Qiao Shi ou le rêve éteint d’une autre Chine

24 juin 2015 18:06 Mis à jour: 26 octobre 2015 18:19

 

Lorsque Qiao Shi, autrefois troisième homme le plus puissant de Chine, est décédé le 14 juin, il aurait du être un homme heureux. Son décès est survenu trois jours à peine après un coup majeur contre son principal adversaire politique, l’ancien dirigeant chinois Jiang Zemin.

Selon Xinhua, l’agence de presse officielle de l’État chinois, Qiao Shi est décédé le 14 juin à l’âge de 91 ans, après une hospitalisation sans résultat. Le 11 juin, le patron disgracié de la sécurité Zhou Yongkang a été condamné à la prison à perépétuité, un moment clé dans l’effondrement de la faction politique de Jiang Zemin.

En dépit du fait qu’il est un des hommes les plus puissants du Parti communiste chinois et directeur de l’agence responsable de la police et des forces internes de sécurité du régime, Qiao Shi était une personnalité modérée et libérale sur la scène politique chinoise avant sa retraite en 1998.

Lutte contre un despote naissant

Dans les années 1990, Qiao Shi était l’un des principaux adversaires politiques de Jiang Zemin, dont le mandat de secrétaire général du Parti communiste de 1989 à 2002 devient de plus en plus synonyme de corruption endémique et d’effroyables violations des droits de l’homme.

Qiao Shi, originaire de Shanghai, est né en 1924 comme Jiang Zhitong. Membre du Parti communiste depuis 1940, il s’est spécialisé dans les renseignements et la sécurité. Comme de nombreux responsables chinois, il a été durement persécuté lors de la Révolution Culturelle (1966-1976), mais a accédé à la notoriété dans les années 1980, devenant membre du Politburo et responsable de l’agence disciplinaire du Parti communiste en 1987.

Bien que Jiang Zemin ait succèdé à Deng Xiaoping au poste de secrétaire général en 1989, Deng Xiaoping a gardé le contrôle sur l’armée et le Parti grâce à son réseau politique parmi lequel se trouvait Qiao Shi.

Deng Xiaoping, ancien dirigeant du régime chinois. (Wikimedia Commons)
Deng Xiaoping, ancien dirigeant du régime chinois. (Wikimedia Commons)

Une des caractéristiques définissant le sens politique de Qiao Shi était son insistance sur la primauté du droit, une position qui contrastait directement avec la politique de copinage et d’autopromotion de Jiang Zemin.

Lors de la 3e Session plénière du 8e Congrès national du peuple, Qiao Shi avait déclaré qu’il était important de construire un gouvernement propre en insistant sur le système juridique. Tous les employés du régime étaient des serviteurs du peuple et non leurs maîtres, avait déclaré Qiao Shi lors de cette réunion.

Qiao Shi représentait un barrage pour Jiang Zemin dont le jeu politique s’articulait autour de la persistance d’un système dans lequel la clé était constituée par les relations personnelles et non les institutions.

Poussé vers la retraite

Qiao Shi, président du Congrès national du peuple chinois (à gauche), le Premier ministre Li Peng (au centre) et le Président Jiang Zemin (à droite), se dirigent vers leurs sièges avant le début de la session du Congrès national du peuple du 6 mars 1996 dans le Grand Palais de l'Assemblée nationale populaire à Pékin. (Robyn BEC/AFP/Getty Images)
Qiao Shi, président du Congrès national du peuple chinois (à gauche), le Premier ministre Li Peng (au centre) et le Président Jiang Zemin (à droite), se dirigent vers leurs sièges avant le début de la session du Congrès national du peuple du 6 mars 1996 dans le Grand Palais de l’Assemblée nationale populaire à Pékin. (Robyn BEC/AFP/Getty Images)

Début 1997, Deng Xiaoping est décédé, laissant à sa suite Jiang Zemin, dirigeant incontesté dans la politique du Parti. Lors du 15e Congrès national du Parti communiste, qui a eu lieu plus tard cette année-là, Jiang Zemin a saisi l’opportunité d’agir contre ses ennemis, parmi lesquels Qiao Shi.

