Nu Shu, l’écriture des femmes

8 avril 2017 14:56 Mis à jour: 19 juillet 2017 19:21

Le Nu Shu qui veut dire littéralement « écriture des femmes » est une langue écrite, lue de haut vers le bas et de droite à gauche. Elle est chantée et utilisée exclusivement par des femmes Yao du conté de Jiangyong, dans la province de Hunan en Chine. Les Yao sont un des cinquante groupes ethniques qui vivent en Chine. À la fin du  XXsiècle, ils étaient environ 2 600 000, résidant dans les montagnes du sud-ouest et du sud de la Chine. L’ethnie se retrouve aussi au Laos, au Vietnam et en Birmanie.

On ne connaît pas très bien l’origine du Nu Shu. Certains avancent que ce pourrait être une des plus vieilles langues au monde, d’autres disent simplement qu’elle a une longue histoire si on se réfère aux inscriptions retrouvées sur des os d’animaux et des écailles de tortue dans des ruines Yin datant de 3.000 ans.

La légende raconte que ce serait une jeune fille de la province de Hunan, concubine de l’empereur durant la dynastie Song, qui l’aurait inventée. Elle s’attendait à avoir une belle vie et des privilèges, mais c’est à la solitude et aux intrigues du palais qu’elle s’est trouvée confrontée. C’est alors qu’elle aurait trouvé le Nu Shu, code écrit, pour communiquer avec les autres filles et femmes.

Le Nu Shu était souvent brodé sur des tissus.

Le Nu Shu est certainement lié à une autre particularité chinoise des anciens temps : les pieds bandés. Dès le plus jeune âge, on commençait à bander les pieds des fillettes. On considérait à l’époque qu’une jeune fille qui n’avait pas de petits pieds ne pourrait jamais trouver un mari qui fasse honneur à sa famille, car la taille du pied était un élément essentiel de la beauté. Le pied idéal faisait 15 cm (pour une pointure 37, le pied mesure déjà 23 cm.) La déformation la plus courante consistait à replier progressivement les derniers quatre doigts de pied sous le gros orteil. Puis, il fallait le raccourcir en accentuant la courbure de la voûte plantaire avec un objet cylindrique qui la comprimait. On imagine la souffrance de ces enfants, et on imagine aussi très bien que les femmes ne pouvaient pas faire grand-chose avec ce qu’on appellerait aujourd’hui un handicap. Ces jeunes femmes étaient comme des prisonnières qui de plus n’avaient pas accès à l’éducation.

Plus prosaïquement, dans l’ancienne Chine, les paysannes de ces contrées reculées n’avaient pas le moindre droit à l’éducation et on ne leur apprenait pas le Nan Shu, c’est-à-dire l’écriture masculine. C’est de là qu’est né le Nu Shu, un moyen pour elles de communiquer entre elles, sans que les hommes entendent. Ceux ci d’ailleurs considérant les femmes comme inférieures n’y prêtaient pas attention. Elles y ont exprimé leurs peines, leurs joies, leur vie de tous les jours.

Voilà comment en parle l’écrivain Lisa See (née à Paris et vivant à Los Angeles. Elle est d’origine chinoise) dans son roman Fleur de Neige, livre traduit en vingt trois langues. «Les femmes pouvaient se plaindre dans cette langue secrète. Elles pouvaient parler des difficultés de leur vie sans nécessairement risquer d’avoir des problèmes car les hommes – leur père, leur mari, leurs fils – ne comprenaient pas ce qu’elles disaient». «Apprendre la langue Nü Shu donnait aux femmes une valeur supplémentaire. Comme toute langue, ce n’était pas facile à apprendre, et les femmes étaient très fières de leurs compétences. Cela les ouvrait aussi à d’autres mondes. À travers la Nu Shu, elles exprimaient des émotions, leur créativité, leurs pensées intellectuelles, alors que les autres femmes n’avaient pas la possibilité de faire tout cela».

Le Nu Shu sur une broderie, avec des motifs nationaux caractéristiques.

Contrairement à l’écriture chinoise qui est logographique, c’est-à-dire qu’un caractère représente un mot, le Nu Shu est phonétique et ses caractères représentent des syllabes. Pour lire le Nu Shu, les femmes chantaient. Dans sa configuration écrite, la langue Nu Shu se trouve sous forme de poèmes de 5 ou 7 caractères par ligne, sur des éventails en papier ou des broderies, sur de la soie et ensuite des livres. On en trouve même sur des vêtements. Beaucoup de textes retrouvés sont des «missives du troisième jour», c’est-à-dire des messages délivrés aux jeunes épouses trois jours après leur mariage, dans lesquels on leur souhaite du bonheur, mais aussi la tristesse de les voir parties. C’est ainsi que le Nu Shu s’est transmis de mères à filles et entre sœurs.

Au cours de la Révolution Culturelle, dans les années 1960, les Gardes Rouges, soupçonnant le Nu Shu d’être utilisé pour des fins d’espionnage, persécutaient les femmes qui l’utilisaient, brûlaient des livres et parfois aussi les femmes elles-mêmes. Cela rappelle d’ailleurs un des chapitres des Neuf Commentaires sur le Parti Communiste intitulé: «Comment le Parti Communiste Chinois détruit la culture traditionnelle».

 

 

 

 

 

 

 

 

L’une des dernières femmes à connaître le Nu Shu.

C’est donc un miracle que le Nu Shu soit arrivé jusqu’à nous. On dit que la dernière érudite en Nu Shu, Yang Huanyi est décédée en 2004, à l’âge de 98 ans. Un musée du Nu Shu devrait ouvrir ses portes en 2007 dans une zone de protection. Un dictionnaire couvrant l’histoire, la prononciation et l’écriture présente 1800 caractères. Le Nu Shu est classé dans les langues en danger dans le patrimoine mondial immatériel de l’humanité.

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