JOHANNESBURG – Mcebisi Jonas n’a pas l’habitude de souffrir de nervosité. Si c’était le cas, il n’aurait pas survécu à une campagne de guérilla brutale contre les fantassins de l’apartheid sud-africain dans les années 1970 et 1980.
« En tant que cadre de l’ANC (Congrès national africain, alors interdit), je me battais pour la libération du racisme, pour le droit de vote des Noirs, pour les droits de l’homme », a-t-il expliqué à Epoch Times.
« Je m’apprête maintenant à livrer une autre bataille, très différente. Je suis un peu nerveux, mais je suis prêt à parler avec tous les représentants du président américain, et je suis sûr que nous nous traiterons mutuellement avec respect », a affirmé l’éloquent ancien ministre des Finances de Pretoria, aujourd’hui homme d’affaires accompli.
M. Jonas fait partie d’un club exclusif récemment créé d’envoyés spéciaux désignés par la plupart des 54 pays africains pour négocier de meilleures conditions d’exportation qui, espèrent-ils, leur permettront de vendre leurs marchandises avec un « bénéfice raisonnable » sur le marché le plus lucratif du monde.
Cette décision fait suite à l’annonce par le président américain Donald Trump, le 2 avril, de droits de douane sur les biens exportés vers les États-Unis par ses partenaires économiques. M. Trump a estimé que ces droits de douane permettraient de corriger les déséquilibres commerciaux qui, selon lui, sont injustes pour l’Amérique.
Une semaine plus tard, M. Trump a suspendu ses droits de douane réciproques pendant 90 jours, à l’exception de ceux imposés à la Chine, affirmant ainsi que de nombreux pays lui avaient tendu la main et que les États-Unis étaient ouverts à la négociation.
Si rien ne change après la pause de 90 jours, certains des droits de douane les plus élevés – entre 30 et 50 % – concerneraient des produits importés d’Afrique.
Les émissaires africains se hâtent à présent pour respecter la date limite de juillet, date à laquelle les droits de douane majorés devraient entrer en vigueur.

« La plupart des pays africains exportent beaucoup plus vers les États-Unis qu’ils n’en importent, de sorte que l’administration Trump a calculé que le commerce entre les régions est injustement pondéré en faveur de l’Afrique et que les États-Unis sont perdants », a expliqué Morné Malan, responsable adjoint de la politique à la Fondation du marché libre d’Afrique du Sud.
Outre les déficits commerciaux, M. Trump a également cherché d’autres signes de barrières commerciales comme critères d’imposition de droits de douane.
Le Kenya, avec lequel les États-Unis bénéficient d’un excédent commercial, en est un exemple.
Selon le représentant américain au commerce, la plus grande économie d’Afrique de l’Est a exporté des marchandises – principalement des textiles, du café, du thé et des fruits – pour une valeur de 737,3 millions de dollars vers les États-Unis en 2024.
Cette année-là, le Kenya a importé des États-Unis des biens d’une valeur de 782,5 millions de dollars, principalement des produits pétroliers, des avions et des pièces détachées, des machines et des produits pharmaceutiques, ce qui a permis aux États-Unis de dégager un excédent commercial de 45,2 millions de dollars.
Malgré cela, le gouvernement du président William Ruto avait prévu que M. Trump frapperait le Kenya avec des droits de douane plus élevés, car Nairobi applique une taxe de 10 % sur les importations américaines.
C’est pourquoi, selon Lee Kinyanjui, secrétaire du cabinet chargé du commerce et de l’industrie, le pays s’est mis en mode « contrôle des dégâts », en envoyant une équipe de négociateurs à la Maison-Blanche un jour avant l’annonce des droits de douane de M. Trump, le « jour de la libération ».
Bien que l’objectif principal du gouvernement kenyan, à savoir l’obtention d’un accès en franchise de droits ou d’un « accès très favorable » pour ses marchandises sur le marché américain, fasse toujours l’objet de négociations, M. Trump a imposé à Nairobi des droits de douane réciproques de 10 % seulement.
« Nous pensons qu’il nous a été très utile de parler aux gens de M. Trump avant son annonce, et directement après », a expliqué M. Kinyanjui à Epoch Times.
