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Sécurité alimentaireDes millions d’exploitations agricoles disparaissent : des agriculteurs manifestent dans toute l’Europe
Au sein de l'Union européenne, de plus en plus de petites exploitations agricoles sont contraintes de cesser leur activité. La hausse des coûts et des importations compromet leurs moyens de subsistance. L'accord de libre-échange entre l'UE et le Mercosur, bloc commercial sud-américain, risque d'aggraver la situation. Quelque 10.000 agriculteurs prévoient de manifester contre sa signature à Bruxelles jeudi.

La police anti-émeute a utilisé des gaz lacrymogènes pour disperser des agriculteurs qui bloquaient la route d'accès à l'aéroport de Thessalonique avec leurs tracteurs lors d'une manifestation contre la réduction et le report des subventions de l'UE le 5 décembre 2025.
Photo: : AFP via Getty Images
La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, souhaite signer l’accord de libre-échange avec la communauté économique sud-américaine Mercosur (Argentine, Bolivie, Brésil, Uruguay et Paraguay). La signature est prévue le 20 décembre lors d’un sommet dans la ville brésilienne de Foz do Iguaçu. Alors que la politicienne du parti politique allemand CDU fait pression pour conclure l’accord, la France freine actuellement des quatre fers et demande le report de la signature. Selon Paris, d’autres modifications sont nécessaires pour « obtenir des mesures de protection légitimes pour notre agriculture européenne ».
Quelque 10.000 agriculteurs attendus à Bruxelles pour une manifestation
Afin d’intensifier la pression sur l’UE, les agriculteurs ont également annoncé une manifestation contre l’accord. Une fois de plus, ils ont l’intention de défiler à Bruxelles pour exprimer leur mécontentement. Selon la plateforme espagnole « Agrodigital », environ 10.000 participants provenant de différents États membres de l’UE sont attendus. Au total, plus de 40 organisations agricoles préparent la mobilisation.
Leurs préoccupations sont principalement liées à la peur de perdre leur moyen de subsistance. Beaucoup craignent que cet accord ne leur porte préjudice en matière de concurrence. Dans les pays mentionnés ci-dessus, par exemple, la livraison de viande et de céréales serait autorisée. Ils soulignent les différences de normes et critiquent le fait que les exigences environnementales sont beaucoup plus strictes au sein de l’UE qu’en Amérique du Sud.
L’UE a certes déjà apporté des améliorations sous la pression, mais le ministre français de l’Économie et des Finances, Roland Lescure, pose trois conditions supplémentaires. Premièrement, il doit y avoir « une clause de sauvegarde forte et efficace ». Deuxièmement, les normes applicables à la production dans l’UE doivent également s’appliquer à la production dans les pays partenaires. Troisièmement, des contrôles à l’importation sont nécessaires.
Roland Lescure a déclaré :
„« Tant que nous n’aurons pas obtenu de garanties sur ces trois points, la France n’acceptera pas l’accord. »
Protestations massives contre la politique agricole en France et en Espagne
Les déclarations de M. Lescure ont été précédées par un rejet quasi unanime de l’accord à l’Assemblée nationale française ce mois-ci. Les protestations massives des agriculteurs français pourraient être une autre raison de l’opposition politique de Paris. Tout au long de l’année, des manifestations massives ont eu lieu dans tout le pays, rassemblant des milliers de personnes.
Dès le début de l’année, des agriculteurs venus de toutes les régions de France se sont rendus dans la capitale. Sous le slogan « Nous en avons assez », la manifestation dénonçait notamment l’inégalité de traitement par rapport aux pays hors UE. Euronews a cité les propos d’un agriculteur :
„« Nous ne voulons rien d’autre que le respect des règles européennes, qui sont les mêmes pour tous. Est-ce un rêve irréalisable ? L’autre problème, ce sont les contrôles qui nous agacent au quotidien. Vous savez tous de quoi il s’agit. Nous voulons que ces contrôles s’appliquent aux produits importés et non à nous. Nous en avons ras-le-bol. »
Les manifestations de dimanche dernier ont été massives. Selon l’édition française de « Yahoo », plus de 1 000 agriculteurs ont manifesté dans différentes régions du pays. Ils ont érigé des barrages avec leurs tracteurs ou bloqué des autoroutes avec leurs véhicules. De plus, les manifestants ont installé des campements devant les préfectures et ont déversé ou pulvérisé du lisier devant des bâtiments publics, des ministères ou des supermarchés. Au total, une trentaine d’actions auraient eu lieu dans tout le pays. Et les syndicats préviennent que la mobilisation est loin d’être terminée.
