces qui dépendent de la banquise pour vivre et certains oiseaux marins ont été forcés de modifier leur régime alimentaire, ce qui a entraîné une baisse de la survie de leurs poussins.

En Antarctique, au pôle Sud, les changements climatiques entraînent des modifications plus contrastées de la banquise selon les régions. La réponse des écosystèmes diffère ainsi suivant que la couverture de glace augmente ou diminue.

Vue de la banquise fragmentée. (Christophe Sauser, CC BY-NC-ND)

Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) prévoit dans ses projections climatiques une diminution globale de l’épaisseur et de l’étendue de la glace de mer en Antarctique d’ici la fin du siècle. Ce qui entraînerait une modification de l’écosystème naturel au détriment de nombreux organismes.

Positionnés en haut du réseau dit « trophique », c’est-à-dire de l’ensemble des chaînes alimentaires reliées entre elles au sein des océans, les prédateurs marins supérieurs (oiseaux, mammifères ou thons, par exemple) constituent d’excellents indicateurs biologiques de ces transformations.

Ces prédateurs utilisent de vastes zones en mer pour trouver leur nourriture et intègrent donc les variations de l’environnement océanique à de larges échelles spatiales. Ces animaux sont en outre « longévifs », certains individus pouvant vivre jusqu’à 50 ans. Ils témoignent ainsi des variations de l’environnement à l’échelle de nombreuses années, permettant d’avoir une vision globale de l’état d’un écosystème. Le pétrel des neiges en fait partie.

Direction l’archipel de Pointe-Géologie

Oiseau prédateur marin supérieur, le pétrel des neiges (Pagodroma nivea) est sensible aux fluctuations de la banquise. Il s’agit d’une espèce dite « pagophilique » – c’est-à-dire écologiquement dépendante de la glace de mer – se nourrissant presque exclusivement dans les zones de banquise fragmentée (pack-ice).

Il s’alimente en plongeant ou en saisissant ses proies à la surface, essentiellement de petits poissons antarctiques et du krill (petits crustacés).

Les pétrels des neiges, qui constituent une espèce endémique de l’Antarctique et de l’océan Austral, peuvent vivre une cinquantaine d’années et nichent en colonies sur les zones rocheuses du littoral antarctique. Ils se reproduisent de novembre à mars – période de l’été austral – et reviennent tous les ans dans la même colonie pour se reproduire, allant jusqu’à réutiliser le même nid que les années précédentes. Cela facilite le suivi individuel et les pétrels des neiges constituent ainsi un modèle de choix pour les scientifiques.

Une étude à long terme sur des pétrels de l’archipel de Pointe-Géologie (Terre Adélie, en Antarctique), initiée en 1963 et toujours en cours aujourd’hui, a déjà permis de mettre en évidence une corrélation entre la démographie des adultes et les conditions de la banquise en hiver.

L’étude a par exemple révélé que la survie individuelle des adultes était meilleure lorsque l’étendue de banquise austral était moins importante au début de l’hiver. Même si les causes exactes restent mal connues, il est probable que l’étendue de banquise à cette période ait un effet sur la quantité de ressources alimentaires (principalement des poissons et des crustacés) disponibles pour ces oiseaux.

Sur la trace des jeunes pétrels

À la suite de ce travail, notre équipe de recherche s’est intéressée aux traits d’histoire de vie – ces paramètres impliqués dans la survie et la reproduction des organismes – qui caractérisent les premiers stades de la vie des pétrels. Ces stades, dits juvéniles, caractérisent la vie des individus entre leur naissance et leur première reproduction ; ils influencent fortement la dynamique des populations chez les espèces à longue durée de vie comme le pétrel des neiges. C’est en effet de leur survie que va dépendre leur reproduction future (en moyenne à l’âge de 10 ans) et donc l’avenir de la population.

Il nous est donc paru primordial de développer nos connaissances sur les juvéniles et leurs réponses aux fluctuations environnementales liées au changement climatique.

Dans une étude publiée en juillet 2018 dans la revue scientifique Biology Letters, nous avons voulu étudier deux questions concernant les juvéniles de pétrels des neiges : La condition corporelle et la survie juvénile suivent-elles au cours des années une tendance particulière ? Les paramètres de survie et de reproduction sont-ils influencés par la glace de mer ?

