Comment la persécution du Falun Gong a jeté les bases du totalitarisme numérique en Chine

Par Frank Fang
13 décembre 2022 17:49 Mis à jour: 6 novembre 2023 08:56

L’ancien dirigeant chinois Jiang Zemin est récemment décédé, laissant derrière lui un lourd héritage ayant ouvert la porte à la surveillance moderne opérée par la Chine.

« Jiang a pris des mesures cruciales dans les premiers jours d’Internet en Chine pour construire le système aujourd’hui connu sous le nom de Grand Pare‑feu, coupant les utilisateurs chinois du reste du monde », écrit Sarah Cook, directrice de recherche pour la Chine, Hong Kong et Taïwan à Freedom House, sur Twitter alors que les médias chinois viennent d’annoncer la mort de Jiang Zemin, le 30 novembre.

La Chine a accédé à Internet en 1994, à l’époque Jiang Zemin était le dirigeant du régime en tant que secrétaire général du Parti communiste chinois (PCC). Jiang Zemin a occupé ce poste jusqu’en novembre 2002.

Selon Sarah Cook, les premières étapes du Grand Pare‑feu – le vaste dispositif chinois de censure et de surveillance d’Internet – ont été mises en place dès 1996.

C’est au 1er février 1996 que la Chine prend sa première mesure pour censurer Internet. Le Conseil d’État (de la taille d’un cabinet) publie un décret de réglementation sur les réseaux. Une des règles stipule qu’ « aucune unité ou personne ne peut établir ou utiliser d’autres canaux de mise en réseau international de son propre chef ». L’ordonnance précise également qu’une licence est nécessaire pour quiconque souhaite fournir un accès Internet aux utilisateurs.

En 1997, le ministère chinois de la Sécurité publique publie un règlement stipulant qu’il est responsable de la « sécurité, de la protection et de la gestion des réseaux d’informations informatiques et d’Internet ». En outre, le règlement interdit l’utilisation d’Internet pour « créer, reproduire, récupérer ou transmettre » tout élément incitant à la résistance ou à la violation de la constitution, des lois ou des règlements administratifs.

L’ancien dictateur chinois Jiang Zemin dans le Grand Hall du Peuple à Pékin, en Chine, le 8 novembre 2012. (Feng Li/Getty Images)

Après avoir lancé la persécution des pratiquants de Falun Gong en juillet 1999, Jiang Zemin porte la censure Internet à un autre niveau.

« [Jiang Zemin] a élargi les cibles de la répression en ciblant le Parti de la démocratie chinoise en 1998, les premières poursuites contre des cyberdissidents et, surtout, le lancement en 1999 d’une campagne visant à éliminer le Falun Gong, alors pratiqué par des dizaines de millions de Chinois », écrit Sarah Cook.

Elle ajoute : « Le développement de la censure en ligne s’est ensuite accéléré, contenant les nouvelles des abus commis lors des répressions et restreignant l’utilisation d’Internet pour l’organisation politique. »

Le Falun Gong, également connu sous le nom de Falun Dafa, est une pratique spirituelle comprenant des exercices méditatifs aux mouvements lents ainsi que des enseignements moraux basés sur les principes de vérité, de compassion et de tolérance.

La popularité du Falun Dafa s’est accrue après son introduction au public en 1992. Selon les estimations de l’époque, la Chine comptait entre 70 et 100 millions de pratiquants à la fin de la décennie. Jiang Zemin a perçu cette énorme popularité comme une menace pour son pouvoir, et a donc lancé la persécution.

Depuis lors, les pratiquants de Falun Gong en Chine sont traqués dans tout le pays. Selon le Centre d’information du Falun Dafa, des millions de pratiquants ont été jetés dans des prisons, des camps de travaux forcés, des centres de lavage de cerveau, où ils ont été maltraités, torturés ou tués pour leurs organes.

Le Grand Pare‑feu chinois empêche actuellement les citoyens chinois d’accéder aux contenus en ligne jugés inacceptables par le régime communiste, notamment Twitter, Facebook ou le site de l’organisation Minghui créée aux États‑Unis pour suivre sur la persécution du Falun Gong en Chine. Epoch Times est également bloqué là‑bas.

