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Du saint Évêque Nicolas à ses mystérieux compagnons : pépites d’or, tonneau de cornichons et fête des cadeaux
Depuis le Xe siècle, l'Europe vénère deux évêques nommés Nicolas comme saints et protecteurs des enfants. Leurs légendes – de la dot secrète au sauvetage de deux garçons – façonnent encore aujourd'hui l'image du généreux bienfaiteur.

Photo: Noël-Pixabay
Les deux évêques nommés Nicolas – l’un vers 350 après J.-C. dans la ville de Myra en Asie Mineure, l’autre vers 530 après J.-C. à Pinara en Lycie – étaient considérés comme des bienfaiteurs exceptionnels des pauvres et des nécessiteux. Ils furent vénérés en Europe à partir du Xe siècle comme saints et devinrent les patrons des enfants. Concernant la question de savoir comment ils sont devenus les protecteurs des enfants, deux traditions différentes circulent.
Selon la première, l’évêque Nicolas aurait sauvé trois jeunes filles de la prostitution, car leurs propres parents étaient trop pauvres pour constituer une dot. L’évêque aurait jeté trois pépites d’or dans la maison parentale afin de mettre fin à la pauvreté et de sauver les jeunes filles.

Saint Nicolas sauve trois vierges du bordel, retable ailé d’Oberbobritzsch. (Photo : Jörg Blobelt – Œuvre personnelle, CC BY-SA 4.0)
Nicolas, deux garçons et un cornichon
D’autres récits évoquent le sauvetage de deux garçons qu’un aubergiste cruel avait tués et voulait cacher dans un tonneau à sel. L’évêque Nicolas aurait ressuscité les enfants. Ce dernier événement a tellement stimulé l’imagination qu’il fut embelli dans l’Espagne médiévale et déploie ses effets jusqu’aux États-Unis d’aujourd’hui.
Aux États-Unis s’est développée une tradition selon laquelle presque tout ce qui convient est utilisé comme décoration de sapin de Noël – de la figurine Mickey Mouse à la canette Coca-Cola ornée d’un motif de Saint-Nicolas. Dans ce contexte, le cornichon a également été établi comme symbole de Noël et caché dans le sapin. L’arrière-plan narratif est un conte espagnol sur saint Nicolas.
Deux garçons auraient voulu passer la nuit dans une auberge, mais l’aubergiste leur aurait volé leurs sacs et les aurait ensuite placés dans un tonneau de cornichons. Ce soir-là, l’évêque Nicolas serait également arrivé dans cette auberge pour se reposer. Lorsqu’il entendit les bruits étranges provenant du tonneau de cornichons, il délivra les deux enfants en frappant le tonneau avec son bâton.
La notice accompagnant le bocal de cornichons porte un tampon de Lauscha en Thuringe (Allemagne), qui fait référence à la coutume pratiquée là-bas de cacher un bocal de cornichons dans le sapin. Apparemment, cela doit conférer de la crédibilité aux cornichons de Noël.
Une entreprise de vente par correspondance de décorations de sapin de Noël d’Appleton dans le Wisconsin (États-Unis), où vivent de nombreux immigrants allemands, expédie chaque année des milliers de bocaux avec le cornichon de Noël. Ils constituent chaque année un article très demandé. Trois tailles sont proposées : 10 centimètres, 8 centimètres et le mini-cornichon de 3 centimètres, dont la recherche dans le sapin est particulièrement difficile.

L’évêque Nicolas par Giotto, Polyptyque de Badia, vers 1301, Galerie des Offices, Florence.
(Photo : Par Armin Kleiner, CC BY-SA 4.0)
Quand l’Enfant Jésus remplaça Saint Nicolas
Le jour de la fête de l’évêque Nicolas, le 6 décembre, on élisait autrefois dans certaines régions d’Europe un enfant qui traversait la ville à cheval, vêtu d’habits épiscopaux. En choisissant un enfant comme évêque, on voulait rappeler que Dieu a renversé les puissants de leur trône et élevé les humbles. La Saint-Nicolas devint une fête des enfants.
En raison de ces dérives et de la relation ambivalente de Luther avec les saints, dans certaines régions d’Allemagne, Saint Nicolas fut remplacé par l’Enfant Jésus, une figure d’ange adulte, comme donateur de cadeaux.
Les marchés de l’Enfant Jésus sont particulièrement attestés dans de nombreuses villes protestantes. Ils devaient rendre les idées de Luther plus populaires et évincer saint Nicolas.
Mais aujourd’hui, nous connaissons les deux. Saint Nicolas et les marchés de l’Enfant Jésus, qui sont entre-temps de plus en plus devenus des marchés de Noël – certainement pas dans l’esprit du réformateur.
Saint Nicolas a au fil de la tradition un visage ambivalent. D’une part, il doit symboliser l’anticipation joyeuse de Noël et vient chez les enfants pour distribuer de petits cadeaux. Mais auparavant, il devait examiner les enfants sur des questions de foi. Il récompensait ou punissait selon leurs connaissances. Ainsi, Nicolas supplanta saint Martin, qui fut le premier saint populaire d’Europe à apporter des cadeaux aux enfants.
Le saint n’est cependant pas compris comme un dignitaire ecclésiastique, mais comme un personnage remplissant une fonction particulière auprès du monde des enfants, distribuant selon les besoins des éloges et des reproches (parentaux). Il s’adressait principalement aux garçons, car pour les filles, c’était le 13 décembre, jour de sainte Lucie, qui apportait les cadeaux.
Le saint se présente en habit épiscopal, tel que le peintre Moritz von Schwind l’a dessiné au XIXe siècle comme une figure au manteau rouge à capuche bordé de fourrure et à la longue barbe blanche ondoyante rappelant Dieu le Père, ou comme un homme emmitouflé dans un manteau blanc ou un drap blanc avec une longue barbe blanche. Mais le Père Noël n’a pas toujours eu cette apparence.
Comme l’image de notre Père Noël européen est désormais également marquée par l’évolution aux États-Unis, un regard outre-Atlantique vaut également la peine ici.
Comment Santa Claus devint le Père Noël de Coca-Cola
Chez l’écrivain Washington Irving, le Père Noël porte dans « Les Histoires de Knickerbockers à New York » (1809) « un chapeau profond à large bord, une gigantesque culotte flamande et une longue pipe ». Dans le poème A Visit from St. Nicholas (1822) de Clement Moore, il est décrit comme un « vieux lutin joufflu et potelé ».
Ce n’est que dans les années 1920 qu’il est décrit dans les couleurs rouge et blanc comme c’est l’usage aujourd’hui. Le 27 novembre 1927, le New York Times écrivait : « Un Santa Claus standardisé apparaît aux enfants new-yorkais. La taille, le poids, la stature sont uniformisés ainsi que l’habit rouge, le bonnet et la barbe blanche. »
Cette figure de Nicolas, qui est vieux et corpulent, porte une barbe blanche et un manteau rouge bordé de fourrure blanche ainsi qu’un pantalon assorti, de grosses bottes noires et des lunettes à monture métallique – a été créée par un caricaturiste originaire d’Allemagne et très prospère aux États-Unis. Thomas Nast, né en 1840 dans le Palatinat, émigra avec ses parents six ans plus tard aux États-Unis. Là commença sa carrière féerique, il devint le père de la caricature politique en Amérique.

