Comment le virage stratégique de Donald Trump sur la Chine a fait de Taïwan une priorité majeure des États Unis, selon Miles Yu
Miles Yu affirme que la réorientation de la sécurité américaine intervenue après 2017 a redéfini la défense de Taïwan comme un enjeu d’intérêt national pour les États Unis.
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Des gardes d’honneur taïwanais portant des drapeaux taïwanais participent à une journée portes ouvertes au port de Keelung, le 17 mars 2025.
Le recentrage stratégique des États‑Unis sur la lutte contre le Parti communiste chinois (PCC) a commencé durant le premier mandat du président Donald Trump et s’est depuis mué en consensus bipartisan, faisant de la sécurité de Taïwan un intérêt vital de la politique nationale américaine, explique Miles Yu, chercheur principal et directeur du China Center au Hudson Institute, et ancien conseiller de Mike Pompeo, alors secrétaire d’État.
Miles Yu rappelle que Washington a formellement réorienté sa stratégie de défense nationale vers la Chine sous la présidence Trump, marquant le tournant le plus significatif de la grande stratégie américaine depuis la Seconde Guerre mondiale.
Prenant la parole lors d’un forum à Taipei le 15 décembre, Miles Yu a déclaré : « Protéger Taïwan est un acte d’altruisme — et aussi une nécessité enracinée dans notre propre intérêt. »
Un tournant stratégique historique
Miles Yu souligne que la stratégie de sécurité nationale américaine n’a connu que deux grandes transformations au cours des 80 dernières années.
La première est intervenue en 1947, lorsque Washington a remodelé l’ensemble de son appareil national — industrie, éducation, science, défense et renseignement — pour faire face à l’expansion mondiale de l’Union soviétique communiste. Ce basculement a donné naissance au National Security Act de 1947 et a dicté la stratégie des États‑Unis pendant toute la Guerre froide.
La deuxième transformation, explique‑t‑il, a débuté vers 2015, lorsque Donald Trump est entré dans la course à la présidence, avant de s’accélérer après son élection en 2016. En 2017, l’administration Trump a publié une nouvelle Stratégie de sécurité nationale identifiant le PCC comme la principale menace stratégique des États‑Unis.
Selon Miles Yu, ce document a acté un pivot décisif, délaissant la Russie et les engagements au Moyen‑Orient pour concentrer les moyens américains sur l’Indo‑Pacifique.
« L’économie de la Russie représente moins d’un dixième de celle de la Chine, la montée en puissance militaire du PCC a largement dépassé celle de Moscou et les États‑Unis estiment que les alliés de l’OTAN disposent des capacités économiques nécessaires — et doivent être incités — à accroître leurs dépenses de défense pour contenir la menace russe », a‑t‑il détaillé.
La ligne de conduite du second mandat Trump
S’agissant du second mandat de Donald Trump, Miles Yu estime que la posture de Washington vis‑à‑vis de Pékin s’est encore durcie.
« Il existe désormais un consensus [des deux côtés de l’échiquier politique] aux États‑Unis pour considérer le PCC comme la menace numéro un », a‑t‑il affirmé.
Miles Yu décrit l’actuelle équipe de sécurité nationale de Donald Trump comme hautement centralisée et loyale, avec moins de voix dissidentes qu’au cours de son premier mandat. Il ajoute que le président a perdu toute confiance dans les accords commerciaux avec Pékin, après que plusieurs engagements sont restés lettre morte.
« Donald Trump ne croira plus dans la négociation d’accords commerciaux avec le PCC », a‑t‑il déclaré. « [Ce en quoi il croit] désormais, ce sont les droits de douane. »
Selon lui, l’objectif central de la politique commerciale de Donald Trump est de contraindre la Chine à une véritable ouverture de son marché et à la réciprocité. Les pays fortement intégrés aux chaînes d’exportation chinoises, comme le Canada et le Mexique, ont ainsi été confrontés à des hausses de tarifs américains, après que des produits chinois ont transité par leur territoire pour contourner les barrières commerciales adoptées sous l’administration Biden.
