La Chine fait pression sur les nations africaines à propos des accords commerciaux avec les États-Unis

Pékin craint que l'administration Trump n'utilise les tarifs douaniers pour éroder le pouvoir du régime communiste en Afrique

Par Darren Taylor
11 mai 2025 21:34 Mis à jour: 12 mai 2025 09:55

JOHANNESBURG – Des diplomates et des responsables de plusieurs économies africaines de premier plan affirment que les États-Unis et la Chine font pression sur eux pour qu’ils fassent un « choix impossible », alors que les superpuissances se livrent une guerre commerciale qui menace d’éroder davantage des économies fragiles.

De hauts responsables de gouvernements africains, notamment ceux d’Afrique du Sud, d’Égypte, du Kenya et du Nigeria, ont déclaré que Pékin les avait avertis qu’il riposterait contre les pays qui signeraient des accords commerciaux avec les États-Unis « aux dépens de la Chine ».

Les partenaires commerciaux des États-Unis, dont beaucoup de pays africains, négocient actuellement avec l’administration du président Donald Trump à la suite de son annonce de tarifs douaniers mondiaux le 2 avril.

Ils tentent de conclure des accords qui pourraient permettre de supprimer ou de réduire les tarifs douaniers, en fonction de ce qu’ils sont en mesure d’offrir à la Maison-Blanche.

M. Trump a imposé certains des droits de douane les plus élevés sur les importations africaines, allant dans certains cas de 30 à 50 %, arguant qu’ils sont nécessaires pour corriger les déséquilibres commerciaux qui profitent des États-Unis.

Il a déclaré que les tarifs douaniers réciproques augmenteraient la compétitivité de l’Amérique, protégeraient sa souveraineté et renforceraient sa sécurité nationale et économique.

Mais les taxes élevées sur leurs exportations vers les États-Unis réduiront de milliards de dollars des budgets déjà mis à rude épreuve par une dette élevée, l’inflation, le coût de l’industrialisation et les conséquences de la pandémie de Covid-19, ont déclaré les nations africaines.

Des pays comme le Lesotho, frappé d’un tarif de 50 % sur ses exportations vers les États-Unis, qui, selon lui, pourrait détruire son industrie textile, et l’Afrique du Sud (31 %), se sont félicités de l’occasion de dialoguer avec les États-Unis.

« Mais nous savons que si nous faisons quoi que ce soit qui soit perçu comme apaisant pour M. Trump, la chose ne sera pas bien vue en Orient », a déclaré un fonctionnaire du gouvernement de Pretoria à Epoch Times, sous couvert d’anonymat à défaut d’avoir l’autorisation de parler avec les médias.

« Nous jouons un jeu délicat ici », a-t-il déclaré. « En raison des tarifs douaniers de M. Trump et des difficultés économiques qu’ils vont nous causer, nous essayons de former de nouveaux partenariats commerciaux, mais nous savons que la Chine ne sera pas satisfaite de certains de ces partenariats, surtout si nous nous rapprochons économiquement de son plus grand ennemi. Une partie de notre stratégie consiste à commercer encore plus avec la Chine, mais M. Trump considérera cela comme une trahison. Nous ne pouvons pas gagner. C’est un choix impossible. »

Des diplomates kényans et nigérians, qui ont requis l’anonymat pour la même raison, ont fait savoir que des responsables chinois avaient sommé leurs gouvernements de ne pas céder à ce que Pékin a qualifié d’« intimidation » par l’administration Trump.

L’envoyé nigérian a confié à Epoch Times que « les Chinois ont clairement fait valoir qu’ils attendaient des Africains qu’ils se rangent de leur côté » dans cette guerre commerciale.

« Ils ont affirmé que leur gouvernement riposterait envers quiconque signerait avec les États-Unis quoi que ce soit qui puisse nuire à [Pékin] », a rapporté le responsable nigérian.

Le ministère chinois du Commerce a récemment publié une déclaration dans le même esprit que les commentaires formulés par les responsables africains.

« La Chine s’oppose fermement à ce qu’une partie conclue un accord au détriment de ses intérêts », a souligné le ministère. « Si cela se produisait, la Chine ne l’accepterait jamais et prendrait résolument des contre-mesures réciproques. »

Ina Gouws, politologue à l’université de l’État libre en Afrique du Sud, a fait valoir à Epoch Times que la menace de représailles brandie par la Chine avait conduit les pays africains à un « carrefour ».

