Crise agricole : « Les élites digitalisées pensent et agissent suivant les voies d’un bolchévisme en col blanc », théorise Robert Redeker

Par Etienne Fauchaire
30 janvier 2024 22:55 Mis à jour: 15 avril 2024 12:53

Derrière la colère des agriculteurs, une révolte de la France enracinée contre ses élites déconnectées, théorise le professeur agrégé de philosophie Robert Redeker. Pour donner naissance à un homme nouveau, un nomade sur une terre sans peuple, il importe d’en finir avec l’agriculteur : les ayatollahs de l’écologisme y travaillent. Ce programme fait figure de « bolchevisme en col blanc », estime le philosophe. Entretien.

Epoch Times : Vecteur de transmission de l’âme française à travers les siècles, l’agriculture est attaquée par des forces désireuses d’en finir avec la France enracinée, si bien que la crise de l’économie agricole s’inscrit plus largement dans le cadre d’une crise de civilisation, expliquez-vous dans le Figaro. Comment analysez-vous cette haine de la transmission chez nos élites citadines ?

Robert Redeker : De Gaulle appelait la France, « ce cher et vieux pays ». Il ne manquait pas de considérer, dans la suite de l’historien Jules Michelet, la France comme « une personne ». Il concevait encore – de même que son successeur, Georges Pompidou — la politique comme la continuation de l’histoire de France. La politique avait une mission : transmettre la France aux générations suivantes. Les élites contemporaines au contraire refusent qu’il soit un « vieux pays », enraciné dans son histoire. Le thème de la « trahison » ou de la « sécession » des élites mis en lumière par Christopher Lasch s’applique tout particulièrement à la France, que ces élites essaient d’effacer de l’histoire. Elles sont habitées par l’utopie d’un monde nouveau et d’un homme nouveau. C’est pourquoi elles estiment qu’il faut faire table rase du passé et éliminer le type humain représenté par le Français enraciné. Dans ce cadre, pour définir l’idéologie de ces élites, il n’est pas impertinent de parler d’un bolchévisme néo-libéral, c’est-à-dire d’un bolchévisme sans communisme. Les élites digitalisées pensent et agissent suivant les voies d’un bolchévisme des beaux-quartiers, d’un bolchévisme en col blanc.

Selon vous, les écologistes perçoivent dans la figure de l’agriculteur un obstacle à la naissance d’un « homme nouveau déterritorialisé géographiquement et culturellement ». Ce concept millénariste fait écho au projet éducatif bolchévique de construction d’un « homme nouveau soviétique », symbole d’une rupture totale avec l’ancien monde précédant la révolution.

Je viens de parler du bolchévisme des élites mondialistes néo-libérales. Les écologistes vivent dans le même monde symbolique que ces élites ; pour la plupart, ils sont issus soit de la classe moyenne supérieure, souvent même de la grande bourgeoisie, et ont fait de brillantes études. Ils habitent les centres-villes, dont ils chassent les automobiles, se déplacent à vélo, sont branchés sur l’hypermodernité digitale, ont foi en une représentation disneysiée de la nature ; ils sont des privilégiés tellement assurés de leur supériorité morale et intellectuelle, qu’ils tiennent pour un devoir d’imposer à toute la population les modes de vie par eux décidés dans leurs colloques et universités d’été. Les communistes haïssaient les bourgeois, les écologistes haïssent les gens du peuple, en particulier les agriculteurs. Ils tendent vers la suppression de la liberté : le contrôle de l’État sur les comportements doit, selon eux, au nom du climat, de la biodiversité, etc, se faire total. Comme dans feu la RDA, ils souhaitent endoctriner les enfants afin que ceux-ci dénoncent leurs parents s’ils ne se comportent pas vertueusement d’un point de vue écologistes.

Vous dénoncez une alliance entre deux contre-sociétés, celle des centres-villes et des quartiers, unies dans leur haine de la France et mues par la même volonté de faire table rase du passé national : « un programme en cours de réalisation ». Pensez-vous que la révolte des agriculteurs pourrait permettre de renverser la table ? 

Il se produira un jour ou l’autre en France quelque chose de semblable à Mai 68, mais avec un tout autre contenu idéologique. Les Gilets jaunes n’ont pas disparu. L’immense majorité de la population refuse aussi bien le séparatisme des élites, que celui des territoires perdus de la République, et celui des écologistes ; elle refuse la reconfiguration de l’homme que ces séparatismes espèrent. Elle aspire à une existence enracinée dans l’histoire du pays et conduite par le bon sens, dont un philosophe français, Descartes, a écrit qu’il est « la chose du monde la mieux partagée », mais pas toujours appliquée. Je précise que je n’ai rien contre l’écologie, loin de là, mais que l’écologie des écologistes est une idéologie, comme le communisme jadis. La pollution, le recul de la biodiversité, le dérèglement climatique, l’artificialisation excessive des sols sont des réalités, et il est évident qu’il faut protéger la faune et la flore, remettre la planète en bon état. Par leur fanatisme, et aussi par leur proximité avec le wokisme, les écologistes détruisent la sympathie naturelle que l’on a pour l’écologie.

Pour l’hebdomadaire conservateur italien Panorama, la colère des agriculteurs français et européens vise l’Union européenne et sa volonté de mettre en œuvre la stratégie “Farm to Fork” [de la ferme à la fourchette], au cœur du pacte vert pour l’Europe. Comment analysez-vous cette contradiction entre d’une part des accords de libre-échange qui favorisent l’importation de produits fabriqués dans des conditions sanitaires souvent désastreuses et, de l’autre, cette surrégulation du secteur agricole imposée par les États européens et Bruxelles ? 

Cette contradiction a pour but de détruire l’agriculture populaire européenne, d’en faire une agriculture pour privilégiés citadins, bobos, dont la particularité est d’exiger un haut pouvoir d’achat. Ce sera une agriculture premium pour la partie premium de la population. On remarque d’ailleurs la premiumisation de toute la consommation ; de plus en plus de produits se déclinent, sans changer de nom, de l’offre de base à l’offre premium. Le parallèle avec l’URSS de sinistre mémoire est évident : l’élite du Parti communiste, la nomenklatura, avait ses magasins pour elle, achalandés, luxueux, tandis que le peuple devait se contenter du reste, de qualité très déficitaire. Les produits d’importation le seront à destination des personnes n’ayant pas d’autre choix que de se nourrir avec du hard-discount et les produits moins onéreux de la grande distribution. Cette destruction de l’agriculture prend le relais de la destruction de l’industrie (voulue en France par François Mitterrand et le Parti socialiste) et de l’école (voulue, elle aussi, par ceux qui sont arrivés au pouvoir le 10 mai 1981).

Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.

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