Le lièvre blanc d’Inaba et des Navajos

17 juin 2016 17:12 Mis à jour: 17 juin 2016 17:12

Récemment, une petite vidéo intitulée Le voyage de l’ADN circulait sur les réseaux sociaux et dans laquelle on demande aux gens quelle est, selon eux, leur identité génétique dans le sens national, et quel peuple ils pensent ne pas vouloir fréquenter. Après quoi on leur présente le résultat de leur ADN. Ils découvrent alors que celui-ci a traversé les océans et les continents et se compose des gènes de nombreux peuples y compris de ceux qu’ils considéraient jusque-là comme leurs ennemis. L’émotion parmi les participants est sans limite alors qu’ils comprennent qu’ils sont également les enfants de leurs ennemis.

Le lièvre Blanc d’Inaba et des Navajos créé à l’occasion des célébrations des 10 ans du musée du Quai Branly par le metteur en scène japonais Satoshi Miyagi porte ce même message d’universalisme et de paix basé sur les découvertes de Claude Lévi-Strauss qui n’avait pas eu recours aux tests ADN.

Les mythes fondateurs

Dans L’Autre face de la lune (2002), Claude Lévi-Strauss établit des correspondances entre certains mythes asiatiques et amérindiens qui nous racontent la genèse de notre monde.

Lévi-Strauss fait de ces mythes parallèles – dans lesquels les dichotomies connues par nous aujourd’hui comme le haut et le bas ou l’homme et l’animal n’existent pas – les émanations d’un réservoir commun qui aurait circulé de l’Indonésie à l’Alaska à l’époque des grandes glaciations, alors que la majorité des îles étaient reliées à la terre ferme et que le détroit de Béring reliait l’Asie à l’Amérique : « Tout se passe comme si un système mythologique, peut-être originaire de l’Asie continentale et dont il faudrait rechercher les traces, était passé d’abord au Japon et ensuite en Amérique ».

Le mythe du lièvre blanc est relaté dans le Kojiki, recueil des mythes de genèse du Japon écrit au VIIIe siècle à partir des légendes populaires des IVe, Ve et VIe siècles.

Claude Lévi-Strauss a retrouvé plusieurs personnages qui réapparaissent dans les mythes amérindiens correspondant au mythe japonais du beau-père maléfique et du passeur.

Derrière, le rideau s’ouvre et on découvre l’ici et le maintenant : le magnifique jardin du musée du quai Branly.   (© musée du quai Branly, photo Cyril Zannettacci)
Derrière, le rideau s’ouvre et on découvre l’ici et le maintenant : le magnifique jardin du musée du quai Branly. (© musée du quai Branly, photo Cyril Zannettacci)

Un spectacle total

Satoshi Miyagi revient au théâtre Claude Lévi-Strauss réenchanter le public comme il l’a fait il y a dix ans à l’occasion de l’inauguration du théâtre avec son Mahabharata qui avait connu également un grand succès au festival d’Avignon en 2013.

Satoshi Miyagi crée de nouveau un spectacle total avec la participation du Shizuoka Performing Arts Center (SPAC) qui comprend 27 comédiens-musiciens-danseurs.

Les légendes ancestrales que Claude Lévi-Strauss décrit sont une excellente occasion pour Satoshi Miyagy et sa troupe de mettre en œuvre l’esprit du théâtre à ses débuts avec sa richesse de couleurs, de vivacité et d’imagination. Quand le conteur racontait et les porteurs de masques dansaient.

« Je recherche le style primitif du théâtre japonais. Le chorus, les musiciens et une certaine gestualité sont caractéristiques du théâtre traditionnel ancien », dit le metteur en scène.

Un travail collectif à l’esprit démocratique

Claude Lévi-Strauss décrit les légendes japonaises et amérindiennes mais selon lui, les deux ont dû dériver d’une légende première qu’il ignore et qu’il laisse aux autres le soin de trouver.

Satoshi Miyagi relève le défi. Dans un esprit qu’il appelle démocratique et qui caractérise les temps où les contes étaient encore transmis oralement sans être signés par un seul auteur, il se plonge dans le livre de Claude Lévi-Strauss avec les 27 membres du SPAC pour trouver une solution théâtrale collective à l’énigme du mythe de l’origine.

« Nous nous sommes divisés en groupes de 7-8 personnes et chaque groupe était responsable d’une partie du spectacle. Pour l’écriture, chacun donnait son opinion puis nous nous sommes mis d’accord sur l’une des versions. C’est ainsi que nous avons procédé ».

Cet esprit qui caractérisait le processus du travail s’est également révélé sur scène.

Les masques

C’est ainsi que tout au début du spectacle, Satoshi Miyagy nous présente l’ordre des événements à l’aide d’une traductrice alors que ses musiciens et chanteurs émettent des sons assourdis derrière un rideau de cordes circulaire qui se transforme bientôt en feu de camp ou en soleil.

D’abord la légende japonaise puis l’amérindienne et finalement celle qui a été imaginée par la troupe.

« Les costumes sont des kimonos traditionnels très simples. Je voulais mettre l’accent sur les masques et donc les costumes restent neutres en contraste avec les masques », explique Takahashi Kayo qui a créé les costumes et les masques.

Des hommes portant des masques de crocodiles en bois et en paille rampent tout autour de ce chorus ancestral composé de tambours et de flûtes cachés derrière ce rideau et qui nous présentent les personnages : le lièvre, le héros Okuninushi, la princesse Yagami-hime que tous désirent épouser, le père maléfique de la princesse, les 80 demi-frères d’Okuninushi… Et la fête ne fait que commencer. On sort des rubans rouges pour suggérer le feu, des rubans noirs pour les cheveux du beau-père maléfique, un tapis bleu pour l’océan… et ce rideau au milieu.

Puis, les chanteurs et les conteurs encerclent le rideau, des « Ho-Wa-Wa » résonnent, une pipe passe, les héros montent de ce feu de camp suggéré par le rideau, portant de grands masques au-dessus de leur pagne amérindien.

Finalement c’est Claude Lévi-Strauss qui monte sur scène, enfin pas lui mais sa photo en grand format portée sur la tête d’un comédien. Le public rit. Il nous salue et nous promet de nous révéler le mystère du mythe de l’origine.

C’est maintenant au tour des gradins du théâtre de servir le spectacle, les héros descendent les marches illuminées par un soleil imaginaire, puis c’est le soleil lui-même qui y passe, ils semblent descendre vers nous, les humains, de la nuit des temps. Les personnages des deux légendes s’unissent dans une danse joyeuse comme celle qui rappelle la fête de la Saint-Jean d’été, célébrant le jour le plus long. Les deux soleils s’unissent tels deux continents. Derrière, le rideau s’ouvre et on découvre l’ici et le maintenant : le magnifique jardin du musée du quai Branly.

INFOS PRATIQUES

Le Lièvre blanc d’Inaba et des Navajos. Du 9 au 19 juin 2016 au musée du quai Branly.

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