Le partage des dividendes : quand l’idéologie prime sur le bon sens et nous conduit droit dans le mur

Par Pierre Garello
1 décembre 2022 14:32 Mis à jour: 1 décembre 2022 14:32

Marx n’a décidément pas fini de remporter des victoires, à moins que ce ne soit tout simplement celles de la bêtise ou de la démagogie insouciante. Et c’est bien regrettable pour tous. Ne voilà-t-il pas en effet que le brillantissime eurodéputé Pascal Canfin, avec l’appui d’une Macronie qui décidément ne sait plus à quel saint se confier, propose d’inscrire dans la loi le partage obligatoire des dividendes avec les salariés de l’entreprise. Que cette disposition soit réservée à des «  dividendes exceptionnels » ou pas ne change rien à l’affaire.

S’il y a une entreprise c’est parce qu’il y a au départ un entrepreneur

Pour mesurer la perversité (et la stupidité) de cette proposition, un bref rappel sur l’origine et le fonctionnement d’une entreprise est nécessaire. Un rappel qui d’ailleurs n’en est peut-être pas un car on se demande en entendant ces propositions ce que nos « élites » ont bien pu apprendre sur les bancs de l’école à travers leurs cours d’économie…

S’il y a une entreprise c’est parce qu’il y a au départ un entrepreneur—ou un groupe d’entrepreneurs—qui pensait avoir perçu dans son environnement la manière de dégager un profit en proposant des services ou des produits à d’autres individus qui peuvent être des consommateurs ou d’autres entreprises. Le plus souvent il s’agit d’une micro-entreprise : un individu qui espère par son activité dégager une marge suffisante pour faire vivre son foyer. Ce dernier aura parfois besoin d’embaucher quelqu’un pour développer son projet. Le contrat sera l’instrument qui fixera les termes de cette coopération. Ce contrat, comme tout contrat de long terme, prévoira entre autres choses un partage des risques et, le plus souvent, l’employé appréciera une rémunération fixe (un salaire), laissant à l’employeur le souci de porter les risques inhérents à l’activité économique ; la contrepartie étant bien entendu que ce dernier subira les pertes, si perte il y a, et encaissera les profits si profit il y a. Une multitude d’adaptations à ce principe de base peuvent être apportées pour de bonnes raisons : l’employeur pourra par exemple verser des primes lorsque l’entreprise « tourne bien », ou encore proposer à ses employés de prendre des parts dans l’entreprise. Ce qui importe c’est de garder cette liberté contractuelle, laissant aux parties la possibilité s’il le juge nécessaire de modifier les termes de la convention.

Notre entrepreneur aura également bien souvent recours à des financements extérieurs pour développer son projet ; il fera appel à des investisseurs. Pour cela il pourra soit s’adresser à eux directement (la famille, les proches, des actionnaires) ou passer par l’entremise d’une banque. Là encore la coopération sera celée par un contrat : contrat de prêt avec le banquier avec une rémunération du prêteur préalablement négociée, contrat d’actionnariat ou de partenariat avec l’investisseur qui, en contrepartie du soutien financier qu’il apporte verra, si tout va bien, la valeur de ses parts augmenter et/ou percevra une part des profits sous forme de dividendes si profit il y a et si l’assemblée des actionnaires décide de redistribuer ces profits plutôt que de les réinvestir dans l’entreprise.

La vie d’une entreprise est ainsi réglée par un ensemble de coopérations concrétisées à travers des contrats négociés entre les parties prenantes. Le choix des termes de ces différents contrats est évidemment important et peut participer au développement de l’entreprise comme le freiner.

Voilà où conduisent l’idéologie et la démagogie de nos élites

Pas besoin d’être très malin pour comprendre que la proposition aujourd’hui mise sur la table est de nature à détruire l’équilibre de ces coopérations. Dans les faits, elle consiste à imposer les termes du contrat aux parties prenantes. (Une atteinte de plus à la liberté contractuelle.) Si donc l’assemblée générale décidait de verser des dividendes aux actionnaires elle serait désormais contrainte par la loi d’octroyer dans le même temps une prime aux salariés. Les salariés, qui rappelons-le sont très largement protégés contre les mauvaises conjectures du fait même d’un contrat prévoyant un salaire (mais pas tout à fait car il peut y avoir des licenciements économiques — risque pris en compte dans les négociations), auront à présent droit à une partie des profits s’il est décidé de verser des dividendes. Les actionnaires de leur côté continuent à porter seuls les risques de perte (la valeur de leurs parts diminue) et doivent à présent partager plus largement les profits. Dans quelle mesure ? C’est une bonne question à laquelle nos élites ont sans doute déjà pensé puisque la contrainte pèserait sur « les entreprises d’au moins 50 salariés, dans lesquelles les dividendes versés sont supérieurs à 20% (sic) de la moyenne des cinq dernières années ».

Les conséquences à moyen terme de cette disposition sont relativement aisées à envisager. Dans les négociations des contrats d’emploi on pourrait voir le montant des salaires diminuer puisqu’une partie des profits reviendra de droit au salarié. On pourrait aussi voir les primes « classiques » diminuer pour les mêmes raisons. Et là où le salarié est déjà actionnaire de son entreprise il recevra plus de dividendes que le reste des actionnaires : au titre d’actionnaire et au titre de salarié. Enfin le rendement d’un investissement en action sera plus faible (même si les entreprises font le choix de rester en-dessous du seuil qui déclenche le mécanisme des dividendes salariaux) ce qui, de facto, accroîtra le coût du financement des entreprises et/ou réduira leurs marges d’autofinancement. Faut-il aussi mentionner que certains investisseurs pourraient décider de placer leur argent hors d’un hexagone où les choses sont décidément bien compliquées.

Voilà où conduit l’idéologie et la démagogie de nos élites qui n’ont que faire d’une société fondée sur la liberté responsable, la coopération et le contrat et préfèrent travailler activement à la lutte contre l’exploitation des salariés par les actionnaires et les propriétaires, au « partage équitable » des richesses (car ce qui est prévu dans le contrat n’est pas équitable ?), à la lutte contre les inégalités et les « surprofits » des grandes entreprises (qui devront en sus des dividendes salariaux qui s’appliquent à toutes les entreprises, verser une « super-participation »). Parce qu’elles dédaignent la science économique, ces mêmes élites déploreront demain le manque de confiance dans les négociations et la détérioration du tissu social. Ce à quoi elles répondront sans doute par une nouvelle attaque contre nos libertés. C’est malheureusement là l’une des rares choses que sachent faire ces ignorants, créateurs d’inflation et destructeurs de richesse et d’harmonie.

Article écrit par Pierre Garello, avec l’aimable autorisation de l’IREF.

L’IREF est un « think tank » libéral et européen fondé en 2002 par des membres de la société civile issus de milieux académiques et professionnels dans le but de développer la recherche indépendante sur des sujets économiques et fiscaux. L’institut est indépendant de tout parti ou organisation politique. Il refuse le financement public.

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