La survie des jeunes pétrels influence fortement la dynamique démographique de l’espèce. (Christophe Sauser, CC BY-NC-ND)

Quarante jours après sa naissance, le pétrel des neiges peut réaliser son premier envol. (Christophe Sauser, CC BY-NC-ND)

Les poussins de 200 nids

À l’aide d’un suivi à long terme initié en 1993, nous avons pu modéliser la condition corporelle des jeunes pétrels juste avant leur envol du nid. Cette condition est calculée pour un individu en divisant sa masse par sa taille, relativement à la taille moyenne des individus de la population. La condition corporelle indique la quantité de réserves de graisse de l’individu. Ainsi, à taille égale, un individu à la condition corporelle forte aura plus de réserves énergétiques qu’un individu à la condition corporelle faible.

Dans ce suivi, l’ensemble des poussins de 200 nids sont mesurés et pesés chaque année à l’âge de 40 jours, soit quelques jours avant leur envol. Au cours de la période 1993-2014, la condition corporelle des jeunes pétrels s’est détériorée tandis que la concentration en glace de mer en été pendant la période de croissance des juvéniles a augmenté.

Des proies moins accessibles

La relation entre la concentration de glace de mer et la condition corporelle semble non linéaire : en dessous de 20 à 30 % de concentration de glace, correspondant au pourcentage de la surface de l’océan recouverte par de la banquise, la condition corporelle est stable. Au-delà, elle décroît.

Ce qui signifie que les années où les concentrations de glaces sont élevées, les adultes de pétrels des neiges peinent à trouver les ressources alimentaires nécessaires aux poussins, ces ressources étant plus rares et les proies moins accessibles pendant la période d’élevage des jeunes.

La concentration de glace est connue pour affecter la production primaire océanique, c’est-à-dire la production de matière organique sous la forme de plancton végétal, et donc les ressources alimentaires disponibles pour les proies des pétrels. Lorsque la concentration de glace est élevée, la banquise fournit également une barrière naturelle aux proies contre les prédateurs.

Pétrels mais aussi manchots, guillemots, mouettes

La survie des juvéniles, évaluée grâce à la proportion de juvéniles ayant survécu entre leur envol et l’âge de 5 ans – âge du premier retour à la colonie –, semble affectée par les mêmes processus que la condition corporelle. Lorsque la concentration de glace est importante, l’abondance et l’accessibilité des proies se trouvent diminuées.

Les augmentations récentes de concentration de glace de mer dans certaines régions de l’Antarctique ont donc eu un impact négatif sur la condition corporelle et la survie des jeunes pétrels des neiges. Et ces augmentations auront probablement un impact négatif sur la démographie de l’espèce. Ces résultats contrastent avec les effets positifs observés chez d’autres espèces dépendantes de la glace, comme le manchot Adélie (Pygoscelis adeliae) par exemple.

Le pétrel plonge à la surface de l’eau pour se nourrir de poissons et de crustacés. (Christophe Sauser, CC BY-NC-ND)

C’est pourquoi d’autres études à long terme documentant les effets de la glace de mer sur les traits d’histoire de vie sont nécessaires pour améliorer notre compréhension des effets complexes de cette glace sur la démographie des prédateurs et des écosystèmes polaires.

C’est l’un des objectifs principaux du notre projet scientifique « Sentinels of the sea ice » (Sensei) qui vise à comprendre les effets des variations de la glace de mer en Arctique et en Antarctique sur un cortège d’espèces d’oiseaux (dont le pétrel des neiges, mais aussi des manchots, guillemots et mouettes) et de mammifères marins (phoques) associées à la glace de mer.


Le projet de recherche « Sentinels of the sea ice » (Sensei) est soutenu par le programme Climate Initiative de la Fondation BNP Paribas.

Christophe Barbraud, Directeur de recherche en écologie des populations, Centre national de la recherche scientifique (CNRS); Christophe Sauser, Doctorant en écologie, Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et Karine Delord, Ingénieure en écologie des prédateurs marins, Centre national de la recherche scientifique (CNRS)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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