Lois de bioéthique : quelles libertés et quels enjeux éthiques ?

Par Pierre Coulange
6 janvier 2023 19:54 Mis à jour: 12 janvier 2023 20:06

Les discussions actuelles sur la bioéthique sont consécutives à la loi du 7 juillet 2011 ; celle-ci prévoyait une révision de la loi par le Parlement dans un délai maximal de sept ans, précédé de l’organisation d’états généraux. Ces états généraux ont été confiés à un groupe d’experts : le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) pour les sciences de la vie et de la santé. Le texte discuté cet été à l’Assemblée nationale est l’aboutissement de cette clause de révision. Pourtant, un certain nombre de confusions semble entacher ce processus et il apparaît important de les mentionner ici. Le point de vue sera philosophique et théologique. La difficulté de ce sujet réside dans le caractère multiforme des révisions programmées : allongement du délai de l’IVG à 14 semaines, suppression de la clause de conscience, ouverture de la PMA à tous, etc. L’évolution se fait au nom d’une plus grande permissivité de la loi, au nom de la liberté et de l’égalité. Considérons en particulier la mesure phare de ces dispositions : faut-il ouvrir la PMA à tous, couples hétérosexuels, homosexuels et femmes seules ?

Dans cette contribution, nous voudrions prendre de la hauteur et réfléchir à ces questions de liberté et d’égalité : selon quelle conception de la liberté peut-on arriver à de telles évolutions législatives, quelle égalité est visée par le projet, quelles en sont les implications éthiques ?

Les objections à la libéralisation des lois de bioéthique

Ces perspectives ont donné lieu à un certain nombre d’objections ; celles-ci émanent surtout de l’Église catholique. Pierre d’Ornellas, archevêque de Rennes et membre du CCNE, montre qu’il y a là un changement de logique important : l’ouverture de la PMA à toutes les femmes supprime le critère d’infertilité médicale du couple et crée un nouveau mode de filiation par « déclaration anticipée de volonté » (article 4) induisant ainsi, selon son expression, « un changement de logique ». C’est ainsi qu’est supprimée l’exigence d’une pathologie. Pierre d’Ornellas estime que « cette mesure introduit en effet une conception du droit et des liens à établir entre les êtres humains qui est en rupture avec celle qui prévaut depuis les premières lois de bioéthique de 1994. Elle soulève des interrogations difficiles qui sont autant de points de vigilance : l’absence de père ; la pseudo-égalité des filiations ; la puissance de la volonté et l’accès aux origines. » Reprenons successivement ces points.

Absence de père

En effet, l’institution d’une différence entre les enfants qui auront un père et ceux qui n’en auront pas crée un précédent singulier qui paraît en contradiction avec la déclaration de 1948 : « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits ». La privation du père pour certains enfants n’est pas de l’ordre de l’accessoire, d’autant plus que la nécessaire présence du père pour le bien d’un enfant est soulignée par le projet de loi ; le CCNE affirme clairement dans son avis n° 126 : « le rôle d’un père, en interaction et coopération avec celui de la mère est essentiel dans la construction de la personnalité de l’enfant et de son rapport à la diversité de la société dont l’altérité masculin- féminin » (p. 49). Produire un enfant sans père, ni aucune ascendance paternelle crée une exception à la déclaration de principe du CCNE. La législation, fait remarquer Pierre d’Ornellas, est d’ailleurs attentive à mieux équilibrer auprès de l’enfant la présence du père et de la mère lors des congés parentaux.

L’ouverture de la possibilité de la PMA pour les femmes seules pose aussi la question de la frustration des enfants d’un cadre familial équilibré : le CCNE reconnaît d’ailleurs « la plus grande vulnérabilité des familles monoparentales ». Est-il opportun de confier l’éducation d’un enfant à une seule personne alors que les autres enfants sont éduqués dans leur famille par le père et la mère ? C’est priver légalement l’enfant de l’altérité qui est nécessaire pour structurer sa personnalité. On sait combien les nouveaux nés courent le risque de dépendre d’une relation fusionnelle avec leur mère, ce qui peut causer des troubles psychologiques importants. Ajoutons le risque de défaillance en cas de mono parentalité. L’État sera-t-il capable de prendre en charge ces enfants en cas de difficulté ?