Tang Jingyuan, analyste des affaires chinoises basé aux États‑Unis, explique pour Epoch Times que le Grand Pare‑feu était plus qu’un simple outil permettant à Jiang Zemin d’empêcher que la persécution soit couverte, c’était aussi un outil d’endoctrinement.

« À ce jour, le pare‑feu Internet est devenu l’infrastructure la plus importante du totalitarisme numérique du PCC. Il a depuis été étendu à d’autres fonctions, comme la surveillance et le suivi des personnes. »

Bouclier d’or

Le Grand Pare‑feu a été intégré au projet Bouclier d’or, lancé par le ministère chinois de la Sécurité publique entre 1998 et 2000. Le projet Bouclier d’or est un réseau de surveillance à l’échelle nationale, doté de capacités de suivi grâce à d’importantes bases de données.

Heng He, un commentateur des affaires chinoises basé aux États‑Unis, déclare pour Epoch Times que le projet Bouclier d’or, tout comme le Grand Pare‑feu, a été créé avec l’intention de cibler les pratiquants de Falun Gong. Notamment, certaines des premières bases de données comprenaient les informations sur les personnes pratiquant le Falun Gong.

S’il est bien connu que Fang Binxing, célèbre informaticien, a été l’architecte du Grand Pare‑feu, on sait moins que c’est le fils aîné de Jiang Zemin, Jiang Mianheng, qui a supervisé le développement du Grand Pare‑feu et du projet Bouclier d’or.

Jiang Mianheng était autrefois le vice‑président de la branche de Shanghai de l’Académie des sciences chinoise, organisme public, le principal institut de recherche du pays. Il a démissionné de ce poste en 2015.

Tout comme son père, Jiang Mianheng estime que l’Internet doit être étroitement contrôlé par le régime.

« La Chine doit construire un réseau national indépendant d’Internet », a‑t‑il déclaré lors d’une conférence en 2000, et la Chine doit briser le « monopole de l’Occident sur les ressources d’information et les industries connexes. »

Jiang Mianheng, le 16 juillet 2005. (Académie des sciences de Chine)

Le ministère chinois de la Sécurité d’État (MPS), le Bureau 610 et la Commission des affaires politiques et juridiques font partie des différents organismes du PCC qui s’appuient à la fois sur le Grand Pare‑feu et le projet Bouclier d’or dans leurs efforts pour persécuter les pratiquants de Falun Gong, poursuit Heng He.

Jiang Zemin a créé le Bureau 610, un organe extrajudiciaire de type Gestapo, dans le seul but de persécuter les pratiquants de Falun Gong. Des documents en interne obtenus par Epoch Times montrent que le Bureau 610 a été dissous entre 2018 et 2019, et que ses fonctions ont été intégrées dans d’autres organes du PCC, notamment le PLAC et le MPS.

Heng He ajoute que le projet Bouclier d’or s’est depuis transformé en « projet Skynet », un système de surveillance massif impliquant des millions de caméras déployées à travers toute la Chine. La majorité sont dotées de la reconnaissance faciale.

Les efforts de la Chine pour censurer le Falun Gong en ligne ont été déguisés sous la forme de logiciels apparemment innocents. En 2009, les responsables informatiques chinois ont exigé que tous les ordinateurs personnels vendus dans le pays soient équipés du logiciel Internet « Green Dam Youth Escort » préinstallé. Le régime a annoncé que ce logiciel était conçu pour bloquer la pornographie et filtrer les contenus illicites.

Le logiciel cible en réalité d’autres contenus, comme les mots liés au Falun Gong. Une équipe de l’Université du Michigan a trouvé un fichier nommé « FalunWord.lib » contenant 37.468 caractères chinois, dont plus de 90% sont liés au Falun Gong. Le mot « 610 », qui fait référence au Bureau 610, apparaît 63 fois.

