Les incroyables bienfaits d’un jeu de construction chez les patients atteints de démence

Les pionniers de l'utilisation des blocs LEGO, pour les personnes âgées et leurs soignants, soulignent leur potentiel pour faire réémerger des souvenirs, travailler l'esprit et rester calme

Par Amy Denney
21 février 2024 22:00 Mis à jour: 21 février 2024 22:03

Loretta Woodward Veney a reçu sa première boîte de blocs Lego à l’âge de 5 ans, un cadeau de sa mère, Doris. Très vite, utiliser ces blocs populaires pour enfants est devenu une activité commune entre la mère et la fille.

Cependant, le pouvoir créatif des blocs Lego a pris tout son sens lorsque Doris Woodward a commencé à perdre la mémoire.

Loretta a fixé une plaque sur le tableau de bord de sa voiture pour que sa mère puisse s’occuper grâce aux blocs Lego lors des allers-retours chez le médecin. Cela a empêché Mme Woodward de répéter sans cesse « Je veux rentrer à la maison » tout le long du trajet.

La plaque comprenait une figurine représentant Mme Woodward. Loretta pensait que sa mère pouvait l’utiliser pour communiquer ses sentiments, lorsque les mots ne venaient pas. En 2016, lorsque Mme Woodward est devenue particulièrement agitée après un rendez-vous au cours duquel elles ont appris que ses trous de mémoire étaient dus à la maladie d’Alzheimer, Loretta a demandé à sa mère d’utiliser les blocs Lego pour exprimer ce qu’elle ressentait.

« Elle a regardé les blocs pendant un long moment. Elle a pris la figurine qui la représentait, avec ses cheveux gris. Elle a arraché la tête de la figurine, l’a brandie et a dit : ‘J’ai l’impression que, dans quelques années, je vais perdre ma tête' », se souvient Loretta.

« Ma mère pouvait toujours exprimer ce qu’elle ressentait, toujours (…) il y a eu des moments où c’était ma seule forme de communication avec elle. »

Penser avec ses mains

Bien que Loretta soit certifiée de la méthode « Lego Serious Play » – une méthode conçue pour améliorer les capacités de communication et d’écoute des familles, des équipes et des organisations – il n’existe pas de véritable référence pour l’utilisation des blocs de construction avec les personnes souffrant de troubles cognitifs. Certains établissements utilisent des blocs ou des briques plus grandes et plus faciles à manipuler.

Pour décrire la technique, Loretta affirme qu’il faut penser avec les mains et laisser de côté le cerveau. Cette dernière est devenue pionnière dans l’utilisation des Lego en contexte de démence, inspirée par les bienfaits qu’elle a constatés chez sa mère et des personnes vivant dans des centres pour personnes âgées ou en perte d’autonomie.

Elle a commencé à organiser des ateliers au cours desquels les patients présentant un déclin cognitif, ainsi que leurs proches aidants fatigués, peuvent explorer les merveilles de l’expression sans paroles.

Loretta a fini par quitter son poste de cadre dans la fonction publique fédérale et parcourt désormais le monde à plein temps pour donner des conférences et des formations sur l’utilisation des blocs Lego, avec pour double finalité d’améliorer les facultés cognitives et les relations interpersonnelles.

Loretta Veney (Photo avec l’aimable autorisation de Loretta Veney)

Loretta demande souvent aux participants – dont certains ne parlent pas – de construire, avec les blocs, un souvenir favori. Il arrive qu’une « construction » suscite une telle joie qu’une personne atteinte de démence surprenne tout le monde en évoquant un passé qui semblait oublié ou en prononçant des mots que personne ne pensait pouvoir entendre de sa bouche à nouveau.

« Ce n’était pas mon intention. Mais maintenant que nous y sommes, c’est génial », dit-elle. « Il faut voir la tête des gens quand quelqu’un parle à nouveau. »

Elle n’oubliera jamais la fois où une résidente de 93 ans d’une maison de retraite a commencé à s’agiter sur son siège lors d’un tel atelier, avec sa nièce. Loretta a pensé qu’elle avait besoin d’aller aux toilettes. Il s’est avéré que cette femme, qui n’avait pas parlé depuis un certain temps, était en train de rejouer une danse d’un voyage qu’elle avait fait avec sa nièce 15 ans plus tôt.