« Nous envisageons un accord de libre-échange avec les États-Unis, ce qui signifiera la suppression des droits de douane sur les produits américains entrant au Kenya, et nous espérons pouvoir continuer à exporter sans droits de douane vers les États-Unis. C’est une question de réciprocité. »
Steven Gruzd, de l’Institut sud-africain des affaires internationales, a qualifié le Kenya d’« anomalie ».
« Je ne suis pas un fan des gouvernements africains qui volent les ressources de leur pays et maintiennent leur population dans la pauvreté, mais je dois admettre qu’il est un peu exagéré de s’attendre à ce que des nations ayant un faible PIB, des budgets minuscules, des dettes énormes et une faible base manufacturière importent à grande échelle des biens, des produits et des services coûteux de l’économie la plus riche du monde », a-t-il indiqué à Epoch Times.
C’est dans ce contexte que les émissaires africains se rendront à la Maison-Blanche.
« Il est sur le point d’entrer dans la fosse aux lions », a lancé M. Malan à propos de M. Jonas, le diplomate sud-africain.

Les droits de douane de 31 % imposés par les États-Unis à l’Afrique du Sud – qui figurait sur une liste de 60 pays dont M. Trump a souligné qu’ils avaient eu des relations commerciales déloyales avec son pays lors de sa déclaration du 2 avril – ne sont que la dernière salve du président américain contre l’économie la plus importante et la plus industrialisée du continent.
Le pays figure en bonne place dans la série de décrets que M. Trump a signés depuis son retour à la Maison-Blanche le 20 janvier.
Dans l’un de ses premiers décrets, le dirigeant américain a accusé Pretoria de mettre en œuvre des lois racistes visant à discriminer et à encourager la violence contre les Afrikaners blancs.
M. Trump a ensuite retiré 440 millions de dollars de financement annuel à l’Afrique du Sud, ce qui a entraîné un ralentissement du programme de traitement et de prévention du VIH dans le pays.
Il a affirmé que l’Afrique du Sud constituait une menace pour la sécurité nationale des États-Unis, car son gouvernement de l’ANC a conclu des alliances militaires et économiques avec certains des principaux ennemis géopolitiques de Washington, notamment la Chine, l’Iran et la Russie.
M. Trump a également critiqué Pretoria pour avoir saisi la Cour internationale de justice d’une plainte pour génocide, lors de la guerre de Gaza, contre Israël. La guerre a été déclenchée par l’attaque du groupe terroriste Hamas contre Israël le 7 octobre 2023.
Ensuite, le secrétaire d’État Marco Rubio a expulsé l’ambassadeur d’Afrique du Sud à Washington, Ebrahim Rasool de l’ANC, après que le diplomate a qualifié le mouvement Make America Great Again (MAGA) de Trump et son administration de « suprémacistes ».
M. Jonas grimace et répond : « Oui, l’histoire récente entre l’Afrique du Sud et les États-Unis n’est pas bonne. »
« Mais je suis convaincu que nous pouvons coopérer à l’avenir et parvenir à un accord mutuellement bénéfique qui favorisera la circulation des produits américains dans notre pays et vice versa. »
Steven Gruzd, de l’Institut sud-africain des affaires internationales, a expliqué que, dans les communications au sein de l’administration Trump, « il est devenu clair qu’ils considèrent Pretoria comme l’ennemi, donnant au gouvernement [du président Cyril] Ramaphosa le même statut que Pékin, Moscou et Téhéran ».
Comme beaucoup en Afrique, a déclaré M. Gruzd, Pretoria a « de bonnes cartes à jouer » pour convaincre le président américain. Ces cartes font miroiter l’attrait des vastes ressources du continent, qui englobent des métaux précieux tels que l’or et le platine, des minéraux essentiels à la sécurité énergétique et à la défense, car ils constituent des éléments majeurs de l’armement et de l’équipement militaire.
Dans un document analysant les réponses potentielles de l’Afrique aux droits de douane américains, le Centre d’études stratégiques et internationales (CSIS : Center for Strategic and International Studies) de Washington a affirmé que 24 des 54 pays d’Afrique dépendent de l’exploitation minière et des minéraux pour leurs revenus.

Selon une étude du groupe de réflexion américain The Atlantic Council, l’Afrique détient un tiers des minéraux essentiels du monde.
L’Afrique du Sud fournit déjà la quasi-totalité du chrome de l’Amérique et un quart de ses besoins en manganèse.
