Québec : Monsanto plus puissant que le gouvernement ?

Par Epoch Times
10 novembre 2015 14:00 Mis à jour: 23 décembre 2019 20:17

Devant les analyses accablantes sur la dégradation des écosystèmes d’Amérique du Nord, le réveil est douloureux pour le gouvernement québécois et pour les agriculteurs, habitués à utiliser le Round Up de Monsanto.

Le ministre québécois de l’Agriculture n’a pas laissé l’ombre d’un doute. Dans sa déclaration au micro de Radio Canada, le 28 octobre dernier, Pierre Paradis a déclaré « Monsanto et les autres de ce genre sont encore plus puissants que le gouvernement du Québec ».

Les enjeux environnementaux font pourtant l’objet de recherches de la part des autorités sanitaires canadiennes. Récemment, l’administration québécoise a même fait part d’objectifs ambitieux pour le développement d’une agriculture saine. Pourtant, dans les exploitations agricoles, la situation progresse pour le pire, avec une utilisation croissante des pesticides. Devant cette situation acquise, le gouvernement cache mal son malaise sur la difficulté à faire marche arrière.

Développer l’agriculture souvraine

Le Québec compte 42 000 agriculteurs et 2% du territoire est consacré à l’agriculture – à titre de comparaison, on compte en France 515 000 exploitations agricoles sur 58% du territoire. Si le pays ne peut comparer ces chiffres avec ceux de ses voisins américains et canadiens, l’agriculture reste malgré cela un secteur de première importance dans ce pays, et crée beaucoup d’emplois, par rapport à des secteurs déjà porteurs comme le bâtiment ou la finance.

Le 16 mai dernier, le gouvernement a mis en place un plan de souveraineté alimentaire. L’objectif : développer l’agriculture, accroître la part de produits québécois dans la consommation du pays, générer des emplois, faire baisser les prix. Le gouvernement a également investi pour trouver des sources d’énergies alternatives aux énergies fossiles et a été avisé par de nombreux rapports émis par des autorités sanitaires.

Au Québec, le programme d’assurance de stabilisation des revenus agricoles (ASRA) constitue le principal soutien du gouvernement aux agriculteurs. Il reverse des compensations aux agriculteurs, en tenant compte des prix du marché. Le problème, d’après l’ONG Nature Québec, c’est que « le programme ASRA est reconnu pour être dommageable pour l’environnement en orientant les agriculteurs vers des productions à forts impacts sur l’environnement via des conditions avantageuses d’assurance ».

Taux de mortalité des abeilles enregistré dans les différentes régions canadiennes. (MAPA)
Taux de mortalité des abeilles enregistré dans les différentes régions canadiennes. (MAPA)

Incapable d’enrayer la progression des pesticides

« Dès que j’ai commencé à faire des arrosages, j’ai voulu porter une combinaison, parce qu’à l’école on nous a tellement parlé des effets néfastes », témoigne Heidi Asnong. « Des fois, même quand j’arrose avec mon tracteur, dans la cabine, je sens vraiment que j’ai un mal de tête ». À 33 ans, cette productrice de grandes cultures de maïs et de soja habitant dans le sud du Québec affirme qu’elle aimerait bien pouvoir se passer des pesticides pour lutter contre les insectes et les mauvaises herbes.

L’herbicide glysophate, mieux connu sous le nom de Round Up, a augmenté ses ventes de 27% entre 2006 et 2012 dans le pays. D’autres pesticides, comme ceux à base de néonicotinoïde – visant le système nerveux des insectes destructeurs de cultures –, ou d’atrazine – interdit en Union européenne – ont des effets dévastateurs sur les écosystèmes. En Ontario, d’après une étude récente, les abeilles seraient décimées par les néonicotinoïdes, affichant un taux de mortalité de plus de 37% en 2015.

Le gouvernement a récemment réaffirmé sa volonté de réduire de 25% l’impact des pesticides sur l’environnement d’ici à 2021. Cependant, la situation actuelle semble bien loin des améliorations : les ventes de pesticides n’ont jamais été aussi élevées, les surfaces cultivées diminuent, et surtout, les fonds accordés à l’accompagnement des agriculteurs et à la recherche et innovations ne cessent de baisser.

Sur ce dernier secteur, l’enveloppe versée par le ministre de l’Agriculture, de la Pêche et de l’Alimentation est passée de plus de 11 millions de dollars en 2013 à 1,5 million en 2015. De telles conditions ne sont « sûrement pas compatibles avec l’objectif de réduire de 25% les usages de pesticides », note Marcel Groleau, président du syndicat de l’Union Paysanne (UPA).

