Pékin militarise les terres rares - les capitales occidentales s’organisent
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Un homme conduit un chargeur pour déplacer de la terre contenant des minéraux de terres rares destinés à l’exportation vers le Japon dans un port de Lianyungang, dans la province du Jiangsu, en Chine, le 5 septembre 2010. La Chine détient un quasi-monopole sur l’industrie des terres rares, de l’extraction au raffinage en passant par la fabrication d’aimants.
Lors du sommet du G7 de cette année, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a présenté un symbole de la tentative occidentale de gagner son indépendance vis-à-vis de la Chine dans les chaînes d’approvisionnement : un aimant en terres rares.
« Il a été fabriqué en Estonie, par une entreprise canadienne utilisant des matières premières en provenance d’Australie et soutenue par le Fonds pour une transition juste de l’UE », a déclaré le 15 juin la présidente de l’Union européenne aux autres chefs d’État, dont le président Donald Trump.
Ce fonds apporte un soutien financier à l’objectif de l’UE d’atteindre la neutralité carbone en matière de gaz à effet de serre.
Selon l’Agence internationale de l’énergie, la Chine assure 90 % du raffinage des éléments de terres rares dans le monde. Un aimant en terres rares issu d’une chaîne d’approvisionnement alternative est donc significatif.
Les aimants résistants à la chaleur sont une des nombreuses utilisations de ces minéraux critiques. Les terres rares sont essentielles à la fabrication moderne, et sans elles, les consommateurs risquent de faire face à des pénuries de voitures et d’appareils électroniques qui en dépendent pour leurs écrans, batteries et moteurs.
Il en va de même pour les systèmes d’armes avancés. Un avion de chasse F-35 nécessite plus de 400 kg de terres rares, et un sous-marin nucléaire d’attaque plus de 4000 kg, selon le Département de la Défense américain.
Les terres rares ne sont pas dites « rares » parce qu’elles sont peu présentes dans la croûte terrestre, mais parce qu’elles se trouvent naturellement à de faibles densités et sont coûteuses à séparer des autres métaux.
La Chine ne domine pas seulement l’extraction de ces éléments, mais toute la chaîne de valeur, incluant la séparation, le raffinage et la fabrication d’aimants.
Forte de ce quasi-monopole, Pékin a militarisé les terres rares dans le cadre de la guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine.
Bien qu’un accord ait été conclu à Genève en mai et à Londres en juin pour fournir ces éléments métalliques aux États-Unis, les matériaux ne circulent toujours pas au même niveau qu’avant l’imposition de contrôles à l’exportation par Pékin en avril.
En parallèle, l’administration Trump poursuit une politique de déréglementation et d’investissements pour favoriser une chaîne d’approvisionnement nationale. Les États-Unis ont reconnu la domination chinoise sur les minéraux critiques sous l’administration Obama dans les années 2010, et sous l’administration Biden, ont introduit des crédits d’impôt à la fabrication et une aide fédérale via l’Inflation Reduction Act.
[pullquote author= » » org= » »]Les États-Unis pourraient commencer à afficher des progrès concrets dans la construction d’une chaîne d’approvisionnement nationale en terres rares dans environ deux ans, a affirmé un expert en technologie[/pullquote]
Selon les experts, la détermination de l’Occident à établir une chaîne d’approvisionnement alternative pour les terres rares a atteint un tournant décisif – les efforts ne seront plus relâchés, comme par le passé, même si la Chine levait ses contrôles à l’exportation et inondait à nouveau le marché de produits bon marché.
Selon Ken Mushinski, PDG de Rare Element Resources, qui extrait et traite les terres rares dans le Wyoming, l’initiative américaine pour l’indépendance de la chaîne d’approvisionnement en terres rares progresse avec « une certitude de 100 % ».
