Déficit public : « On a le sentiment que ceux qui nous dirigent découvrent la situation » déclare Marc Touati

Par Julian Herrero
25 mars 2024 14:15 Mis à jour: 25 mars 2024 14:15

ENTRETIEN – Le chiffre du déficit public de la France en 2023 va être annoncé officiellement mardi par l’Insee et devrait dépasser les 5 % du PIB, allant ainsi au-delà des 4,9 % qui étaient prévus. Cette situation a créé un vent de panique au sommet de l’État et le gouvernement entend faire davantage d’économies et « compléter » l’effort budgétaire. L’économiste et président du cabinet ACDEFI, Marc Touati, regrette que le gouvernement découvre seulement aujourd’hui le triste état de l’économie française: « Une situation qui est le fruit d’erreurs stratégiques depuis 50 ans ». Pour relever l’économie de l’Hexagone, l’auteur du livre « Reset II, Bienvenue dans le monde d’après » préconise notamment une baisse d’impôts accompagnée d’une diminution de la dépense publique.

Epoch Times – Le déficit public sera « supérieur à 5 % du PIB » en 2023. La semaine dernière, le chef de l’État recevait les ténors de la majorité présidentielle pour en quelque sorte, trouver une voie de sortie. Vous avez traité ce sujet dans votre dernière vidéo, comment la France en est arrivée là ?

Marc Touati – C’est du gâchis. On a le sentiment que ceux qui nous dirigent découvrent la situation. Pour ma part, j’alerte, quasiment seul contre tous depuis des mois sur ce qui nous arrive aujourd’hui, mais le gouvernement ne voulait pas écouter et nous faisait croire que la situation était sous contrôle. Ils sont enfin sortis du déni de réalité. Aujourd’hui, la situation économique de la France est très compliquée. Nous vivons dans une période de stagnation économique, voire de récession et le taux de chômage va continuer d’augmenter. Rappelons également que la France est le pays de la zone euro où la dette publique a le plus augmenté depuis 2017, c’est-à-dire + 40%.

Aussi, beaucoup trop d’économistes ont commis l’erreur de dire que les taux d’intérêt n’augmenteraient jamais et que la dette publique n’était pas un problème. C’est totalement irresponsable, ils augmentent tellement que nous devons payer chaque année 50 milliards d’euros d’intérêts de la dette et selon les chiffres de Bercy, cela devrait bientôt atteindre les 75 milliards. Ça veut dire que cela va nous coûter sur 5 ans (2022-2027) presque 300 milliards d’euros.

Autre point négatif, on sait que la note financière de la France va être révisée en avril ou en mai, et même si elles ne sont pas toujours crédibles, je pense que les agences de notation comme Moody’s ou Fitch ont prévenu le gouvernement. D’autant que les chiffres officiels vont sortir bientôt et on va avoir un déficit public qui va exploser. Là encore, nous sommes les seuls de la zone euro à ne pas avoir réduit notre déficit public.

Cette situation est le fruit d’erreurs stratégiques de ceux qui nous gouvernent depuis 50 ans et ce n’est pas près de s’arrêter.  Si les taux d’intérêt continuent d’augmenter, les conséquences vont être particulièrement dramatiques.

On parle dans certains médias, d’effet boomerang du « quoiqu’il en coûte ». Vous partagez cette analyse ?

Je comprends la mise en place du quoiqu’il en coûte en 2020, mais le comble est qu’il n’a pas été arrêté à la fin de la crise sanitaire. Le gouvernement a choisi la fuite en avant. Sans trahir des secrets, j’étais présent à une réunion en 2021 à Bercy en présence de Bruno le Maire et j’avais prévenu qu’il fallait arrêter d’augmenter la dette publique, mais tous les autres économistes « bien-pensants » disaient que l’augmentation de la dette était sans importance et que les taux d’intérêt n’augmenteront jamais. Il est certain que nous nous sommes complus dans ce quoi qu’il en coûte, qui a duré jusqu’en 2023, et aujourd’hui le gouvernement s’étonne que le déficit public dépasse les 5 %.

Je crois que le principal problème est qu’en France, nous n’avons aucune culture économique, seulement une culture de « lutte des classes ». On est dans le dogmatisme et pas dans le pragmatisme, et quand je vois certains économistes, qui sont marqués politiquement, affirmer que la dette n’est pas un problème parce que nous pouvons selon eux nous en sortir en vendant des actifs de l’État français, je suis sidéré. Vous nous voyez sérieusement vendre la Tour Eiffel ?

Il faut comprendre que ce qui compte dans une dette publique, c’est ce qu’on appelle la soutenabilité, c’est-à-dire de savoir si l’activité économique est suffisante pour rembourser les intérêts de la dette.

La dégradation de la note financière de la France est possible. Peut-on craindre une perte de crédibilité de la France auprès des autres puissances économiques ou même des grandes entreprises ?

