Europe spatiale
Europe spatiale : Airbus, Thales et Leonardo scellent leur alliance pour rivaliser avec Starlink
L'industrie spatiale européenne vient de franchir un cap historique. Airbus, Thales et Leonardo ont officialisé jeudi leur volonté de fusionner leurs activités satellitaires, donnant naissance à un mastodonte continental destiné à reconquérir un marché largement dominé par SpaceX et sa constellation Starlink.

Thales Alenia Space, à Mont-sur-Marchienne, Charleroi, le mardi 14 juin 2022.
Photo: JAMES ARTHUR GEKIERE/BELGA MAG/AFP via Getty Images
Ce nouveau champion affichera des dimensions impressionnantes : 25 000 collaborateurs répartis sur tout le continent, un chiffre d’affaires prévu de 6,5 milliards d’euros et un portefeuille de commandes couvrant plus de trois ans d’activité. Le trio industriel table sur un lancement opérationnel en 2027, sous réserve de l’approbation de Bruxelles.
Une industrie en pleine tourmente
Cette union n’arrive pas par hasard. Le secteur spatial européen traverse une période difficile, pris en étau entre plusieurs menaces simultanées. D’un côté, SpaceX bouleverse les règles du jeu en déployant massivement des satellites en orbite basse à des tarifs défiant toute concurrence. De l’autre, le marché traditionnel de la télévision par satellite s’effondre, tandis que la gouvernance européenne, complexe et fragmentée, peine à coordonner une réponse efficace.
Résultat : en une décennie, l’Europe a vu fondre de moitié sa part du marché satellitaire mondial. Les géants continentaux, historiquement spécialisés dans les imposants satellites géostationnaires positionnés à 36 000 kilomètres d’altitude, se retrouvent dépassés par la nouvelle génération de constellations en orbite basse.
Toulouse au cœur du dispositif
Le futur géant européen établira son quartier général à Toulouse, métropole du sud-ouest français qui s’impose comme capitale spatiale européenne. Ce choix n’est pas anodin : les trois partenaires y possèdent déjà des infrastructures majeures dédiées à l’ingénierie, la fabrication et la recherche.
La structure actionnariale reflète un équilibre soigneusement négocié : Airbus détiendra 35% du capital, tandis que Leonardo et Thales se partageront équitablement les 65% restants avec 32,5% chacun. Une gouvernance paritaire garantira que les décisions stratégiques soient prises collectivement, sur le modèle du consortium MBDA créé il y a un quart de siècle dans le domaine des missiles.
Des économies substantielles attendues
Cinq ans après sa concrétisation, cette fusion devrait générer plusieurs centaines de millions d’euros d’économies annuelles. La mutualisation des équipes et le partage des technologies constitueront les principaux leviers de cette optimisation financière.
Pour Philippe Baptiste, ministre français de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Espace, l’enjeu dépasse le simple calcul économique : « Dans un contexte mondial marqué par une concurrence accrue, nous avons besoin de champions du spatial à l’échelle de l’Europe. C’est le seul moyen pour être plus compétitifs. »
Son collègue à l’Économie, Roland Lescure, abonde dans le même sens, saluant une « excellente nouvelle » permettant de « renforcer notre souveraineté européenne ».
L’ombre des suppressions d’emplois
Pourtant, tous ne partagent pas cet enthousiasme. Les organisations syndicales ont rapidement sonné l’alarme, dénonçant les risques liés à ce « monopole » en devenir. La CGT Métallurgie y voit surtout une manœuvre visant à « imposer ses prix et affaiblir le pouvoir des agences spatiales », pointant du doigt un carnet de commandes déjà rempli que les industriels peinent à honorer.
FO Métaux, tout en reconnaissant l’opportunité d’un « nouvel équilibre industriel », pose ses conditions : préservation des savoir-faire français et garantie contre les pertes d’emplois. Un cadre dirigeant d’Airbus s’est voulu rassurant, affirmant qu’avec « un marché en croissance », aucune fermeture de site n’était envisagée à ce stade.
Thales a d’ailleurs annoncé avoir suspendu son plan de suppressions de postes dans sa division spatiale, après avoir obtenu un contrat majeur pour la constellation européenne Iris². L’entreprise avait déjà redéployé les trois quarts de ses effectifs concernés.
Josef Aschbacher, directeur général de l’Agence spatiale européenne, avait anticipé ce mouvement début octobre, promettant un soutien total au projet Bromo : « Nous avons vu la force de l’industrie européenne dans l’aviation avec Airbus. Le secteur spatial est plus petit, l’Europe doit donc être encore plus alignée. »
La bataille pour la souveraineté spatiale européenne ne fait que commencer.
Avec AFP

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