En Chine, la femme enchaînée du Jiangsu aura davantage retenu l’attention du public que les Jeux olympiques

Par Nicole Hao
24 février 2022 01:46 Mis à jour: 24 février 2022 14:50

L’attention du peuple chinois sur la condition d’une femme enchaînée dans le district de Feng, dans la province du Jiangsu, mère de huit enfants, se poursuit, dépassant l’attention portée aux Jeux olympiques de Pékin qui se sont achevés le 20 février. L’incident a déclenché une vive discussion en ligne sur la traite des femmes en Chine.

Dans un message publié sur le média social chinois Weibo, Maggie Ip, petite-fille de Ye Jianying, l’un des généraux fondateurs du régime chinois, a déclaré le 20 février : « Le régime a bloqué la route pour entrer dans le district de Feng le 15 février. Nous voulons voir les solutions pour résoudre le problème, et non utiliser la pression pour maintenir la paix en surface (…) Le district de Feng n’est que la partie émergée de l’iceberg. Qu’en est-il des autres [régions] ? »

L’histoire horrible de la femme enchaînée a amené les internautes chinois à poster continuellement de nouvelles informations sur cette affaire tout en formulant de nombreux commentaires sur Weibo, Weixin, etc. Pourtant, les algorithmes en ligne du régime n’ont pas manqué de continuellement censurer l’information pour empêcher que le sujet ne devienne viral, tout en favorisant davantage le contenu sur les Jeux olympiques et d’autres sujets étiquetés « énergie positive ».

Habitués à la censure, les internautes chinois ont continué à discuter de l’affaire du trafic en ligne en évitant les mots sensibles.

« Certes, nous voulons savoir qui a une médaille d’or autour du cou, mais nous prêtons plus d’attention à la femme enfermée avec une chaîne autour du cou », a posté un internaute chinois sous le nom d’utilisateur Mili’s Mom sur Weibo le 18 février. « Nous devons nous réincarner des dizaines de milliers de fois pour être une autre Eileen Gu (médaillée d’or olympique). Mais la distance entre nous, la femme enchaînée et les autres victimes de la traite des femmes est si petite… un coup, de la drogue et une camionnette blanche. »

Pour enlever une femme dans la rue, les trafiquants d’êtres humains frappent les femmes à la tête, lui administrent un somnifère avec un spray buccal afin qu’elles perdent connaissance, les attachent et les emmènent au loin dans une camionnette.

Trafic d’êtres humains

Pékin a tenté de s’attaquer au problème de la traite des êtres humains en édictant des lois, mais celles-ci sont restées sans effet et le fléau persiste aujourd’hui plus que jamais.

Le 16 février 2015, le Legal Daily a publié les derniers chiffres officiels sur le sujet fournis par le ministère de la Sécurité publique : plus de 30 000 femmes et 13 000 enfants auraient été secourus par la police en 2014. Mais le rapport n’a jamais mentionné quand ni où ces femmes et ces enfants ont été enlevés ou vendus.

Au cours des dernières décennies, les médias d’État chinois ont fréquemment rapporté un cas après l’autre de femmes enlevées dans la rue ou trompées par des trafiquants d’êtres humains leur offrant de bons emplois. Ces femmes auraient ensuite été vendues dans des zones rurales à des familles pauvres.

Presque toutes les femmes kidnappées tentent de s’échapper. Selon les médias chinois, généralement, les trafiquants d’êtres humains et les familles pauvres les battent, les enchaînent, les violent et les fécondent de force pour qu’elles mettent au monde des bébés.

Cette femme enchaînée dans le district de Feng est probablement une victime de la traite des êtres humains.

Femme enchaînée

Le 28 janvier, une vidéo de la femme enchaînée s’est rapidement répandue en Chine et parmi les Chinois outre-mer. Dans la vidéo, cette femme d’âge moyen, hébétée, se tient dans le coin d’un hangar avec une chaîne autour du cou.

Elle n’a ni manteau ni chaussures, malgré l’hiver glacial. Elle n’a à ses côtés qu’un bol contenant un peu de nourriture, son déjeuner.

La personne qui tourné la vidéo explique que cette femme n’a pas de nom et qu’elle vit dans le village de Dongji du district de Feng, dans la zone rurale de Xuzhou, dans la province du Jiangsu (est de la Chine). On nous apprend que c’est l’épouse d’un homme de la région, Dong Zhimin, et qu’elle a donné naissance à huit enfants. Sept garçons et une fille, dont l’âge varie d’un an et demi à 20 ans.