« Elle se souvenait de cette danse en rond sur le bateau de croisière et a commencé à parler de cela », raconte Loretta. « La joie anime la salle. Quelqu’un court chercher le directeur général qui vient avec une caméra. C’était incroyable. Nous catégorisons ces personnes si tôt parfois. »

Le pouvoir de la construction

Bien qu’il n’y ait pas beaucoup de littérature scientifique pour expliquer ce phénomène, une étude de cas portant sur un garçon de 11 ans atteint de troubles du spectre de l’autisme a illustré la neuroplasticité du cerveau lors de l’utilisation d’un programme Lego.

Il a passé 12 mois à suivre des séances hebdomadaires de 90 minutes avec un spécialiste utilisant des blocs Lego. Sa compréhension verbale, son indice visuo-spatial, son indice de mémoire de travail et son indice de vitesse de traitement ont tous progressé de manière significative, selon les résultats publiés en 2023 dans la revue AIMS Neuroscience.

Les études sur la démence laissent entrevoir un phénomène similaire lorsque les personnes âgées jouent avec des blocs Lego.

Les données d’une étude publiée en 2023 dans Frontiers in Aging Neuroscience comparent des personnes qui ont suivi 14 séances de thérapie de stimulation cognitive par ordinateur à un groupe témoin. L’intervention, menée sur la moitié des participants (30 au total) pendant sept semaines, a montré des améliorations à court terme de la cognition et du comportement, en utilisant des mesures d’échelles professionnelles et des scores de symptômes, ainsi que des scanners cérébraux.

Le logiciel comportait des activités cognitives, ainsi que des fonctions de mémoire et d’exécution, entre autres.

« Ces résultats convergents prouvent que, même dans le cas d’une démence légère à modérée, la neuroplasticité peut être exploitée pour atténuer les troubles cognitifs » grâce à la thérapie de stimulation cognitive, indique l’étude.

Des programmes continus sont nécessaires

Le rapport mondial sur la maladie d’Alzheimer de 2011 (World Alzheimer Report 2011) souligne que la stimulation cognitive, en particulier au début du diagnostic, peut améliorer les fonctions cognitives des patients atteints de démence et qu’elle devrait être systématiquement proposée.

Une revue portant sur trois études suggère que la stimulation cognitive pourrait avoir des effets bénéfiques sur les personnes atteintes de démence pendant une période allant jusqu’à trois mois, en améliorant la communication et la qualité de vie. Publié en 2013 dans Ageing Research Reviews, l’article indique qu’un programme continu et coordonné aurait des effets encore plus positifs à long terme pour les patients atteints de démence.

Plus de 6,5 millions d’Américains âgés de 65 ans et plus sont atteints de la maladie d’Alzheimer, selon le rapport 2023 sur la maladie d’Alzheimer et les démences. Ce nombre devrait atteindre 13,8 millions d’ici 2060.

Pour les Américains âgés de 65 ans et plus, la maladie d’Alzheimer est la cinquième cause de décès et constitue un problème de mortalité de plus en plus préoccupant. Alors que les décès dus aux accidents vasculaires cérébraux, aux maladies cardiaques et au VIH ont diminué entre 2000 et 2019, les décès dus à la maladie d’Alzheimer ont augmenté de plus de 145%.

Une idée qui se répand naturellement

Ces chiffres sont en hausse, tout comme l’intérêt pour le type de travail effectué par Loretta et d’autres.

Un programme basé à Singapour et utilisant des blocs Lego avec des personnes atteintes de démence est actuellement testé dans le cadre d’une étude pilote d’une durée d’un an. Il repose sur l’idée que la cognition peut s’améliorer grâce à la résolution de problèmes, à la créativité, à la mémoire, à la dextérité et à la stimulation sensorielle et auditive.

Baptisé « Programme d’entraînement cognitif pour les personnes atteintes de démence », le programme comprend 500 cartes d’activités progressives qui permettent aux participants de mesurer leurs progrès au fur et à mesure qu’ils construisent leur plan d’action. Les stratégies font appel à des compétences telles que la concentration, la compréhension, la perception, le raisonnement, la mémoire et la vitesse de traitement.

Parmi les activités, on trouve des modèles de projets nécessitant un à six blocs que les participants doivent reproduire de mémoire. L’organisation Ardent English Learners propose des sessions en personne et en ligne, ainsi qu’un programme de certification.

La demande d’apprentissage de l’intégration des blocs Lego dans les établissements de soins pour personnes atteintes de démence augmente malgré l’absence de recherche sur son efficacité. La preuve est évidente, disent les soignants.