Les agences de notation ne sont pas, encore une fois, des modèles de crédibilité. Je ne sais pas si c’est par connivence ou d’autres raisons, mais la note de la France aurait dû être dégradée depuis bien longtemps. Il n’est pas normal que nous ayons encore un double A alors que l’Italie qui a fait plus d’efforts que nous, a un triple B. Néanmoins, il est vrai que les notes que ces agences attribuent jouent sur l’image des pays. Par exemple, il y a beaucoup de fonds d’investissement qui achètent des dettes publiques en fonction de leur notation. C’est mécanique, dès que la note est dégradée, les fonds vont moins acheter votre dette.

Cela étant, il ne faut pas non plus dramatiser. La France ne va pas s’effondrer du jour au lendemain. Ce scénario pourrait arriver si nous étions notés triple B, ce qui, normalement, n’est pas près d’arriver. Toutefois, une hausse des taux d’intérêt des obligations d’État est toujours possible et cela engendrerait une récession, une hausse du chômage et donc une hausse des déficits et de la dette.

Il y a en plus un problème au niveau de la stabilité de la zone euro. Une fois la note de la France dégradée et si les réformes annoncées ne sont pas crédibles (cas très probable), les tensions déjà présentes entre Paris et Berlin pourraient être encore plus fortes. C’est ce qui m’inquiète le plus. La zone euro peut malheureusement rentrer dans une crise comme elle a connu avec la crise grecque, une crise de type existentielle.

Quels types de réformes ou de changements doivent être rapidement mis en œuvre ? L’austérité ?

C’est justement le grand danger. J’en vois déjà certains dire qu’il faudrait augmenter les impôts et économiser 5 milliards ici, 2 milliards là. Mais si de l’autre côté, vous donnez 10 milliards à l’Ukraine, les 3 milliards d’économies vont disparaître, ce n’est pas crédible. Nous fonctionnons de cette manière depuis 40 ans ; on fait du saupoudrage des dettes et on colmate les brèches. Il faut repenser complètement la dépense publique en France et réformer ce qu’on appelle « le millefeuille administratif ».

Cela fait trois ans que les dépenses de fonctionnement augmentent chaque année de plus de 20 milliards d’euros. Il y a quelque chose à faire. La France est championne du monde en matière de dépenses publiques (58 % du PIB) et les dépenses sociales représentent 32 % de notre PIB, donc on ne peut pas continuer comme ça. Aujourd’hui, plus la dépense publique augmente, plus les services sociaux sont mauvais. Ça veut dire que nous faisons face non pas à un problème de moyens, mais d’allocation de ces moyens.

Il faut mener un électrochoc, ce que j’appelle une thérapie de choc bienveillante, c’est-à-dire ne pas faire de la rigueur, mais au contraire baisser les impôts comme la CSG que tout le monde paye, qui est un impôt très inégalitaire et qui, je le rappelle, était censé être temporaire et très faible lorsqu’il avait été créé par Michel Rocard en 1991. Nous sommes en 2024.

Mais je veux insister sur un point ; cette baisse d’impôts doit s’accompagner d’un vrai programme de baisse de la dépense publique avec des mesures fortes et des suppressions d’échelons du « millefeuille administratif », autrement, ce n’est pas crédible.

N’oublions pas également de mieux gérer la dépense sociale, lutter contre les fraudes et les exagérations. Il n’y a qu’à lire le rapport de la Cour des comptes chaque année depuis 20 ans pour voir qu’il y a des économies à faire. On peut économiser facilement 50 milliards d’euros par an.

Parmi les pistes envisagées par le gouvernement, il y a celle de réduire les dépenses de santé…

Je trouve ça dangereux. Il faut voir quelles dépenses de santé pourraient être réduites, mais aussi comment. Si vous baissez les dépenses de santé pour les maladies de longue durée, vous risquez d’entraîner des vagues de protestation. Nous pouvons malgré tout essayer de réduire les dépenses de santé faites pour les étrangers ou par exemple faire payer les patients quand ils vont voir différents médecins pour une même pathologie. Il faut responsabiliser les Français. Ils ne sont pas responsabilisés du tout à l’égard de l’économie et des finances publiques. Souvenez-vous, le chef de l’État disait que l’État paiera, ce qui est d’ailleurs paradoxal puisque plus rien ne fonctionne.

La grande erreur des gouvernements qui se sont succédé, a été le déni sur la situation économique du pays, et aujourd’hui quand nos dirigeants disent la vérité aux Français, ils n’y croient pas.

Vous pouvez également retrouver les chroniques vidéos de Marc Touati sur sa chaîne YouTube, qui compte plus de 139.000 abonnés

Soutenez Epoch Times à partir de 1€

Comment pouvez-vous nous aider à vous tenir informés ?

Epoch Times est un média libre et indépendant, ne recevant aucune aide publique et n’appartenant à aucun parti politique ou groupe financier. Depuis notre création, nous faisons face à des attaques déloyales pour faire taire nos informations portant notamment sur les questions de droits de l'homme en Chine. C'est pourquoi, nous comptons sur votre soutien pour défendre notre journalisme indépendant et pour continuer, grâce à vous, à faire connaître la vérité.