« Il y a un intérêt extrême, et ils comprennent parfaitement la nécessité d’une chaîne d’approvisionnement nationale », a-t-il déclaré à Epoch Times, après des réunions avec le secrétaire à l’Énergie, Chris Wright, et avec le Pentagone.
« Chaque personne, chaque département que je rencontre à Washington D.C., dans l’État du Wyoming, tous sont parfaitement alignés sur le fait qu’il s’agit d’une initiative critique qui doit être pleinement mise en œuvre rapidement. »
(De g. à dr.) La Première ministre italienne Giorgia Meloni, le président Emmanuel Macron, le Premier ministre canadien Mark Carney, le président américain Donald Trump, le Premier ministre britannique Keir Starmer, le chancelier allemand Friedrich Merz, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, le président du Conseil européen Antonio Costa et le Premier ministre japonais Shigeru Ishiba se réunissent au sommet des dirigeants du G7 à Kananaskis, au Canada, le 16 juin 2025. Les dirigeants se sont mis d’accord sur une stratégie visant à sécuriser l’approvisionnement en terres rares et à réduire la dépendance à la Chine. (Chip Somodevilla/Getty Images)
Rare Element Resources opère sous un accord de partage des coûts avec le Département de l’Énergie pour une usine pilote. L’entreprise prévoit de commencer une production commerciale à grande échelle d’ici deux à trois ans.
Deux ans, c’est aussi le délai dans lequel les États-Unis pourraient commencer à afficher des progrès concrets dans la construction d’une chaîne d’approvisionnement nationale, selon James Lewis, expert technologique et membre distingué du Center for European Policy Analysis (Centre d’analyse des politiques européennes).
Il a déclaré à Epoch Times que les gens se lanceront dans le secteur des terres rares « s’il y a de l’argent à gagner » et « s’ils pensent que les obstacles réglementaires ont été levés ».
Course contre la montre
Depuis le début de son second mandat en janvier, le président Donald Trump a publié 11 décrets offrant des allègements de permis et des financements aux entreprises impliquées dans l’extraction et le raffinage de minéraux critiques.
Fin juin, le Département de l’Énergie a annoncé de nouvelles directives sur la loi nationale sur la politique environnementale (NEPA : National Environmental Policy Act) afin d’accélérer le processus d’autorisation pour les entreprises minières. Deux mois auparavant, le Département de l’Intérieur avait ajouté les projets d’infrastructures pour minéraux critiques à un programme de traitement accéléré datant de l’ère Obama, en coordination avec le Permitting Council.
M. Mushinski a expliqué que les entreprises minières pourront désormais interagir avec tous les organismes fédéraux concernés par les études d’impact environnemental et discuter du calendrier avant le lancement du projet. Cela leur fait gagner un temps précieux dans les procédures et la coordination avec les agences. Le Permitting Council, créé par le Congrès en 2015, rend chaque agence responsable du respect du calendrier de révision.
Cela pourrait faire une différence de plusieurs années. Par exemple, il a fallu 10 ans à son entreprise pour obtenir un permis pour son projet dans le nord-est du Wyoming. Avec la nouvelle procédure, le même projet pourrait être entièrement autorisé en deux à quatre ans.
Un retard de sept à dix ans pour les permis est courant pour les entreprises de minéraux critiques, selon Alex Herrgott, président du Permitting Institute.
La disponibilité du financement aide également à accélérer les projets. Par exemple, Critical Metals Corp. a annoncé en juin que la banque américaine d’import-export (Export-Import Bank) examinait un prêt de 120 millions de dollars pour la mine de terres rares Tanbreez au Groenland.
En vertu du nouveau décret exécutif visant à augmenter la production minérale américaine, un projet minier n’a pas besoin d’avoir un client « garanti d’acheter tout ou une partie de la production » pour être éligible aux subventions et prêts, ce qui rend le processus plus rapide, a précédemment expliqué à Epoch Times Melissa Mel Sanderson, membre du conseil d’administration d’American Rare Earths et coprésidente de l’Institut des minéraux critiques.