Patty Sherin, conseillère en soins certifiée auprès de l’ABC Dementia Course & Community, affirme que la recherche est précieuse, mais que les preuves tangibles viennent de l’observation des bienfaits des blocs Lego sur les liens sociaux, le sentiment de contrôle, la créativité et la joie de vivre des personnes atteintes de démence. Elle est co-auteur du livre « Brick by Brick Bonding : Tools for Family Care » (Construire des liens brique par brique : Outils pour les soins de la famille, Ndlt).

« Cette perspective s’aligne sur de nombreuses études soulignant les bienfaits de l’art-thérapie pour les personnes atteintes de démence », a déclaré Mme Sherin à Epoch Times dans un courriel. « L’utilisation des blocs Lego comme support artistique transcende les preuves théoriques, en s’appuyant sur des expériences significatives qui contribuent au bien-être des personnes confrontées à des défis cognitifs. »

Les directeurs de centres de soins ont été si nombreux à demander de l’aide que Loretta a récemment organisé son premier cours de certification « Lego Serious Play » à l’intention des soignants désireux d’être conseillés sur la façon de travailler avec leurs résidents.

Loretta réalise le rêve qu’elle partageait avec son mari, Tim, qui voulait parcourir le monde entier avec elle afin de faire connaître les bienfaits des blocs Lego, dans le cadre de programmes et de conférences. En 2016, le couple était au milieu d’un voyage-pilote de 30 jours, dans leur véhicule récréatif, lorsque Tim a été victime d’un accident vasculaire cérébral.

Son état de santé s’est rapidement détérioré – il souffrait d’un cancer du pancréas – et il est décédé en six jours. « Il comprenait qu’il était en train de mourir. Pas moi. Il n’arrêtait pas de me dire : ‘Continue à faire les Legos’. Je lui ai promis de le faire. C’est le travail que je suis censée faire », a déclaré Loretta.

Les bienfaits vont au-delà des patients

À l’augmentation du nombre de cas de démence, s’accompagne une inquiétude quant à la pénurie de soignants et au fait qu’ils sont sur-sollicités. Les outils, jeux et programmes Lego peuvent aider les patients à rester occupés, calmes et stimulés. La participation au programme a eu un effet convaincant sur les soignants.

Loretta le savait de première main grâce à son expérience de proche aidante. Elle tient compte des proches aidants dans ses programmes et développe même des outils qui leur sont strictement destinées, ainsi que des ateliers pour les aider à travailler avec leurs proches atteints de démence.

Gail Titus a participé à quelques ateliers de Loretta avec sa mère, Dolores Davidson, aujourd’hui décédée. À l’époque, Mme Davidson ne parlait pas et n’était pas en mesure d’aider à la « construction ». Gail n’avait jamais joué avec des blocs Lego auparavant. Elle a été enthousiasmée.

« Lorsque vous travaillez avec les Lego, il n’y a pas de bien ou de mal. J’ai pu établir un lien avec ma mère. C’était quelque chose que nous pouvions partager et faire ensemble », a déclaré Gail Titus.

Gail pouvait voir, en observant le langage corporel de sa mère, que cette dernière était en paix et qu’elle s’amusait. Chaque atelier se terminait avec le sentiment d’avoir bénéficié d’une « excellente séance de counseling ».

Pendant les séances, d’autres résidents, dit-elle, évoquaient des souvenirs, et versaient des larmes – mais toujours des larmes de joie.

« Je veux que Loretta continue à faire [la promotion de ce programme] parce qu’elle a un impact sur beaucoup de gens », a déclaré Gail Titus.

Loretta elle-même a bénéficié de ce programme. La construction Lego a été une sorte de thérapie pour elle, l’aidant à apprivoiser ses propres deuils, à nouer des liens avec d’autres personnes et à surmonter des émotions difficiles.

Pendant les périodes de confinement, lors de la pandémie Covid-19, Loretta et sa mère, décédée en 2022, jouaient avec des blocs Lego à travers une fenêtre. Jonglant avec les difficultés de la proche aidance, Loretta se tournait souvent, elle aussi, vers ses blocs, une fois seule chez elle.

« C’est ainsi qu’une partie de mon brouillard cérébral s’est dissipé. Quand je me sentais vraiment mal, je posais des blocs Lego sur la table et je construisais des choses », dit-elle. « Les Lego m’ont permis de surmonter beaucoup de choses – ils ont largement contribué à ma santé mentale. »

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