Aujourd’hui, une recherche sur le plus grand moteur de recherche chinois Baidu en utilisant les mots « Falun Gong » en anglais ou en chinois ne montre rien d’autre que de la propagande haineuse, des calomnies et de la désinformation sur la pratique spirituelle.

Système de crédit social

Actuellement, le régime chinois applique un système de crédit social, qui attribue à chaque citoyen un score de « fiabilité sociale ».

Les personnes peuvent se voir retirer des points avec des comportements jugés néfastes par le PCC, comme de traverser la rue en dehors des zones et moments désignés. Les personnes dont le crédit social est faible sont considérées comme « indignes de confiance » et sont donc privées d’accès à certains services ou opportunités de travail. Elles peuvent notamment se voir interdire de prendre l’avion ou d’aller à l’école. Les opposants dénoncent ce système comme une violation des droits de l’homme.

Il y a quelques décennies, Jiang Zemin est le premier à avoir indiqué que la Chine allait développer ce système.

Lors d’un congrès du Parti en novembre 2002, Jiang Zemin a déclaré qu’il était nécessaire « d’établir un système de crédit social compatible avec une économie de marché moderne ».

L’idée s’est concrétisée sous la forme d’un programme en 2014, lorsque le Conseil d’État a publié un Schéma de planification pour la construction d’un système de crédit social (2014‑2020). Le document indique que le système est « une composante importante du système d’économie de marché socialiste et du système de gouvernance sociale ».

En septembre 2019, la Commission nationale de la réforme et du développement, l’organe supérieur de planification économique du régime, a annoncé avoir achevé le premier cycle d’un système de crédit social d’entreprise couvrant près de 33 millions d’entreprises. L’annonce ne précisait pas combien de ces entreprises étaient des sociétés étrangères ou privées.

Le représentant américain au Commerce, Robert Lighthizer, comparaît devant la commission des finances du Sénat, à Washington, le 17 juin 2020. (Anna Moneymaker-Pool/Getty Images)

Quatre mois plus tard, un groupe de 25 sénateurs américain a écrit une lettre au représentant américain au Commerce de l’époque, Robert Lighthizer, exprimant des inquiétudes sur la façon dont le système de crédit social appliqué aux entreprises en Chine pourrait menacer l’activité américaine.

Le magazine Bitter Winter, une publication en ligne consacrée aux persécutions religieuses en Chine, soupçonne que des informations sur la foi religieuse des personnes ont été ajoutées au système de crédit social. Plusieurs travailleurs médicaux en Chine ont déclaré au magazine en 2019 que les autorités chinoises avaient imposé une exigence disant qu’ils devaient se renseigner sur le statut religieux de leurs patients, mais qu’aucun d’entre eux « ne pouvait comprendre les véritables intentions de cette mesure. »

« Certains patients ne savaient pas pourquoi de telles questions étaient posées, mais ils ont quand même donné un compte‑rendu véridique de leur foi religieuse. Ce n’est pas une bonne chose. Cela peut sembler inoffensif sur le moment, mais le gouvernement peut exploiter ces informations s’il en a besoin », a déclaré au magazine un travailleur médical anonyme de la province du Henan, en Chine centrale.

Le directeur d’un hôpital de la province du Shandong, dans l’est de la Chine, a déclaré que les informations recueillies auprès des patients, y compris leur statut religieux, étaient téléchargées dans une base de données gérée par le gouvernement.

« Non seulement le Bureau de la sécurité publique examine ces dossiers, mais les employeurs peuvent également y avoir accès. Dès qu’une personne présente un ‘défaut’, elle ne pourra plus acheter de billets pour voyager. Les employeurs ne les embaucheront pas non plus », a déclaré le directeur, selon le magazine.

Falun Gong

« Comme le PCC a accru sa capacité de surveillance en ligne, la communication de base est devenue de plus en plus dangereuse pour les pratiquants du Falun Gong en Chine », explique dans un rapport publié en mai, le Centre d’information du Falun Dafa.

