La (longue) route pour modifier la constitution japonaise

18 mai 2017 10:14 Mis à jour: 18 mai 2017 10:14

Le Premier ministre japonais Shinzo Abe a déclaré mercredi 3 mai espérer pouvoir modifier la Constitution nippone d’ici 2020 afin d’y inclure le statut de puissance militaire du Japon, une modification majeure de cette loi fondamentale en vigueur depuis 70 ans.

Dans un message vidéo diffusé lors d’un rassemblement marquant l’anniversaire de ce texte fondateur, Shinzo Abe a souhaité qu’il soit fait explicitement référence aux Forces d’auto-défense (FAD), l’armée japonaise, dans la Constitution. « En rendant explicite le statut des FAD dans la Constitution, nous écarterons toute contestation de la constitutionnalité des FAD », a-t-il expliqué dans cette vidéo diffusée par les chaînes de télévision. « J’espère fermement que 2020 sera l’année où la nouvelle Constitution entrera en vigueur », a-t-il ajouté. « Le temps est venu », a déclaré lundi 1er mai devant mille personnes le Premier ministre dans un discours à l’attention des partisans d’un amendement. « Nous allons faire au cours de cette année charnière un pas historique vers notre objectif majeur d’une révision constitutionnelle ».

L’article 9 de la loi fondamentale japonaise adoptée en mai 1947 interdit l’entretien de forces militaires. Les gouvernements successifs ont interprété cette disposition d’une manière plutôt extensive afin de permettre la création des Forces d’auto-défense en 1954. Pour la majorité des Japonais, l’article 9 de la Constitution, qui consacre la renonciation « à jamais » à la guerre, est précieux : il tourne la page de l’impérialisme et des atrocités de l’armée japonaise avant et pendant le conflit, ainsi que de l’horreur des bombes atomiques larguées par l’armée américaine en août 1945 sur Hiroshima et Nagasaki.

De leur côté, les nationalistes estiment que ses défenseurs sont dangereusement déphasés par rapport aux réalités géopolitiques actuelles, comme les programmes nucléaire et de missiles balistiques de la Corée du Nord et le renouveau militaire chinois. Nippon Kaigi et d’autres organisations conservatrices et de droite considèrent la Constitution comme imposée par un pays et une culture étrangers, émasculant le Japon tout en le séparant de ses traditions et de son riche passé. Elles présentent également des points de vue révisionnistes sur le rôle du Japon en tant qu’État agresseur en Asie de l’Est, rejetant farouchement les revendications des « femmes de réconfort » en Corée et estimant que le Japon était engagé dans une guerre de libération, souligne le Japan Times.

Ces positions expliquent que les adversaires d’une révision de la Constitution les présentent comme des ultranationalistes et des révisionnistes d’extrême droite, interdisant toute discussion sur ce qui devrait ou pas être révisé.

S’il est peu probable que les conservateurs visent le retrait de l’article 9, ils prônent un changement dans les termes qui y sont employés, en y inscrivant la reconnaissance des forces d’autodéfense en tant qu’armée et une affirmation claire du droit du Japon à se défendre. La Constitution n’a jamais été amendée mais interprétée de manière à assouplir certaines contraintes, comme lors du passage en septembre 2015 de lois qui permettent en théorie aux forces d’autodéfense d’appuyer un allié en difficulté à l’étranger.

Dans une des premières mises en œuvre de ces nouvelles lois, le Japon a déployé lundi 1er mai son plus grand bateau de guerre – l’Izumo, un porte-hélicoptères géant de 250 mètres de longueur -, pour escorter des navires de ravitaillement américains, alors que les tensions s’exacerbent autour de la péninsule coréenne.

Si les sondages montrent qu’une très grande majorité des Japonais s’inquiètent des missiles nord-coréens qui tombent de plus en plus près de leur archipel, ils sont moins uniformes sur une révision de l’article 9.  Les électeurs japonais restent divisés sur ce projet de révision. Une enquête d’opinion Nikkei Inc/TV Tokyo montrait mercredi 3 mai 2017 que 45% des personnes interrogées sont favorables au projet du chef de l’exécutif japonais, soit cinq points de moins que l’an dernier à la même époque. En revanche, 46% souhaitent que le texte soit maintenu en l’état, une baisse de quatre points. Une autre enquête Kyodo montrait, elle, que 49 % des sondés souhaitent que l’article 9 soit révisé, contre 47 % y étant opposés. Mais 51 % sont opposés à tout amendement constitutionnel portant sur l’article 9, contre 45 % favorables.

En fait, la plus grande majorité des Japonais sont conscients que l’article 9 a maintenu le caractère pacifique du pays, 75 % estimant qu’il a permis à éviter que le Japon ne soit entraîné dans des conflits internationaux.

Des positions qui pourraient basculer en faveur d’un amendement, de l’avis de bien des Japonais, si un missile frappait le pays. Or, la Corée du Nord, État voisin au Nord de l’archipel nippon, multiplie les tirs de missiles balistiques. Le quotidien français L’Humanité remarque ainsi : « Alors que la Corée du Nord a procédé à plusieurs tirs de missiles balistiques – dont un s’est abîmé en mer de Japon – l’opinion japonaise semble avoir évoluée quant à la révision constitutionnelle. Selon un sondage réalisé pour le quotidien Asahi Shimbun, 41% de la population y serait désormais favorable. Le taux monte même à 48%, selon le Mainichi. Contre 26% au moment des débats en 2015 ».

Le temps est peut-être venu pour le camp Abe d’avancer. Or, à la suite d’une série de victoires électorales, le parti de Shinzo Abe – le parti libéral démocrate (LDP) – et d’autres partis favorables à une révision constitutionnelle ont maintenant une majorité des deux tiers dans les deux chambres de la Diète (le Parlement nippon), seuil nécessaire pour pouvoir proposer un amendement. Selon le sondage Kyodo, quand on les interroge sur la façon dont l’article devrait être modifié l’article 9, 39 % ont déclaré que l’existence des forces d’autodéfense japonaises (FAD) devrait être stipulée, suivie de 24 % qui ont proposé d’ajouter une clause pour restreindre les activités internationales des FAD et 16 % qui ont déclaré que les FAD devraient être clairement déclarées comme étant une force militaire.

Il y a cependant des limites quasi insurmontables. Alors que le public reste divisé sur l’idée de la révision constitutionnelle, il est cependant clair qu’il ne soutiendra pas des changements qui entraîneraient des troupes sur le terrain, des opérations antiterroristes à l’étranger ou la participation d’opérations militaires en dehors de la sphère d’intérêts du Japon.

Pour atteindre avec succès son objectif de révision de la Constitution, Abe devra donc travailler avec les structures de sécurité (y compris les ministères de la Défense et des Affaires étrangères) pour continuer à accumuler un capital politique en vue des changements proposés. Un bon moyen pour commencer serait de mettre en évidence des missions réussies et non violentes liées aux FAD qui respectent l’article 9 tout en contribuant à la paix et à la prospérité internationales. De cette façon, Abe et le LDP peuvent dissiper la méfiance du public à l’égard de l’action militaire du Japon, en particulier des actions unilatérales. Cela démontrerait au public et à ceux qui émettent des doutes sur les initiatives de sécurité de Shinzo Abe qu’il envisage de maintenir la position de sécurité du Japon dans une posture purement défensive, de maintenir l’article 9 et de se conformer au droit international.

Source de l’article: IRIS
Article original: La (longue) route pour modifier la constitution japonaise

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