Le manganèse est un minéral très diversifié, utilisé pour produire de l’acier et des batteries rechargeables.
Le chrome joue un rôle important dans la fabrication d’armes, notamment de systèmes de missiles et d’avions de chasse.
Parmi les autres minéraux produits à grande échelle par les pays africains figurent le lithium, utilisé dans les batteries des voitures électriques, et le coltan, utilisé dans les équipements de communication tels que les téléphones portables et les ordinateurs.
Bien que M. Trump ait exempté les minéraux essentiels des droits de douane, M. Gruzd a affirmé que la richesse minérale de l’Afrique du Sud avait encore un rôle à jouer dans l’abaissement éventuel des prélèvements américains sur l’Afrique du Sud, compte tenu du souhait de l’administration Trump de réduire la dépendance des États-Unis à l’égard des approvisionnements chinois.
« La Chine domine le secteur des minéraux en Afrique et possède des mines un peu partout, de la RDC (République démocratique du Congo) à la Zambie en passant par la Guinée », a indiqué M. Gruzd.
« L’exploitation par Pékin des minéraux et des métaux du continent et leur transformation ont placé les États-Unis dans une situation extrêmement défavorable pour ce qui est de garantir un approvisionnement fiable de ces produits essentiels pour l’avenir. »
M. Gruzd a estimé que si les États-Unis et l’Afrique du Sud parvenaient à conclure un accord sur les minerais essentiels, « ce serait une grande victoire, politiquement et économiquement, pour l’administration Trump ».
« Si M. Trump se voit offrir des droits d’exploitation minière dans certains pays africains, il serait très facile de le persuader de baisser les droits de douane et peut-être même de les abandonner, car les États-Unis auraient ainsi un pied important dans les chaînes d’approvisionnement mondiales », a-t-il ajouté.
Le CSIS a souligné que M. Trump devrait annuler les droits de douane imposés aux pays africains et que l’Union africaine et les dirigeants africains « devraient chercher à démontrer que le commerce préférentiel avec leur continent répond, en fait, aux intérêts nationaux des États-Unis ».

« Tout comme le Canada et le Mexique ont été exemptés des droits de douane réciproques pour des raisons d’intérêt national des États-Unis, l’Afrique peut bénéficier d’une situation similaire en termes d’accès au marché et de sécurité de la chaîne d’approvisionnement en minerais essentiels », écrivent Hannah Ryder, Trevor Lwere et Ovigwe Eguegu, experts en développement économique.
« Étant donné que les droits de douane vont frapper les entreprises américaines des secteurs de l’automobile, de l’aérospatiale et de la chimie, qui dépendent fortement des minéraux essentiels, dont l’Afrique dispose en grande partie, il n’est pas dans l’intérêt des États-Unis d’imposer des droits de douane aux produits africains. »
Mme Ryder, M. Lwere et M. Eguegu ont souligné que l’un des objectifs de l’administration Trump est d’obtenir un meilleur accès au marché pour les entreprises et les produits américains à l’étranger.
« Cela nécessite l’existence d’un pouvoir d’achat parmi les consommateurs étrangers. Or, en imposant des droits de douane sur les exportations africaines vers les États-Unis, les États-Unis empêchent l’Afrique d’obtenir le pouvoir d’achat nécessaire à la demande de produits américains. »
Les experts ont estimé que les États-Unis devaient soutenir l’accès préférentiel des produits africains au marché américain comme une stratégie de construction de marché.
C’est un point essentiel, ont-ils écrit, surtout si l’on considère que l’Afrique a la population la plus jeune et qu’elle abritera plus de 25 % de la population mondiale au cours des prochaines décennies.
Bamidele Ayemibo, consultant principal en politique commerciale chez 3T Impex Consulting Limited au Nigéria, a affirmé que la réponse des gouvernements africains aux tarifs douaniers de M. Trump devait être de signer des accords commerciaux préférentiels avec les États-Unis et avec d’autres partenaires.
« La dernière chose à faire est de prendre des mesures de rétorsion en augmentant les droits de douane sur les produits américains ; ils n’ont pas la puissance économique nécessaire pour le faire et ne feront que se nuire à eux-mêmes », a-t-il expliqué à Epoch Times.
« Aujourd’hui, plus que jamais, l’heure est au dialogue et à la négociation. »
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