Le rapport ajoute : « Les arrangements de surveillance du PCC vont au‑delà des entreprises publiques de téléphonie mobile ou des passerelles Internet et s’étendent aux groupes de messagerie et aux plateformes de médias sociaux gérés par des entreprises ostensiblement privées. »

Le rapport cite l’exemple de Song Xiaomei, une femme de 51 ans de la province du Liaoning, dans le nord de la Chine, qui a été arrêtée et battue par la police en octobre 2021, alors qu’elle rentrait d’un voyage au Japon. Elle a été arrêtée parce qu’elle avait partagé des informations sur la persécution sur Twitter pendant son voyage à l’étranger.

Mme Song a été accusée de « saper l’application de la loi » par ses tweets. En janvier, elle a été condamnée à 4 ans et demi de prison.

Défilé de pratiquants de Falun Gong à Washington pour commémorer le 23e anniversaire de la persécution en Chine, le 21 juillet 2022. (Samira Bouaou/Epoch Times)

Un autre exemple concerne Gao Xiaoqi, une pratiquante de Falun Gong arrêtée en juillet 2020.

« Elle a été identifiée pratiquante grâce la technologie de reconnaissance faciale de Skynet parce qu’elle avait déjà rencontré d’autres pratiquants de Falun Gong dans la région, et a été condamnée à neuf ans de prison », indique le rapport.

En Chine, les pratiquants de Falun Gong distribuent souvent des tracts dans la rue, afin de convaincre les gens de ne pas croire la propagande haineuse et la désinformation sur la pratique promue par les médias d’État chinois. Cependant, nombre d’entre eux ont été arrêtés et persécutés, car leurs actes sont désormais filmés par les caméras de surveillance.

Un exemple récent est celui de Ke Fanghua, une pratiquante de 78 ans de la province du Henan, qui a été arrêtée en mai après que la police locale l’a vue distribuer des prospectus devant une caméra, selon Minghui. Avant sa détention, elle avait déjà passé plus de huit ans en prison, au cours desquels elle avait été soumise à des travaux forcés, des passages à tabac et des séances de lavage de cerveau.

La Chine actuelle

Si Jiang Zemin est à l’origine de certaines technologies et de certains systèmes, le régime chinois dirigé désormais par Xi Jinping les a développés et perfectionnés pour former la dictature de haute technologie présente en Chine.

Chris Meserole, directeur de recherche de l’initiative sur l’intelligence artificielle et les technologies émergentes de la Brookings Institution, a déclaré lors d’une audition au Congrès en septembre que la Chine « a commencé à mettre en place un appareil sans précédent de censure et de surveillance en ligne » après l’ouverture d’Internet en Chine.

« Lorsque Xi Jinping a pris le pouvoir en 2012, il a rapidement consolidé cet appareil sous son contrôle, tout en investissant massivement dans l’infrastructure matérielle et la formation pour mettre en place des programmes de surveillance réels tels que Skynet, les villes intelligentes, Sharp Eyes et les premiers pilotes du système de crédit social », a déclaré Chris Meserole.

Et d’ajouter : « Comme ces systèmes sont souvent dépourvus de procédures régulières et de contrôle public, le régime de Xi a effectivement construit l’architecture numérique de répression la plus complète au monde. »

Le dirigeant chinois Xi Jinping lève la main alors qu’il vote lors de la session de clôture du 20e Congrès national du Parti communiste chinois au Grand Hall du peuple à Pékin, le 22 octobre 2022. (Kevin Frayer/Getty Images)

L’expert a donné des exemples de l’utilisation de ce système pour contrôler la population

« Les capteurs GPS, et les téléphones intelligents, et les voitures, plus la reconnaissance faciale qui peut suivre les citoyens à travers la ville, rendent difficile pour les communautés religieuses privées et secrètes de se former et de fonctionner sans être détectées. De plus les télévisions intelligentes et les téléphones portables permettent de regarder et d’entendre à distance les prières privées au sein d’une maison ».

« Dit en termes orwelliens – Big Brother a maintenant clairement le pouvoir d’étendre son œil vigilant sur les personnes pratiquant une religion », a‑t‑il ajouté.

Luo Ya et Ning Haizhong ont contribué à cet article.

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