Une fois que la vidéo est devenue virale, de nombreux internautes chinois se sont rendus dans le village pour lui rendre visite puis ont partagé ce qu’ils ont trouvé en ligne. Selon eux, la femme est violée par Dong, le père de Dong et le frère de Dong depuis vingt ans. Lorsqu’elle est arrivée dans le village, les fonctionnaires locaux l’ont violée « parce qu’elle était belle ».

Les premières années, la femme enchaînée mordait et criait sur les hommes qui la violaient. Dong et sa famille lui ont ensuite cassé les dents, coupé le bout de sa langue et l’ont forcée à boire des drogues qui ont endommagé ses cordes vocales.

Dans la vidéo que les internautes ont partagée, la femme enchaînée dit : « Je vis comme une prostituée. »

Quelques jours plus tard, la femme a répété à plusieurs reprises à un internaute qui lui a rendu visite : « Le monde m’a abandonnée », se plaignant qu’aucun des internautes qui lui ont rendu visite n’avait tenté de la sauver.

Les internautes ont répondu qu’ils ne pouvaient pas faire justice eux-mêmes, appelant les autorités à agir.

L’action du régime

Les autorités du district de Feng et de la ville de Xuzhou ont pris des mesures après la diffusion virale de la vidéo, mais uniquement pour publier quatre déclarations sur l’affaire, dont aucune n’a calmé le public ou sauvé la mère des huit enfants.

Ainsi, les autorités ont déclaré le 28 janvier, quelques heures après la diffusion de la première vidéo en ligne, que la femme enchaînée avait épousé Dong de son plein gré en août 1998 et qu’elle était devenue malade mentale ces dernières années. Elles ont également affirmé qu’un internaute l’avait enchaînée pour tourner la vidéo afin d’attirer l’attention du public.

Deux jours plus tard, les autorités ont publié une autre déclaration, affirmant que la femme enchaînée était une mendiante souffrant de troubles mentaux lorsque le père de Dong l’a trouvée en juin 1998. Le père l’a ensuite mariée à Dong quelques mois plus tard. L’état mental de la femme ayant empiré, la famille l’a enchaînée pour éviter qu’elle ne batte les autres.

Le 7 février, les autorités de la ville de Xuzhou ont déclaré que la femme enchaînée s’appelait Xiao Huamei et était originaire du village de Yagu, dans le district de Fugong, au sud-ouest de la province du Yunnan, et qu’elle souffrait de troubles mentaux depuis 1996. Son ami l’a amenée dans le district de Donghai, dans le Jiangsu, où elle s’est perdue. Ils ont dit que les dents de la femme étaient endommagées à cause d’une parodontite.

Trois jours plus tard, les autorités de la ville de Xuzhou ont déclaré que les tests ADN avaient permis de vérifier que Dong et la femme enchaînée étaient les parents des huit enfants.

Cependant, ces annonces ont suscité la colère des internautes chinois qui ont continué à demander aux autorités de prendre des mesures.

Le 17 février, les autorités de la province du Jiangsu ont annoncé qu’elles allaient mener une enquête approfondie sur cette affaire et en informer le public.

Censure

L’affaire de la femme enchaînée a attiré l’attention avant les Jeux olympiques de Pékin et a continué à susciter l’intérêt du public pendant toute la durée des Jeux. Cependant, la question n’a pas été répertoriée comme « virale » ou « tendance » sur les plateformes chinoises et les comptes d’utilisateurs ayant publié des critiques ont été supprimés.

Lao Dongyan, professeur de droit à l’université Tsinghua, a créé un compte sur Weibo et publié son premier message le 19 février, dans lequel elle déclarait que l’affaire serait inscrite dans l’histoire de la Chine et qu’elle continuerait à en parler.

Quelques heures plus tard, le message a été supprimé de Weibo et son compte a été interdit de publication, car le premier message « violait la loi et les règles en vigueur ».

La chaîne Phoenix TV, détenue en partie par l’État, a envoyé une équipe au village de Dongji et a publié une vidéo en direct sur son compte de médias sociaux le 19 février. La vidéo a été retirée et le compte a été interdit après seulement une heure de mise en ligne. D’autres reporters ont été arrêtés à des points de contrôle avant de pouvoir entrer dans le village.

Deux femmes bénévoles qui ont pu rendre visite à la femme enchaînée ont été arrêtées par la police locale le 11 février et libérées le 18 février. Après leur libération, elles ont indiqué sur Weibo qu’elles avaient été battues par la police. Leurs comptes de médias sociaux ont été rapidement supprimés et dès qu’elles ont tenté de créer d’autres comptes, ceux-ci ont été bloqués également.

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