« Nous avons maintenant les deux plus grandes puissances économiques du monde qui entraînent le reste du monde, et en particulier l’Afrique, où la Chine a exercé son influence pendant des décennies, dans leur spectaculaire guerre commerciale », a-t-elle déploré. « Que doit faire l’Afrique ? Elle ne peut pas plaire à deux maîtres. Les pays africains ne peuvent pas se permettre de perdre leurs échanges commerciaux avec l’Amérique ou la Chine. Ils ont toujours été convaincus qu’ils avaient besoin de commercer avec les deux. Mais M. Trump et [le dirigeant chinois] Xi [Jinping] les ont acculés au pied du mur, et il semble qu’il n’y ait pas moyen pour l’Afrique de s’en sortir. »

Des mineurs artisanaux ramassent du gravier dans la rivière Lukushi à la recherche de cassitérite à Manono, en République démocratique du Congo, le 17 février 2022. (Junior Kannah/AFP via Getty Images)

Des analystes des relations internationales et des experts en commerce ont affirmé que la Chine craignait que l’administration Trump n’utilise les droits de douane, ou les menaces de droits de douane, pour éroder le pouvoir considérable de Pékin en Afrique.

La Chine est de loin le plus grand partenaire commercial de la plupart des pays africains.

Selon le China Global South Project, basé à Washington et à Johannesburg, le commerce sino-africain a atteint 295 milliards de dollars en 2024, soit une augmentation de 6,1 % par rapport à l’année précédente.

En 2024, le commerce total de marchandises des États-Unis avec l’Afrique s’est élevé à environ 71,6 milliards de dollars, selon le Bureau du représentant américain au commerce (USTR : Office of the U.S. Trade Representative). Les exportations de biens américains vers l’Afrique s’élèvent à 32,1 milliards de dollars, soit une hausse de 11,9 % par rapport à 2023, et les importations des États-Unis en provenance du continent africain représentent 39,5 milliards de dollars, soit une hausse de 1,9 % par rapport à 2023.

Selon l’USTR, le déficit commercial des États-Unis avec l’Afrique était de 7,4 milliards de dollars en 2024, soit une baisse de 26,4 % par rapport à 2023.

Pour Ndiakhat Ngom, expert en politique étrangère qui dirige l’Institut transatlantique Sud-Sud au Sénégal, l’intérêt des États-Unis pour l’Afrique a jusqu’à présent été « ouvertement militaire et axé sur l’aide » et non économique.

« Les États-Unis ont surtout utilisé les pays africains comme des bases depuis lesquelles ils ont lancé des opérations contre les terroristes. Bien sûr, les États-Unis investissent beaucoup dans les grandes économies africaines où les multinationales américaines ont des bureaux, et sous [le président Joe] Biden, ils ont montré plus d’intérêt pour l’économie africaine que jamais auparavant, mais c’est la Chine qui est considérée comme un partenaire commercial fiable et cohérent, et non les États-Unis », a-t-il souligné à Epoch Times.

« Les tarifs douaniers imposés par le président Trump entraîneront un nouveau recul des États-Unis face à la Chine en Afrique, du moins d’un point de vue économique, à moins que les pays africains et le gouvernement Trump ne parviennent à conclure des accords qui soient bons pour l’administration Trump et pour eux. »

La Maison-Blanche est déterminée à favoriser les échanges commerciaux qui profitent à la fois à l’Afrique et aux États-Unis.

Selon M. Ngom, la réputation de la Chine en Afrique est « solide », en grande partie grâce à l’initiative « la Ceinture et la Route » (BRI) lancée par Pékin, qui a investi des milliards de dollars dans les infrastructures sur le continent.

Mais les prêts accordés par la Chine ont un coût : de nombreux pays sont lourdement endettés auprès d’elle.

La BRI a permis à Pékin de s’emparer de ce que Lauren Paremoer, maître de conférences en politique à l’université du Cap, a décrit comme « le joyau de la couronne » de ce que l’Afrique, riche en ressources, a à offrir.

« Les Africains savent que la Chine et les États-Unis veulent avoir accès à leurs minéraux essentiels et à leurs métaux précieux, et c’est vrai, qu’il y ait ou non une guerre commerciale », a-t-elle souligné à Epoch Times.

Selon Mme Paremoer, l’un des principaux objectifs de Pékin en Afrique est d’empêcher ses rivaux géopolitiques, en particulier les États-Unis et les États européens « puissants », dont le Royaume-Uni, la France et l’Allemagne, d’obtenir un accès étendu aux minerais essentiels du continent.