Jiang Zemin a trouvé un allié en Bo Yibo, ancien du Parti communiste issu de la même génération que Deng Xaoping. Ensemble, ils se sont entendus pour éloigner Qiao Shi de ses postes d’influence. Bo Xilai, le fils de BoYibo, a aussi été placé sous l’aile de Jiang Zemin à cette époque.

Au cours de la période précédant le 15e Congrès national du Parti communiste, Bo Yibo a informé Qiao Shi qu’une limite d’âge de 70 ans serait déterminée pour les hauts responsables du Parti. Qiao Shi, déjà âgé de plus de 70 ans, devrait partir en retraite. Pour des raisons qui restent sombres, Qiao Shi a reconnu cette limite sans protester et a quittés ses fonctions début 1998.

Avant de se retirer, Qiao Shi, en tant que dirigeant des forces de sécurité du régime, exerçait une influence modérée sur les ambitions de Jiang Zemin. Ainsi, Jiang Zemin et sa faction ont obtenu un contrôle total.

Les tendances despotiques de Jiang Zemin se sont d’abord exprimées lorsqu’il a démontré son enthousiasme pour écraser les défenseurs de la démocratie dans son fief de Shanghai. Ensuite, Jiang et ses amis ont ciblé un autre groupe en-dehors de tout contrôle du Parti.

« Des centaines de bienfaits, pas un seul tort »

Le Falun Gong, une discipline spirituelle méditative enseignée pour la première fois au public chinois en 1992, est devenu immensément populaire dans les années 1990 – en 1998, le nombre de pratiquants était estimé entre 70 et 100 millions de personnes.

Luo Gan, l’allié de Jiang Zemin qui a remplacé Qiao Shi à la tête de la sécurité, avait déjà suggéré que le Falun Gong pourrait servir de bouc émissaire pour renforcer les références du parti de Jiang Zemin. Début 1996, le Falun Gong a commencé à subir des critiques au ton politique dans les médias officiels et les pratiquants ont commencé à être surveillés par la police. Des enquêtes ont été menées pour « découvrir » un soutien étranger et des activités illégales parmi les pratiquants. Personne n’a pu trouver aucun tort duquel accuser le Falun Gong.

En 1998, Qiao Shi et d’autres membres du Congrès national du peuple ont ordonné que davantage d’études soient menées sur le Falun Gong et les pratiquants. Verdict : le Falun Gong a apporté des « centaines de bienfaits » pour la santé et la société chinoise et « pas un seul tort ».

La preuve accablante soutenant le Falun Gong comme étant une aubaine pour le peuple chinois et la nation n’a pas suffi à arrêter les plans brutaux de Luo Gan et de Jiang Zemin envers le groupe spirituel.

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En privé, Jiang Zemin, qui aurait étiqueté le Falun Gong comme une menace existentielle pour le Parti communiste athée, a ordonné le lancement d’une campagne nationale pour éradiquer la pratique. En juin, il a créé le soi-disant « Bureau 610 », une organisation policière secrète extra-judiciaire dont le pouvoir s’étendait à toutes les branches du Parti et des autorités, pour mener à bien cette répression.

Dirigé par Luo Gan, le Bureau 610 est entré en l’action le 20 juillet et a mobilisé l’appareil de la sécurité d’État pour arrêter des dizaines de milliers de pratiquants de Falun Gong en quelques jours.

Au cours des 16 années de persécution qui ont suivi, ce nombre aurait atteint des centaines de milliers voire des millions de personnes, selon les enquêtes des droits de l’homme. Des dizaines de milliers d’entre elles ont été torturées à mort entre les mains des autorités ou eu leurs organes prélevés.

Des pratiquants de Falun Gong se réunissent dans un parc de l’agglomération de Chengdu, Chine, pour les exercices matinaux, en 1990, avant que la persécution contre la pratique de la méditation ne débute. (Faluninfo.net)
Des pratiquants de Falun Gong se réunissent dans un parc de l’agglomération de Chengdu, Chine, pour les exercices matinaux, en 1990, avant que la persécution contre la pratique de la méditation ne débute. (Faluninfo.net)

Brutale répression, corruption débridée

En persécutant le Falun Gong, Jiang Zemin et sa faction politique ont largement étendu les pouvoirs des agences de sécurité du régime. La Commission des affaires politiques et juridiques (CAPJ), que Qiao Shi avait autrefois dirigée, est devenue une organisation redoutable supervisant des millions de policiers, de troupes paramilitaires et d’agents en civil. À un moment donné, sous la direction de Zhou Yongkang, allié de Jiang Zemin, la CAPJ bénéficiait d’un budget encore plus élevé que celui de l’Armée populaire de libération.