Un scandale de fraude met les agriculteurs grecs en colère
La Grèce connaît également des manifestations massives. Elles ne visent toutefois pas le Mercosur, mais plutôt l’agence publique chargée des subventions agricoles (OPEKEPE). Impliquée dans un scandale de fraude, celle-ci a été dissoute cet été. Ses missions ont été reprises par l’Agence des recettes publiques (AADE). Mais celle-ci n’arrive pas à verser aux agriculteurs les 600 millions d’euros de subventions agricoles de l’Union européenne.
En Espagne, les agriculteurs descendent également dans la rue depuis le début de l’année pour manifester pour diverses raisons. L’accord avec le Mercosur en fait partie. Les agriculteurs espagnols veulent eux aussi participer à la manifestation de jeudi prochain à Bruxelles.
Beaucoup d’agriculteurs craignent pour leur existence. Un coup d’œil sur la France permet de comprendre les raisons de leurs craintes. Epoch Times a rapporté que le nombre d’exploitations agricoles est passé de 390.000 à 349.000 entre 2020 et 2023.
Selon le réseau associatif « Terre de Liens », ce sont presque exclusivement les petites exploitations familiales qui ferment ou sont rachetées par des exploitations de plus en plus grandes. Coline Sovran, représentante des intérêts chez « Terre de Liens », explique :
„« Nous assistons actuellement à un véritable plan social, mis en œuvre discrètement et s’accompagnant d’une concentration et d’une capitalisation sans précédent des exploitations agricoles en France. L’image idyllique de la petite ferme française à taille humaine s’estompe de jour en jour. »
Il est temps de dire la vérité aux Français :
« La politique agricole menée par nos gouvernements depuis des décennies creuse la tombe de cette agriculture que souhaite la majorité des Français. »
De nouvelles structures renforcent la dépendance vis-à-vis des exportations
Les conséquences de cette disparition inquiètent les élus locaux et les organisations non gouvernementales. En Bretagne et dans les Hauts-de-France, deux des régions les plus touchées, près des trois quarts des petites exploitations ont disparu depuis 1988.
L’agriculture s’y est spécialisée dans les cultures intensives telles que la pomme de terre dans le nord ou l’élevage porcin et avicole dans l’ouest, ce qui renforce la dépendance vis-à-vis des exportations.
Comme le souligne Hélène Béchet de Terre de Liens :
„« La moitié des terres en France est destinée à l’exportation. Les petites exploitations luttent pour rester compétitives, mais misent sur des circuits courts, la vente directe et des méthodes qui préservent mieux les ressources et l’environnement. »
Causes de la crise
Les causes de cette crise profonde sont multiples. D’une part, l’agrandissement des exploitations est nécessaire pour survivre dans un monde où la concurrence internationale exige une productivité accrue. Un autre aspect concerne la spécialisation et la mécanisation. Elles augmentent la dépendance aux pesticides et aux engrais et réduisent les performances humaines dans l’agriculture.
De plus, il est difficile de trouver des successeurs pour les exploitations dont les propriétaires partent à la retraite.
Appel à un renversement de tendance en France
Ce déclin remet en question la souveraineté alimentaire de la France ainsi que la vitalité des zones rurales. Selon l’organisation Terre de Liens, la disparition des petites exploitations « affecte non seulement la vie économique locale, mais aussi la résilience des territoires face aux crises », qu’elles soient climatiques, économiques ou sanitaires.
Compte tenu de l’urgence de la situation, différentes mesures sont recommandées pour inverser la tendance. Il faudrait ainsi faciliter l’accès à la terre, accompagner la transmission des exploitations et encourager l’installation de jeunes agriculteurs. Selon Terre de Liens, cela permettrait de soutenir la commercialisation locale des produits.
Pour sauver l’agriculture, l’organisation appelle les pouvoirs publics à s’engager fortement. Si rien n’est fait, le déclin des petites exploitations se poursuivra, car d’ici 2030, un quart des agriculteurs partiront à la retraite, prévient Terre de Liens.
Situation en Espagne
En Espagne, la situation des agriculteurs est également précaire. Comme le rapporte Epoch Times dans un autre article, le nombre d’exploitations agricoles a diminué de près de 40 % en 24 ans. Alors qu’il y en avait encore près de 1,3 million en 1999, leur nombre est tombé à 784.141 à la fin de 2023, dont 111.000 ont disparu entre 2020 et 2023. Au cours de la même période, la superficie cultivée est passée de 16,7 millions à 11,4 millions d’hectares.
Ce recul s’accompagne d’une concentration : la taille moyenne des exploitations est passée de 20,73 hectares en 1999 à 26,37 hectares en 2020, puis à 30,46 hectares en 2023. Cela reflète une tendance à l’expansion au détriment des petites exploitations.