Pour atteindre une autosuffisance totale en terres rares, M. Mushinski estime qu’il faudrait entre 10 et 20 ans : 20 ans si les États-Unis travaillent seuls, et plutôt 10 ans s’ils collaborent avec leurs alliés.
NioCorp prévoit d’utiliser la technologie Railveyor pour transporter le minerai jusqu’à la surface dans le cadre de son projet Elk Creek sur les minéraux critiques, situé au Nebraska. Fin juin, le département de l’Énergie a publié de nouvelles directives dans le cadre de la Loi nationale sur la politique environnementale (National Environmental Policy Act) afin de simplifier les permis miniers, soutenant ainsi l’initiative du président Donald Trump visant à renforcer l’exploitation minière et le raffinage aux États-Unis. (Mark Smith / NioCorp)
Il a donné l’exemple de la chaîne idéale de production d’aimants qu’il souhaite voir : son entreprise séparant les terres rares à l’échelle commerciale, un raffineur britannique établi et un fabricant japonais d’aimants installant des usines au centre des États-Unis.
Le Center for Critical Mineral Strategya également proposé, lors d’une audition au Congrès en mai, de mobiliser les ressources des pays alliés, dont les fabricants en Australie, au Japon, en Inde et en Estonie.
Dans le cadre du plan d’action du G7, les États-Unis présideront la 15e conférence intergouvernementale sur les minéraux critiques à Chicago en septembre.
L’aimant présenté par la présidente de l’UE était un « bon moyen concret » de démontrer comment les acteurs industriels peuvent « coopérer tous ensemble, au-delà des frontières », selon Dennis Gibson, président de la Critical Minerals Association USA.
« J’ai bon espoir que la session de Chicago dans quelques mois permette de commencer à concrétiser les choses et à rassembler les acteurs », a-t-il déclaré à Epoch Times.
Il a précisé qu’il rencontrerait d’autres organisations industrielles à la mi-juillet pour préparer la conférence du G7.
Perte de leadership
L’Occident fait face au quasi-monopole que le régime chinois a acquis dans le domaine des terres rares après trois décennies d’efforts.
Mountain Pass est la seule mine en activité aux États-Unis qui extrait des éléments de terres rares. Située en Californie, à moins de 100 kilomètres au sud-ouest de Las Vegas, cette installation dominait la production mondiale entre les années 1960 et 1980.
Aujourd’hui, elle représente environ 15 % de la production mondiale totale d’oxydes de terres rares. Toutefois, elle ne raffine pas ces terres rares et vend la « grande majorité » de sa production minière à la Chine pour traitement, ce qui représente 80 % de son chiffre d’affaires total, selon le rapport annuel 2024 de l’entreprise.
[pullquote author= » » org= » »]Mountain Pass, située en Californie, est la seule mine active aux États-Unis qui extrait des éléments de terres rares.[/pullquote]
L’utilisation des terres rares dans la fabrication d’aimants permanents – des matériaux magnétiques ne nécessitant pas de source d’alimentation – a été découverte dans un laboratoire du Département américain de la Défense dans les années 1960. La technologie actuelle des aimants en terres rares a été inventée dans les années 1980 par Sumitomo Special Metals au Japon et General Motors.
La Chine entre alors en scène. En 1992, Deng Xiaoping, alors dirigeant du Parti communiste chinois, déclarait que les terres rares avaient une « très grande importance stratégique ».
La mine de borax de Rio Tinto à Boron, en Californie, le 1er février 2010, au lendemain du « lock-out » de 540 travailleurs remplacés par des intérimaires. Depuis le début de son second mandat en janvier, le président Donald Trump a émis plusieurs décrets facilitant les autorisations et augmentant les financements pour les entreprises impliquées dans l’extraction et le raffinage des minéraux critiques. (David McNew/Getty Images)
« Le Moyen-Orient a le pétrole ; la Chine a les terres rares », disait-il, faisant référence aux réserves de terres rares du pays.
