Opinion
Bruxelles lance un avertissement : le marché immobilier dans la péninsule ibérique est au bord de l’effondrement
Un rapport de la Commission européenne met en garde contre la détérioration structurelle de l'accès au logement en Espagne et au Portugal

Photo: Shutterstock
Il n’est un secret pour personne que la location comme l’achat d’un logement sont devenus pratiquement inaccessibles. Certains, de façon simpliste — et l’on ignore si c’est par méconnaissance ou mauvaise foi — cherchent à imputer ce problème à une croissance démographique provoquée par l’immigration. Pourtant, dans cet article nous analyserons quelles sont les véritables raisons profondes de cette crise.
Évidemment, une croissance démographique démesurée fait partie du problème, mais n’en constitue pas le cœur. Si demain tous les immigrés étaient expulsés d’Espagne, la maladie chronique du manque de logements resterait présente.
En 2020, la Commission européenne a créé l’Équipe d’analyse et de recherche (ART est son sigle en anglais), un groupe de travail rattaché au Secrétariat général du Conseil. Périodiquement, cette équipe publie des rapports et des articles sur des sujets d’intérêt pour le Conseil européen ; cette fois‑ci, c’est le logement qui a été examiné.
L’article, intitulé en anglais One roof, many realities : Europe’s complex housing crisis (Un toit, différentes réalités : la crise complexe du logement en Europe), a été publié au mois d’octobre et décline la situation du logement sur le continent. Dans cette analyse, nous allons nous concentrer sur l’Espagne et le Portugal, deux pays aux réalités législatives et économiques très proches.
Hausses des prix, aléas économiques
Le prix du logement a augmenté en Espagne de 72 % depuis 2010, ce qui se traduit par une part toujours plus importante de nos revenus consacrée à un besoin aussi élémentaire qu’un toit. Au Portugal, la situation est encore plus alarmante : les prix ont grimpé de 147,5 %, et près de la moitié des ménages consacrent déjà plus de 40 % de leur revenu au paiement du logement, selon les données de la Commission européenne.
Cette situation pose d’énormes difficultés aux citoyens qui, face à la perte de pouvoir d’achat due au renchérissement du coût de la vie, se heurtent à des scénarios de plus en plus complexes pour pouvoir financer un foyer.
Depuis la crise immobilière de 2008 — que l’on a mis sept à huit ans à surmonter et qui, en chemin, a entraîné des milliers de familles incapables d’assumer leurs engagements hypothécaires —, les banques ont procédé à des milliers de saisies et s’est multiplié un phénomène jusque‑là marginal : l’occupation illégale des logements.
À cela s’est ajoutée la crise pandémique de 2020, qui a provoqué une pénurie totale de matériaux, une forte hausse de leurs prix et un manque de main‑d’œuvre, laissant le secteur de la construction dans une situation durablement fragilisée. Le problème combine plusieurs facteurs : entreprises en difficulté de financement, charges fiscales élevées et une évidente carence d’innovation.
Fonds de relance de l’UE
Bien que les prévisions pour l’Espagne et le Portugal cette année annoncent une croissance de 3,2 % et 4,0 % respectivement, grâce aux fonds de relance de l’UE, la réalité contraste avec l’optimisme bruxellois.
Le gouvernement espagnol, malgré la disponibilité de ces fonds, s’est montré incapable de les répartir efficacement. Le délai pour engager les dépenses allouées par l’Union européenne approche, et l’exécution minimale exigée de 62 % pour éviter le remboursement d’une partie des montants prêtés n’est même pas atteinte. En chemin, l’Espagne a déjà été sanctionnée par Bruxelles pour ne pas avoir compensé adéquatement certains agents publics, manquant ainsi quelques jalons convenus.
Agenda politique : climat et identité dominent
Le tout se conjugue avec le fait que les villes, à la différence des zones rurales, se densifient de plus en plus. S’y ajoute la bataille bureaucratique liée aux « engagements climatiques », qui impose des logements « plus efficaces ». La nécessité de rénover le parc immobilier pour l’adapter aux exigences de consommation et de durabilité rend le processus lourd, lent et coûteux, plaçant Lisbonne et Barcelone parmi les villes européennes les plus onéreuses pour se loger.
La question du logement n’a pas véritablement figuré à l’agenda politique. Les dirigeants ont été davantage occupés par des débats identitaires de toute nature que par l’affrontement des sujets qui touchent directement les citoyens : le prix de l’énergie, le coût de la vie et l’accès à un logement décent.
Ceux qui ont instrumentalisé le problème, comme c’est le cas en Catalogne — et singulièrement à Barcelone — l’ont fait depuis une perspective idéologique, en s’en servant pour remettre en cause la propriété privée, plutôt que d’offrir des solutions structurelles et durables.
