Le rayonnement de monsieur Hawking

Stephen Hawking au Gonville & Caius College, Cambridge.
Photo: Lwp Kommunikáció/Flickr, CC BY
Même achevée, toute vie se prolonge hors d’elle-même, dans le ciel qu’elle devient pour d’autres vies. Même si Stephen Hawking vient de disparaître, son « rayonnement » demeure, le mot étant ici à prendre à tous les sens du terme.
Ses premiers travaux concernaient les trous noirs et, justement, leur « rayonnement ». L’histoire commence au début des années 1970 lorsqu’un jeune physicien, Jacob Bekenstein, découvre un aspect surprenant de la gravitation. On avait déjà remarqué que les lois d’évolution des trous noirs s’expriment de façon curieusement semblable aux lois de la thermodynamique. Par exemple, la surface d’un trou noir s’accroît de façon irréversible lorsqu’il absorbe de la matière ou du rayonnement. En outre, la rencontre de deux trous noirs aboutit à la formation d’un nouveau trou noir, dont la surface est plus grande que la somme des surfaces des deux trous noirs présents au départ.

(Wikipedia, CC BY)
Une perte radicale d’information
Cette contradiction apparente fut remarquée par Stephen Hawking. Sachant qu’un trou noir s’installe rapidement dans un état stationnaire, il en tira la conclusion que la formation d’un trou noir équivaut à une perte radicale d’information : « Le trou noir, écrit Hawking, est indépendant de la composition du corps, matière ou antimatière, ainsi que de sa forme, qu’elle soit sphérique ou très irrégulière ». Il ne garde donc aucune trace de son origine, ni de son histoire.
On peut donc en principe se débarrasser dans un trou noir de tout ce que l’on veut, qu’il s’agisse de matière ou d’antimatière, et ce que l’on peut ensuite observer depuis l’extérieur ne permet plus de « remonter » au contenu même du trou noir. Ses seules propriétés observables sont sa charge électrique, son moment cinétique et sa masse, tous les autres détails de sa composition et de son histoire préalables nous demeurant parfaitement inaccessibles.

Vue d’artiste du trou noir Cygnus X-1 qui aspire la matière de l’étoile bleue proche. (NASA)
L’univers sans bord
Dans le prolongement de ces travaux menés aux frontières de la théorie de la relativité générale et de la physique quantique, Stephen Hawking s’intéressa bien sûr au commencement de l’univers, dont la physique présente certaines similarités avec celle d’un trou noir. Il explora certaines pistes, notamment celles qui aboutissent à l’idée que le concept même d’origine de l’univers se perd dans les brumes quantiques de l’espace-temps, où les histoires s’enchevêtrent et se superposent, et où le concept de condition initiale devient lui-même problématique. Les concepts d’espace et de temps que nous utilisons pour situer et penser l’origine de l’univers ne seraient en somme que des concepts émergents qui n’ont surgi qu’à partir d’un certain moment de l’histoire de l’univers. Parler d’une origine temporelle de l’univers n’aurait donc aucun sens. Stephen Hawking a proposé une conjecture, celle d’un « univers sans bord », selon laquelle l’univers est de volume fini mais n’a pas de limite, ce qui implique qu’il n’a pas eu de commencement.
Rencontre à Ajaccio
Mais Stephen Hawking n’était pas qu’un physicien. C’était aussi un homme, d’un courage extrême et dont l’humour pouvait être ravageur. J’ai eu la chance de pouvoir le rencontrer en 2008 à Ajaccio, en compagnie d’un autre physicien, Jean Iliopoulos, à l’occasion des rencontres « Science et humanisme ». Le voyant pour la première fois, je fus frappé par la gravité de son handicap : il était dans son fauteuil roulant, tout recroquevillé, semblant presque inconscient. Mais quelle vie à l’intérieur ! Nous pûmes lui poser plusieurs questions, auxquelles il répondait en actionnant l’une de ses paupières, ce qui lui permettait de sélectionner certains des mots qui défilaient sur l’écran de son ordinateur, puis son synthétiseur vocal faisait entendre sa réponse. Mais au bout de quelques minutes, son handicap nous sembla s’être relativisé, voire évaporé, comme si notre conversation avait permis que nous transpercions les apparences, que nous accédions directement à ce que son corps déformé nous avait d’abord masqué. À notre grande surprise, il nous dit qu’il ne pensait pas que le LHC permettrait de détecter le boson de Higgs, ce qu’il fit pourtant en 2012. La réponse à notre dernière question étant plus longue à venir que les autres, nous crûmes qu’elle devait être plus complexe que les autres. Mais elle tomba, nette : « I don’t understand your question ! »
Etienne Klein, Directeur de recherches au CEA, Commissariat à l’énergie atomique (CEA) – Université Paris-Saclay
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.
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