Les agriculteurs livrés à eux-mêmes

Les agriculteurs comme Heidi Asnong n’ont, semble-t-il, que peu de choix face au manque d’information sur l’utilisation des pesticides. Ainsi, la logique de rendement prend facilement le pas sur toutes autres considérations. « L’industrie te pousse toujours à être plus performant, à sortir le plus de rendement, à avoir les champs les plus propres possible », rapporte l’agricultrice.

Le secteur agricole québécois s’est traditionnellement développé sur un modèle familial. L’État ne fait que combler le vide laissé par les vendeurs de pesticides, libres de dicter les « bonnes » pratiques. Aujourd’hui, les syndicats reconnaissent êtres pris dans la logique des grandes compagnies industrielles. D’après l’ UPA, «  l’ASRA est également responsable de l’expansion de l’intégration industrielle en agriculture, une orientation contraire au désir de la population qui souhaite plutôt préserver l’agriculture familiale. En d’autres mots, l’ASRA est un programme anti-souveraineté alimentaire ».

La jeune agricultrice de Pike River reconnaît une relation malsaine entre agriculteurs et industriels. « Ce sont eux qui te vendent un produit, mais ce sont eux aussi qui te conseillent dans ta gestion des pesticides. […] C’est comme si le médecin était aussi celui qui te vend les médicaments », analyse-t-elle. Au vu de la situation, certains agriculteurs renoncent petit à petit aux méthodes industrielles. Mais beaucoup hésitent encore à abandonner leurs pratiques actuelles, de peur de voir leur rendement baisser, d’être envahi de mauvaises herbes, etc.

Difficile de dire à quel point la désinformation sur les méfaits des pesticides a cimenté l’agriculture québécoise. Dans 99% des relevés effectués sur quatre rivières (Chibouet, Des Hurons, Saint-Régis et Saint-Zéphir), les critères de mauvaise qualité de l’eau sont dépassés. En 2011, cette fréquence de dépassement ne tournait qu’autour de 10%, avant l’utilisation intense d’insecticides de type néonicotinoïde. Des chiffres effrayants, renforcés par d’autres analyses portant sur l’écosystème aquatique, qui indiquent que dans certaines rivières, la concentration d’autres insecticides dépasseraient de 15 fois les critères nécessaires à la protection de la vie aquatique.

Le gouvernement mal à l’aise dans sa communication

Au vu de la situation, en Ontario, les autorités ont décidé de diminuer de 80% l’emploi des produits à base de néonicotinoïde. Au Québec, rien n’a été décidé. De leurs côtés, Monsanto et Syngenta et ceux qui représentent les industries agricoles nient les analyses pessimistes rapportées par les experts du gouvernement québécois.

D’après Sean Upton, l’organisme gouvernemental Santé Canada, « aucun organisme de réglementation des pesticides dans le monde n’a reconnu le glysophate comme étant cancérigène ». Pour information, le glysophate, ingrédient présent dans le Round Up de Monsanto depuis 1974, a été classé comme cancérigène par le Centre International de Recherche contre le Cancer et par l’OMS. Cependant, au Canada comme dans d’autres pays comme les États-Unis ou même l’Allemagne, les lobbys sont encore très puissants et apportent un financement important dans les organismes veillant à l’établissement de critères sanitaires.

Les journalistes de Radio Canada ont demandé à Pierre Paradis de commenter les chiffres présentés par les experts sur la dégradation de l’environnement. Le ministre de l’Agriculture, visiblement embarrassé, a refusé toute interview, mais a reconnu que « l’utilisation intensive des pesticides a des effets sur la santé et les premiers concernés sont les agriculteurs ». Il a également concédé que le Québec avait « du rattrapage à faire » pour suivre l’exemple de l’Ontario. Le ministre de l’Environnement a indiqué que pour sa part, il allait « déposer une stratégie très rapidement. Pour nous c’est un problème important à régler et on va le régler ».

Doit-on s’attendre à un bras de fer entre le gouvernement québécois et les vendeurs de pesticides ? Une situation compliquée, si l’on considère que le Canada et les États-Unis sont des terres acquises pour Monsanto. En 1992, l’administration québécoise s’était fixé un objectif de réduction de 50 % de l’utilisation de pesticides pour 2002, sans jamais le tenir. D’après des sources de Radio Canada, le gouvernement québécois serait bientôt près à reconnaître le caractère cancérigène du Round Up. Enfin le premier pas ?

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