Mayotte: «Quand je vais me faire expulser aux Comores…»

Par Epoch Times avec AFP
28 avril 2023 14:00 Mis à jour: 28 avril 2023 14:37

Le hip hop, les copains, les études, puis la clandestinité et le risque au quotidien d’expulsion depuis sa majorité : Saïd*, 23 ans, jeune Comorien en situation irrégulière à Mayotte, s’interroge sur son avenir en pleine opération Wuambushu.

Depuis l’arrivée des renforts policiers et un objectif annoncé de lutte contre l’ « immigration clandestine » dans l’île, où la moitié des 350.000 habitants estimés ne possèdent pas la nationalité française, Saïd a adapté sa routine.

En survêtement et claquettes, dans sa colocation du quartier de Kawéni, au nord de la capitale Mamoudzou, le jeune Comorien coiffe devant le miroir ses boucles afro avec ses doigts. Le programme de la journée est incertain. La motivation au plus bas. « Les risques sont là, il y a les policiers, les contrôles… Avec l’opération Wuambushu, je reste à la maison », explique le jeune clandestin.

Saïd avait 11 ans quand, en 2011, sa mère l’a conduit sur une plage de Grande Comore et confié à un passeur pour la très dangereuse traversée en « kwassa kwassa », les barques de pêcheurs qui rallient Mayotte en une nuit. La mère du garçon, qui travaille dans l’enseignement, rêvait en l’envoyant dans le territoire français voisin de l’océan Indien d’ « une meilleure éducation » pour son fils. Mais « pendant deux ans j’ai galéré à l’école, je traînais dehors », raconte celui qui était balloté de tantes en cousines, car à Mayotte, personne ne « dort à la rue », grâce à la solidarité intra-communautaire.

« Je trainais avec ces délinquants, mais ce qu’ils faisaient ne me parlait pas »

Dans le bidonville, les mineurs sans papiers et sans parents se retrouvent souvent dès la puberté à vivre entre eux et glissent rapidement dans une sociabilité de la rue, avec des risques de dérapage. « Je trainais avec ces délinquants, mais ce qu’ils faisaient ne me parlait pas », se souvient Saïd, pas inspiré par les « actions » que menait sa bande.

(Photo d’illustration, YASUYOSHI CHIBA/AFP via Getty Images)

Dans le quartier de Kawéni où il s’installe, le Comorien est témoin toute son adolescence des années chaudes du plus grand bidonville de France. À Mayotte, la violence passe d’abord par des agressions entre bandes de quartiers rivaux, souvent au « chambo », le coupe-coupe, dégainé pour un oui ou pour un non. « Les jeunes au chambo, ils gâchent leur vie », observe Saïd, qui a fini par trouver sa place au quartier grâce au « break dance » et aux études, ouvertes à tous, avec ou sans papiers, sur l’île française.

(Photo d’illustration, YAMIL LAGE/AFP via Getty Images)

« Servir la France »

Jusqu’au bac, ce sont les années de « liberté », car en tant que mineur il n’est pas contrôlé car non-expulsable du territoire français. « Mais la liberté, ça a été un truc que je n’ai plus depuis mes 18 ans », regrette-t-il. « Tu sors le matin, tu te dis c’est sûr, je vais me faire contrôler, ça travaille… J’ai plein d’amis qui se sont fait arrêtés sur la route ».

Pris sous son aile par l’un des militants associatifs du quartier, Saïd se bat pour obtenir un titre de séjour et a envie de « servir la France », en devenant à son tour animateur peut-être dans une MJC de l’île, pour initier d’autres jeunes à la danse. « Tout être humain a des rêves et je me retrouve bloqué sans pouvoir les réaliser », souffle-t-il.

« Quand je vais me faire expulser aux Comores, c’est quelque chose qui va vraiment me faire mal parce que je serai désorienté. Il y a ma mère, mais je ne connais pas la culture comorienne elle-même ». Pour Saïd, la question n’est déjà plus « si », mais « quand ».

*Prénom modifié.

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