Les entreprises minières étrangères ne pouvaient former que des coentreprises avec des entreprises chinoises. Selon le groupe de réflexion Centre d’études stratégiques et internationales (CSIS : Center for Strategic and International Studies), basé à Washington, ces entreprises devaient fournir leur savoir-faire technologique aux Chinois pour faire des affaires en Chine,.
Avec le soutien de politiques industrielles, la production de terres rares de la Chine a atteint 95 % de la production mondiale totale en 2010, contre seulement 27 % en 1990, selon l’U.S. Geological Survey.
La même année, le régime chinois a montré ses muscles dans le secteur des terres rares.
Il a réduit ses quotas d’exportation de près de 40 %, imposant notamment un embargo sur le Japon. Ce qui a entraîné une flambée des prix des minéraux critiques, jusqu’à 50 fois plus élevés, selon le CSIS. En conséquence, l’action de Molycorp – l’entreprise propriétaire de la mine de terres rares de Mountain Pass – a atteint un sommet financier historique avec près de 80 dollars par action en mai 2011, d’après la Securities and Exchange Commission (SEC) des États-Unis.
[pullquote author= » » org= »U.S. Geological Survey. »]La production de terres rares de la Chine a atteint 95 % de la production mondiale totale en 2010.[/pullquote]
Cependant, en 2015, la Chine a abandonné son système de quotas à l’exportation pour les terres rares. Les prix se sont effondrés à des niveaux inférieurs à ceux d’avant 2010. Molycorp a déposé le bilan en juin 2015. Des années plus tard, la mine a été rachetée par l’actuel propriétaire, MP Materials, basé à Las Vegas, qui a relancé les opérations en 2018.
Rare Element Resources a également été touchée par cette dernière vague de pratiques non concurrentielles de « rétention et inondation du marché », a confié M. Mushinski à Epoch Times. L’entreprise a presque fait faillite en 2015 après avoir dépensé 30 millions de dollars pour obtenir les permis de son projet Bear Lodge dans le Wyoming, a témoigné son PDG lors d’une audition au Congrès en juin.
Lorsque les prix du marché se sont effondrés, les acteurs nationaux américains n’ont plus pu justifier de projets rentables auprès des investisseurs.
Bien que le Japon ait cherché des sources alternatives de terres rares, le reste du monde est finalement revenu à l’achat auprès de la Chine. Le monopole du régime est resté pratiquement intact. Il raffine encore aujourd’hui 90 % de la production mondiale de terres rares.
Les temps changent
La Chine peut-elle à nouveau lever ses contrôles à l’exportation pour écraser les concurrents industriels et ralentir les efforts actuels de création d’une chaîne d’approvisionnement alternative, comme elle l’a fait dans les années 2010 ?
M. Lewis ne le pense pas.
« Les Chinois ne peuvent jouer ce tour qu’un nombre limité de fois avant que les gens en aient assez et disent : ‘Nous ne dépendrons plus de vous.’ Et c’est ce qui commence à se produire », a-t-il expliqué. « Je pense donc que la part de marché de la Chine va diminuer, mais elle ne tombera pas à zéro. »
M. Mushinski partage cet avis.
« Je pense que tout le monde réalise qu’un accord d’aujourd’hui risque de ne plus exister demain ou après-demain. Et tout le monde est donc très, très méfiant », a-t-il indiqué.
En parlant d’une chaîne d’approvisionnement nationale pour les terres rares, il a précisé que « le Département de la Défense des États-Unis et le gouvernement américain comprennent parfaitement que tout doit être rapatrié aux États-Unis ».
John Haughey a contribué à la rédaction de cet article.
Terri Wu est une journaliste indépendante basée à Washington qui travaille pour Epoch Times et couvre les questions liées à l'éducation et à la Chine.