Cette évolution est encore plus marquée dans le secteur de l’élevage. Le nombre d’exploitations bovines est passé de 188.211 à 79.279. Quant aux exploitations porcines, elles sont passées de 180.600 à 30.800. Cependant, le cheptel total des exploitations restantes est resté stable, voire a augmenté.
Les avertissements des agriculteurs restent lettre morte
Copa-Cogeca, la plus grande organisation agricole de l’Union européenne, représente les agriculteurs, les éleveurs et les coopératives agricoles
de tous les États membres. Elle considère la décision de la Commission européenne de poursuivre l’accord
avec le Mercosur comme « une erreur historique pour le projet européen, ses agriculteurs et ses consommateurs ».
de tous les États membres. Elle considère la décision de la Commission européenne de poursuivre l’accord
avec le Mercosur comme « une erreur historique pour le projet européen, ses agriculteurs et ses consommateurs ».
Les organisations agricoles préviennent que la situation pourrait encore s’aggraver avec la nouvelle PAC (politique agricole commune de l’UE).
Cela s’explique notamment par les réductions des aides et les conditions jugées incompatibles avec la rentabilité des petites et moyennes exploitations agricoles.
« La nouvelle PAC présentée en juillet pourrait aggraver l’abandon des terres agricoles. Cela nous préoccupe beaucoup », a averti Alfredo Berrocal, chef du département Élevage et président de l’Union des éleveurs, agriculteurs et sylviculteurs de la Communauté autonome de Madrid (UGAMA) :
« La nouvelle PAC présentée en juillet pourrait aggraver l’abandon des terres agricoles. Cela nous préoccupe beaucoup », a averti Alfredo Berrocal, chef du département Élevage et président de l’Union des éleveurs, agriculteurs et sylviculteurs de la Communauté autonome de Madrid (UGAMA) :
„« Étant donné que nous parlons de réductions budgétaires de plus de 30 %, cela pourrait conduire à la négligence des zones rurales. »
Un changement de génération serait également menacé. C’est pourquoi l’association réclame une politique agricole axée sur le développement rural.
Mercosur : les détracteurs mettent en garde contre une initiative unilatérale partielle de l’UE
La fédération syndicale Copa-Cogeca a également souligné que l’accord entre l’UE et le Mercosur présentait des « irrégularités juridiques ». Celles-ci constitueraient « une menace pour le secteur agricole européen ».
La « division artificielle » signifie que l’accord est divisé en deux parties. La partie commerciale est considérée comme un accord purement européen. Elle peut être adoptée uniquement par le Parlement européen et le Conseil.
La partie politique, qui traite de questions telles que les droits de l’homme, la durabilité et la coopération, devrait être ratifiée par les États membres.
Grâce à cette division, la partie commerciale pourrait être appliquée immédiatement à titre provisoire, sans que tous les parlements nationaux aient à donner leur accord. Les détracteurs y voient un contournement de la participation démocratique et craignent que les normes environnementales et sociales ne soient affaiblies, tandis que la partie commerciale serait rapidement mise en œuvre.
Importations de céréales d’Ukraine
Une autre raison expliquant la disparition de nombreuses exploitations agricoles serait l’importation de céréales, principalement en provenance d’Ukraine.
Cela conduirait « des milliers d’exploitations familiales à la ruine ». C’est ce que souligne l’organisation professionnelle agricole espagnole, l’Asociación Agraria de Jóvenes Agricultores (ASAJA, Association agricole des jeunes agriculteurs). Selon elle, les prix des céréales ont connu une spirale baissière cette année. Trois associations régionales de l’ASAJA dénoncent la passivité inacceptable du ministère de l’Agriculture, de l’Autorité agricole et du Conseil régional de Castille-et-León en matière de frontières et de marchés intérieurs. En raison de l’effondrement des prix à la production et de l’« explosion » des coûts d’exploitation au cours des dix dernières années, les céréaliers espagnols se trouvent dans une « situation critique ».
Depuis 2020, 37 % d’exploitations en moins qu’en 2005 dans toute l’Europe
Selon Eurostat, il y avait environ 9,1 millions d’exploitations agricoles dans l’UE lors du dernier recensement en 2020. Cela correspond à une baisse d’environ 37 % par rapport à 2005. Eurostat indique également que le nombre d’exploitations a fortement diminué, tandis que les surfaces sont restées constantes. Selon les statistiques, aucun pays de l’UE n’a connu de nouvelle augmentation du nombre d’exploitations.
En Allemagne, selon « Destatis », le nombre d’exploitations agricoles a également diminué de manière continue entre 2010 et 2024. Alors qu’il y en avait encore 299.100 il y a 15 ans, leur nombre est tombé à 255.010 en 2024. Les surfaces disponibles sont en revanche restées largement stables. En 2010, elles représentaient environ 16,7 millions d’hectares et en 2024, seulement 0,1 million d’hectares de moins.
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