Des préoccupations similaires, indique Miles Yu, ont motivé les droits de douane imposés par Washington au Vietnam, au Cambodge et à la Malaisie.
Le président Donald Trump tient un graphique alors qu’il prononce un discours sur la réciprocité des tarifs douaniers à la Maison‑Blanche, le 2 avril 2025. (Brendan Smialowski/AFP via Getty Images)
Dissuader sans confrontation directe
Miles Yu insiste sur le fait que la stratégie américaine vis‑à‑vis de Pékin ne vise pas une confrontation militaire immédiate, mais s’inscrit dans une logique de dissuasion à long terme.
Cela passe notamment par le renforcement de la sécurité nationale, le durcissement du contrôle des frontières, la lutte contre le trafic de fentanyl, l’extension des systèmes de défense antimissile et la riposte à l’influence chinoise dans l’hémisphère occidental, notamment à travers les efforts visant à affaiblir le régime Maduro, allié de Pékin, au Venezuela.
Parallèlement, explique Miles Yu, les États‑Unis s’appuient de plus en plus sur la défense collective plutôt que sur l’action unilatérale.
« Les États‑Unis renforcent la dissuasion face au PCC en misant sur la défense collective plutôt qu’en reposant uniquement sur leur propre puissance — en partageant les responsabilités de sécurité avec leurs partenaires », a‑t‑il expliqué.
Ce que Washington attend de ses alliés
Miles Yu cite la Pologne, le Japon, la Corée du Sud et Israël comme exemples de partenaires particulièrement prisés par Washington.
Il relève que la Pologne se distingue au sein de l’OTAN pour avoir porté son effort de défense à plus de 5 % de son PIB, une fois sortie du joug communiste. La Corée du Sud, de son côté, a atteint un degré élevé d’intégration opérationnelle avec les forces américaines et est en mesure de convertir rapidement la construction navale civile et l’industrie lourde en production de guerre.
« Les États‑Unis aident ceux qui s’aident eux‑mêmes », souligne‑t‑il. « La réalité de l’aide américaine à Taïwan dépendra en grande partie de la détermination de l’île à se défendre elle‑même. »
Des officiers de l’armée et de la marine polonaises défilent lors de la Journée de la marine, devant le musée‑navire ORP Błyskawica, à Gdynia, en Pologne, le 28 novembre 2024. (Ministère polonais de la Défense/Flickr)
La sécurité de Taïwan, un intérêt américain
Miles Yu insiste sur la distinction nette entre la « politique d’une seule Chine » de Washington et le « principe d’une seule Chine » défendu par Pékin.
« Les États‑Unis ne reconnaissent pas Taïwan comme faisant partie de la République populaire de Chine et s’opposent fermement à toute tentative unilatérale de modifier le statu quo par la force », affirme‑t‑il.
L’importance de Taïwan, poursuit‑il, dépasse largement le registre des valeurs. En tant que grande démocratie asiatique et plaque tournante mondiale de la production de semi‑conducteurs, l’île se trouve au cœur de la sécurité régionale comme de l’économie mondiale.
« Si Taïwan tombe, la première chaîne d’îles serait gravement compromise », prévient‑il.
Miles Yu réfute également l’argument de Pékin selon lequel le statut de Taïwan relèverait exclusivement des affaires intérieures chinoises. Il rappelle que la résolution 2758 de l’ONU n’a jamais tranché la question de la souveraineté de Taïwan et que le traité de San Francisco a laissé en suspens le statut final de l’île.
Les déclarations récentes des dirigeants japonais vont dans le même sens. La première ministre japonaise Sanae Takaichi a ainsi clairement affirmé qu’« une crise à Taïwan est une crise pour le Japon », des propos qui, selon Miles Yu, ont fortement irrité Pékin précisément parce qu’ils mettent à nu ce qu’il décrit comme le « faux récit » du PCC sur Taïwan.
« Le statut de Taïwan est une question internationale », affirme‑t‑il. « Il ne s’agit pas d’une affaire interne au PCC. »
Zhang Zhongyuan a contribué à la rédaction de cet article.
Michael Zhuang est un collaborateur d'Epoch Times, spécialisé dans les sujets se rapportant à la Chine.