Pseudo-égalité des filiations

La filiation est désormais reconnue par une « déclaration anticipée de volonté » cosignée par les deux conjoints. Mais ce changement législatif établit en réalité une fausse symétrie eu égard à l’évidence de la nature, que l’enfant devenu adolescent sera parfaitement à même de déceler. Il n’aura jamais pu dire « papa » et ne se trouvera donc pas en situation d’égalité avec d’autres enfants nés d’un père et d’une mère. Certes, le mode de filiation est établi juridiquement : cet enfant a bien deux parents ; l’enfant sera fils ou fille de deux adultes sans distinction, selon le droit, entre sa mère naturelle, celle avec laquelle il a entretenu un lien gestationnel et qui lui a donné la vie, et l’épouse civile de celle-ci.

C’est le lien gestationnel justement qui semble considérablement relativisé, au point d’être remplacé par une déclaration de volonté. C’est par conséquent la porte ouverte à la GPA (Gestation pour autrui), s’il est vrai que le lien gestationnel n’a plus d’importance et pourrait être délégué. Or, le CCNE jusqu’à présent refusait toute ouverture en ce sens justement en raison du lien naturel entre la mère et l’enfant :

« Qu’elle soit animée par le besoin d’argent le plus souvent, un désir altruiste plus rare, et/ou qu’elle ressente un bien-être à être enceinte rapporté par certaines, le sentiment vis-à-vis de l’enfant qu’elle porte, qui se développe et se manifeste à elle, est sans doute variable, ambigu, mais réel. La naissance de l’enfant se fait dans un contexte de rupture du lien qui s’était établi. Cette rupture est souvent douloureusement ressentie par la gestatrice, même quand elle s’y croyait préparée, et peut être source de dépression. Certains parlent d’abandon programmé de l’enfant. »

Puissance de la volonté

Avec ce projet de loi, c’est la volonté des adultes qui prime sur la réalité du corps et de son origine biologique ; les liens charnels que validait le droit ne sont plus pertinents et s’évanouissent. C’est selon la loi, la « volonté » des adultes qui « permet de rendre compte du projet parental » (article 4). Cependant, l’enfant est bien une « personne » en regard de la loi ; il sera désormais soumis à la volonté unilatérale des parents édictant pour lui un « projet parental ». Tout se passe comme si « le droit de puissance » revenait en force dans le droit alors qu’il en avait été progressivement retiré pour donner toute sa dimension au respect du droit des enfants. Rappelons que la Convention internationale des droits de l’enfant fut adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies en 1989, et ratifiée aussitôt par la France. Mais avec le projet parental, se reconstitue une emprise des adultes sur la vie et l’éducation des enfants qui paraît procéder selon un abus de pouvoir, comme l’a fait remarquer à juste titre Catherine Labrusse-Riou dans son étude intitulée : « Projet parental, projet biomédical : la reconstitution des droits de puissance ? » Rappelons de plus que le Conseil d’État s’était opposé à ce « droit de puissance » lié à la conclusion d’un projet parental : « Il paraît excessif de donner à une personne la puissance extrême d’imposer à un autre l’amputation de la moitié de son ascendance. »

L’accès aux origines : un paradoxe

Le projet de loi tente de résoudre la difficulté liée à la séparation entre la volonté et le biologique ; il y a bien un donneur de gamètes que l’enfant, lorsqu’il deviendra adulte, désirera sans doute connaître. Aussi, le législateur prévoit-il la levée de l’anonymat à la majorité de l’enfant. C’est ainsi que d’un côté, un enfant peut être élevé par deux femmes qui ont conclu un projet parental, d’un autre, le lien charnel reprend ses droits au moment où l’enfant, devenu adulte, se met légitimement à rechercher ses origines. Cette recherche exprime une quête existentielle qui est reconnue comme légitime par la loi puisqu’elle prévoit la levée de l’anonymat. « De qui suis-je issu ? » N’y a-t-il pas une négation qui n’est autre qu’une dissociation entre l’esprit et le corps si l’on estime que l’être humain est le seul résultat d’une volonté, alors qu’il provient bien de deux adultes qui ont bien un corps d’homme et de femme ? Pierre d’Ornellas en déduit :

« Ce paradoxe peut aussi s’exprimer ainsi : le projet de loi reconnaît une souffrance en permettant la levée de l’anonymat du don et dit en même temps qu’on peut susciter cette souffrance en favorisant les techniques de l’AMP avec donneur, alors même que la médecine est basée sur le principe du primum non nocere (en premier lieu, ne pas nuire). Comment une assistance qui se veut médicale n’obéirait-elle pas à ce principe ? »

Article écrit par Pierre Coulange, avec l’aimable autorisation de l’IREF

L’IREF est un « think tank » libéral et européen fondé en 2002 par des membres de la société civile issus de milieux académiques et professionnels dans le but de développer la recherche indépendante sur des sujets économiques et fiscaux. L’institut est indépendant de tout parti ou organisation politique. Il refuse le financement public.

Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.

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