Réaction du marché aux occupations illégales
C’est ainsi que le phénomène des occupations trouve en Catalogne sa plus forte concentration. Selon le portail immobilier Idealista, 42 % de toutes les occupations recensées en Espagne se produisent dans cette région, dont la capitale — Barcelone, deuxième ville la plus chère d’Europe selon le rapport bruxellois — concentre l’essentiel des cas. Rien qu’en 2024, 7 009 plaintes pour violation de domicile et usurpation ont été enregistrées.
À cette situation tendue s’ajoute que le délai moyen pour régler judiciairement une occupation avoisine les deux ans. Face à la lenteur des procédures, de nombreux propriétaires optent pour des entreprises privées pour libérer les biens, car pendant tout ce temps ils doivent continuer à assumer les charges des services essentiels, comme l’eau ou l’électricité, de leurs logements occupés.
Ce contexte explique pourquoi l’on estime que les chiffres réels des occupations sont supérieurs aux chiffres officiels : de nombreux propriétaires préfèrent ne pas porter plainte pour éviter des procédures longues et coûteuses. Ainsi, grands et petits propriétaires décident de laisser leurs biens fermés ou de les destiner à la location touristique, une alternative plus rentable et offrant davantage de garanties.
En Catalogne, les appels d’offres publics pour construire de nouveaux logements restent parfois sans réponse, reflet du faible intérêt des entreprises devant un cadre légal et fiscal peu attractif.
Une faible construction limite l’offre
S’ajoute à cela une offre très limitée de logements sociaux, dont les rares unités disponibles sont souvent attribuées — au détriment d’une partie de la population locale — à des personnes d’origine étrangère. Cela s’explique par le fait que l’un des principaux critères dans les processus d’adjudication est le revenu, et, de manière générale, les demandeurs étrangers inscrits à ces programmes présentent des revenus plus faibles, ce qui les place en tête des listes de priorité.
En 1998, la loi 6/1998, de régime du sol et des évaluations, connue pour son principe « tout sol est constructible sauf le sol protégé », a été promue par le gouvernement de José María Aznarce. Cela représentait une large libéralisation du foncier non protégé.
Cependant, elle fut immédiatement contestée — et je cite littéralement : « Introduite par le Parlement de Navarre ; quatre‑vingt‑quatre députés des groupes parlementaires socialiste, fédéral d’Izquierda Unida et mixte, et le Conseil de gouvernement de la Junta d’Extremadura contre la loi des Cortes Generales 6/1998. »
Cette loi fut finalement démantelée par le Tribunal constitutionnel, et avec elle échoua une réforme qui, à l’époque, apportait une solution à un problème qui, près de trente ans plus tard, reste non résolu.
Le facteur de l’émancipation des jeunes
À cette marmite d’ingrédients s’ajoute l’incapacité de nombreux jeunes à s’émanciper : l’âge moyen d’émancipation en Espagne tourne autour de 30 ans, selon la Commission européenne.
Le tout s’allie à la perte de pouvoir d’achat, une pression fiscale étouffante et des salaires stagnants.
L’environnement hostile
Ce n’est pas la faute des entrepreneurs ni des immigrés : en Espagne personne ne gagne moins parce qu’il est étranger, car la loi garantit l’égalité salariale.
Le véritable problème réside dans un environnement fiscal et réglementaire hostile, où les entreprises supportent des charges croissantes et sont parfois contraintes d’appliquer des critères idéologiques plutôt que professionnels.
S’y ajoute la réduction de la durée du travail sans diminution salariale, qui accroît les coûts et réduit la compétitivité, affectant surtout les PME. Ainsi, le marché du travail devient plus rigide et moins en mesure d’offrir de réelles opportunités aux jeunes.
Comme vous avez pu le constater au fil de ce texte, nous avons analysé les éléments qui fondent le problème du logement en Espagne. Et, comme on a pu l’observer, une série de facteurs divers concourt à ce phénomène, l’immigration n’étant qu’un élément parmi d’autres, mais pas le centre. Porter un jugement superficiel sur un sujet aussi complexe révèle, de manière évidente, la volonté de certains d’aborder un problème d’envergure européenne avec une approche simpliste.
S’il n’y a pas de réelle libéralisation du foncier, de réduction de la charge fiscale pesant sur le secteur et d’une gestion efficiente des fonds européens, et si la protection pleine et entière de la propriété privée n’est pas garantie, le logement restera un bien difficile d’accès. Le problème n’est pas démographique, mais institutionnel : une combinaison de bureaucratie, d’inefficacité et d’opportunisme politique qui conduit l’Espagne et le Portugal dans une impasse en matière de logement.
Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.

Sayde Chaling-Chong García est président de l'Alliance ibéro-américaine européenne contre le communisme (AIECC), militant pour la réunification hispanique, lobbyiste au Parlement européen et promoteur de l'Union hispano-américaine (UH). Il a écrit pour des médias tels qu'El Periódico Cubano, El Catalán et El Debate.
Articles actuels de l’auteur