Ce sont des éléments essentiels pour de nombreux produits, des ordinateurs aux téléphones portables en passant par les véhicules électriques. Les minéraux tels que le lithium et le cobalt sont également très utilisés par l’industrie de l’armement.

La Chine détient actuellement un quasi-monopole sur les minéraux critiques du monde, en grande partie en raison de ses nombreux investissements dans les industries extractives africaines.

Les États-Unis sont donc confrontés à des pénuries, et M. Trump s’est fixé comme priorité d’assurer un approvisionnement suffisant en minerais pour l’avenir de l’ensemble du pays.

Des pays comme le Congo et l’Afrique du Sud possèdent de vastes gisements de terres rares et de métaux nécessaires à la sécurité énergétique future.

« Le Parti communiste chinois craint que l’intensification des échanges entre l’Afrique et d’autres pays, en particulier les États-Unis, finisse par faire perdre à la Chine les ressources naturelles africaines », a fait valoir auprès d’Epoch Times Fred Stanley, chercheur au Centre Afrique-Chine pour le conseil politique, un groupe de réflexion sur la recherche et la politique établi au Ghana.

C’est ainsi que la Chine joue le jeu en Afrique depuis des décennies, mais les récentes actions du président Trump « ont peut-être changé la donne par inadvertance ».

Un homme fait fondre des fragments d’or pur provenant de différentes mines de la région, dans un marché aurifère à Geita, en Tanzanie, le 28 mai 2022. (Luis Tato/AFP via Getty Images)

« Les tarifs douaniers et les politiques de Donald Trump obligent à modifier les relations. Ses actions peuvent forcer l’Afrique à avoir des liens plus étroits avec certains des autres rivaux géopolitiques de la Chine, au détriment des investissements chinois. La position de la plupart des pays africains a toujours été d’améliorer les échanges avec tout le monde, parce qu’ils sont trop pauvres pour choisir avec qui faire des affaires. Toutefois, les relations étroites entre l’Afrique et Pékin risquent d’être mises à rude épreuve, maintenant que les jeux sont faits, notamment du fait des droits de douane imposés par M. Trump », a indiqué M. Stanley.

M. Trump a exclu les minéraux essentiels de sa première série de droits de douane « réciproques », mais des experts estiment que ces exemptions ne suffiront peut-être pas à écarter les pénuries d’approvisionnement si la Chine continue d’imposer des contrôles à l’exportation sur ces minéraux.

Baba Musa, expert nigérian en politique économique à l’Institut ouest-africain de gestion financière et économique, a déclaré à Epoch Times que les pays africains souhaitent diversifier leurs échanges commerciaux et « réduire leur dépendance à l’égard de la Chine ».

« L’Afrique devrait utiliser ses ressources naturelles dans ses discussions avec les États-Unis. « Ils doivent faire appel à sa nature pour conclure des accords. Leurs minéraux essentiels et des choses comme l’or et le platine pourraient constituer des outils très importants pour négocier des relations mutuellement bénéfiques. La Chine doit certainement le comprendre et accepter cette situation comme une évidence. »

M. Musa est convaincu que la décision du Panama de sortir de la BRI face à la pression de l’administration Trump a « beaucoup à voir » avec les récentes attitudes de Pékin.

« Ce que le Panama a fait inquiète les Chinois, car si le Panama peut le faire, d’autres pourront le faire dans des régions en développement du monde, comme l’Afrique », a-t-il expliqué.

Pour M. Musa, Pékin veut protéger « à tout prix » son statut de premier partenaire commercial bilatéral de l’Afrique.

« Il ne fait aucun doute que si les Chinois prennent des mesures de rétorsion contre un pays africain qui commence à commercer avec M. Trump de manière significative, par exemple en réduisant les investissements ou en interrompant le financement de ses infrastructures, ce pays en pâtira », a-t-il poursuivi. « Les pays africains sont pris entre deux superpuissances et doivent maintenant jouer les équilibristes. Ils doivent calculer ce qu’ils peuvent gagner des États-Unis et ce qu’ils risquent de perdre de la Chine s’ils se rendent à Trump. »

Qu’on le veuille ou non, la guerre commerciale va façonner l’avenir économique et géopolitique de l’Afrique et déterminera dans une large mesure si les grandes puissances du continent basculeront vers l’ouest ou vers l’est.

« Il n’existe plus de demi-mesure », a affirmé M. Musa. « Trump s’en est assuré. »

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