Parler plusieurs langues en famille: faut-il se fixer des règles ?

Par Max Antony-Newman
9 mars 2023 17:41 Mis à jour: 9 mars 2023 19:12

Beaucoup d’entre nous vivent dans des sociétés qui ne sont plus tant caractérisées par leur diversité que par leur « super-diversité », pour reprendre les mots de l’anthropologue Steven Vertovec. De plus en plus de personnes circulent à travers le monde, faisant voyager leurs langues et leurs cultures. En Grande-Bretagne, par exemple, 20% des élèves sont multilingues et parlent au moins une langue en plus de l’anglais.

Les parents ont déjà beaucoup à faire pour nourrir leurs enfants, assurer leur sécurité et les éduquer. Mais pour les familles dans laquelle sont parlées plusieurs langues, il s’agit aussi de se positionner terrain pour décider de la manière dont elles seront pratiquées.

Si les linguistes se sont depuis longtemps intéressés aux questions de parentalité et de bilinguisme, une réévaluation de la complexité de nos sociétés de la super-diversité amène une nouvelle approche. Ce que les experts appellent le plurilinguisme considère l’usage des langues sous un angle bien plus fluide et dynamique.

Avec les théories précédentes, on a souvent préconisé des règles strictes dans l’apprentissage des langues. Selon la règle « Une langue, un parent », pour éviter les confusions, chaque parent s’adresse à l’enfant dans sa langue maternelle. D’autres parents décident, quant à eux, de ne parler que leur langue d’origine à la maison, tandis que la langue du pays sera apprise à l’école.

L’adoption d’une approche plurilingue apporte, en revanche, un certain soulagement. Elle suggère qu’il n’y a pas de règle immuable, qu’on peut décider de ce qui est opportun au jour le jour et s’adapter aux situations. En bref, il n’y a plus de contre-indication au mélange des langues, à leur utilisation dans d’autres cadres que ceux fixés initialement.

Célébrer la diversité linguistique

Nous savons déjà combien le plurilinguisme est important dans l’enseignement, tant pour la réussite que pour le bien-être des élèves multilingues.

Afin de comprendre comment cela se traduit dans la sphère privée, j’ai mené en 2018 une étude auprès de 20 parents ayant immigré au Canada depuis neuf pays d’Europe centrale et orientale et constaté que le type de parentalité qu’ils ont instinctivement adopté est véritablement plurilingue.

Les parents auxquels j’ai parlé croient en un usage fluide et dynamique des langues. Beaucoup envoient leurs enfants dans des programmes français d’immersion linguistique où l’enseignement se fait à la fois en anglais et en français, tout en acceptant que les compétences en français de leurs enfants ne soient probablement pas à la hauteur de leurs compétences en anglais.

Le plurilinguisme est important dans l’enseignement, tant pour la réussite que pour le bien-être des élèves multilingues. (Photo : cc-by-sa/2.0-©Jaggery – geograph.org.uk/p/4350842

Au quotidien, parents et enfants passent d’une langue à l’autre. Ils peuvent commencer une phrase dans une langue et la terminer dans une autre. Lorsque leurs grands-parents viennent d’Europe, les enfants dialoguent dans la langue qu’ils parlent. Mais, si un ami vient pour jouer avec eux, ils optent alors pour l’anglais.

L’éducation plurilingue implique une approche plus libérale. Nombreux sont les parents à ne pas croire qu’il faille punir les enfants qui parlent dans la « mauvaise » langue à la maison. Même ceux qui étaient stricts à la naissance des enfants se sont vite rendu compte que leurs enfants passent spontanément d’une langue à l’autre. Et ils ne le voient pas d’un mauvais œil.

Enfin, l’un des points clés de la parentalité plurilingue est l’interconnexion entre langue et culture. En traversant les frontières, les parents emportent avec eux tout un bagage culturel et la langue est liée à des questions d’identité et d’appartenance que les parents immigrants doivent régulièrement négocier dans leurs foyers.

Le fait de parler bulgare au Canada permet aux enfants de nouer un lien avec le pays de leurs parents, même s’ils se considèrent comme des Canadiens. Il est particulièrement important pour les parents de conserver leur langue d’origine et ils transmettent cette importance à leurs enfants également. Comme l’a dit un parent ukrainien : « C’est notre histoire, c’est notre patrimoine ».

Être ouvert à l’apprentissage de langues

Vous avez peut-être entendu dire que le fait de parler deux langues dans la famille perturbe les enfants, retarde les freine dans l’apprentissage du langage et nuit à leur réussite scolaire. Il s’agit en fait d’idées reçues que les chercheurs ont passé des décennies à démystifier. Ils ont ainsi montré que le bilinguisme, au contraire, présente des avantages cognitifs.

De nombreux éducateurs ont mis en garde contre l’introduction trop précoce de nouvelles langues dans la vie de l’enfant ou contre le mélange des langues. Un autre conseil qu’on entend couramment est de veiller à ce que l’enfant n’apprenne une langue qu’auprès de locuteurs natifs afin d’obtenir un accent parfait, une grammaire impeccable et un vocabulaire riche.

Ce type de règles auto-imposées est source de discorde dans la vie familiale lorsque les parents tentent de réguler le recours des enfants à telle ou telle langue. Le plurilinguisme, en revanche, découle d’une nouvelle compréhension de la manière dont les langues sont utilisées et met l’accent sur une approche plus fluide.

Cette école de pensée valorise toutes les langues qu’un élève donné est capable d’utiliser, quel que soit son niveau dans l’une ou l’autre. Elle cherche à développer attention aux faits linguistiques, leurs connaissances culturelles et leur ouverture à l’apprentissage des langues, tout en progressant dans la langue qui est l’objet du cours.

Et conformément aux études précédentes sur les apprenants multilingues, dans mon étude, tous les élèves ont obtenu de bons résultats scolaires, qu’ils soient dans des écoles anglaises, des écoles bilingues d’immersion française ou au baccalauréat international. Il n’y a manifestement aucun mal à conserver sa langue et sa culture d’origine. Et cette politique linguistique familiale flexible évite aux parents et aux enfants de nombreuses batailles.The Conversation

Article écrit par Max Antony-Newman, Lecturer in Education Studies, Sheffield Hallam University

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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