Outre le Falun Gong, d’autres minorités religieuses et ethniques ont subi une répression similaire – les Chrétiens clandestins, les Tibétains, les Musulmans ouïghours et tous les dissidents ont souffert sous l’expansion de la CAPJ.

Sous Qiao Shi, la police armée, une annexe de la CAPJ, était subordonnée au département de police. Lorsque Zhou Yongkang est arrivé en poste, l’étendue des actions de la police armée s’est considérablement accrue. Des démolitions forcées de domiciles aux contrôles de sécurité effectués à l’entrée des réunions, la police armée était fréquemment appelée. Comme le pouvoir de la CAPJ s’est accru, la commission a commencé à mépriser totalement la loi.

Alors que les prisonniers d’opinion croupissaient en prison ou étaient disséqués vivants pour leurs organes, le réseau de bénéficiaires politiques de Jiang Zemin s’est agrandi en taille et en richesse. Avec de puissants alliés dans presque chaque secteur du Parti, du régime et de l’armée, ainsi que dans les entreprises d’État, la faction de Jiang Zemin est devenue extrêmement corrompue. Le fossé des revenus s’est accru et de grandes quantités de richesses ont été gaspillées dans des projets vaniteux.

Boucler la boucle

Mais le Parti ne peut pas durer éternellement. Lorsque Jiang Zemin a quitté son siège de secrétaire général du Parti communiste en 2002, il a été remplacé par Hu Jintao, qui a affiché peu d’indépendante au cours de son mandat – la faction de Jiang Zemin détenait le véritable pouvoir. Dans les années 2010, Hu Jintao a à son tour quitté le pouvoir.

Se compromettant avec le reste des dirigeants du Parti, la faction de Jiang Zemin a donné l’impression de permettre l’accession de Xi Jinping à un poste temporaire de pouvoir en tant que secrétaire général, avec l’intention de le renverser par un coup d’État en faveur de Bo Xilai. Le principal partisan de ce coup d’État était Zhou Yongkang, directeur de la CAPJ depuis 2007.

Ce coup d’État n’a jamais eu lieu. Zhou Yongkang et Bo Xilai ont été démasqué suite au scandale de Wang Lijun et Xi Jinping a saisi cette occasion de frapper. En 2013, Bo Xilai a été condamné à la prison à vie et Xi Jinping a lancé sa massive campagne de lutte contre la corruption, sous la direction de l’agence de discipline du Parti communiste (une autre organisation que Qiao Shi avait dirigée). Au cours de ce processus, de nombreux sympathisants de Jiang Zemin ont ainsi été éliminés.

Suite à l’arrestation et au procès de Bo Xilai, Zhou Yongkang et d’autres membres éminents de la faction de Jiang ont aussi été détenus et placés sous enquête, principalement pour des crimes économiques. Xu Caihou, vice-président de la Commission centrale militaire du Parti, est décédé en prison et Li Dongsheng, un des principaux propagandistes de Jiang Zemin et acteur clé dans la campagne de persécution du Falun Gong, a aussi été démis de ses fonctions.

Le 11 juin 2015, le tribunal responsable du jugement de Zhou Yongkang, l’a condamné à la prison à perpétuité pour corruption et divulgation de secrets d’Etat.

Zhou Yongkang, qui supervisait l’appareil de sécurité, a été, par divers moyens, la colonne vertébrale de la faction depuis 2007. Avec sa chute, Jiang Zemin, âgé de 88 ans, est voué à sa perte.

La condamnation de Zhou Yongkang pourrait passer pour détail technique dans un processus qui l’a vu perdre le pouvoir en 2012, mais pour Qiao Shi, qui a passé 18 ans de sa retraite à regarder ses ennemis fouler le pays aux pieds, cela pourrait avoir été une consolation convenable avant son décès.

 

Version originale : The Lost Legacy of a Chinese Official Who Had a Different Vision for China

 

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