Le joyeux vieux Père Noël, illustration de Thomas Nast (1863). (Photo : Domaine public)
En pleine guerre civile américaine, il créa en 1862 pour le magazine illustré américain Harper’s Weekly le Père Noël désormais mondialisé. Celui-ci se laissa quelques décennies plus tard bien commercialiser comme support publicitaire dans les couleurs de la marque Coca-Cola.
En 1931, Coca-Cola fit de la publicité d’entreprise aux États-Unis avec lui dans les couleurs rouge et blanc. Santa Claus – comme on l’appelle – fit une pause rafraîchissante à côté d’une chaussette de cadeaux lors d’une campagne d’affichage à l’échelle des États-Unis : « Merci pour la pause qui rafraîchit !» Le dessinateur suédo-américain Haddon Sundblom conçut la série publicitaire de Noël. Il utilisa l’idée de Thomas Nast, qui avait déplacé le domicile de Santa Claus au pôle Nord.
Sur son dessin, deux enfants suivent sur une carte le long et pénible chemin de Santa Claus depuis le pôle Nord jusqu’aux États-Unis, où selon Sundblom il dut se reposer une fois. L’écrivain George P. Webster avait déjà expliqué 60 ans auparavant que dans la patrie de Santa Claus, pendant les longs mois d’été, l’usine de jouets et la maison de Santa Claus étaient cachées. Jusqu’en 1966, Sundblom créa pour Coca-Cola sans cesse de nouvelles variations de son Père Noël, auquel il donna ensuite également son propre visage.
Quand le Père Noël arrive – et que Rodolphe lui éclaire le chemin
Mais avec la figure de Santa Claus, la signification de Saint Nicolas se transforme également. Il est maintenant le Père Noël et non plus celui qui vient chez les enfants le 6 décembre. Le Père Noël n’est plus le saint Nicolas ascétique de Myra, mais le Santa Claus robustement bâti, enveloppé d’un manteau rouge, à la barbe blanche, qui arrive dans la nuit du 24 au 25 décembre par la cheminée et distribue des cadeaux, sur un traîneau tiré dans les airs par ses rennes Tornade, Danseur, Furie, Fringant, Comète, Cupidon, Tonnerre et Éclair.
Lorsque le Père Noël dut décider qui devait tirer le traîneau, venant du nord, il choisit les rennes, habitués au climat froid.
Depuis 1939, un autre renne complète l’attelage : Rodolphe, le « renne au nez rouge ». L’histoire de Rodolphe fut écrite par Robert L. May et correspond bien à la période de Noël, qui se soucie des êtres défavorisés. À cause de son nez rouge brillant, Rodolphe était moqué par les autres rennes. Personne ne voulait jouer avec lui. Mais Santa Claus eut pitié et plaça le renne au nez rouge devant tous les autres : le petit renne peut depuis lors guider le traîneau et éclaire avec son nez rouge le chemin vers les enfants du monde entier.
Cette histoire arriva également au cinéma en 1964 sous forme de dessin animé, après que la chanson « The red-nosed reindeer » composée par Gene Autry ait déjà pris d’assaut les charts depuis 1949.
En France la chanson populaire Le petit renne au nez rouge (adaptée de Rudolph the Red-Nosed Reindeer) raconte la même histoire.
Au XVIIe siècle, le gentil Saint Nicolas jusqu’alors connu reçut un compagnon – le futur Père Fouettard. Désormais, Saint Nicolas était responsable des enfants sages et son compagnon des méchants, qui recevait également un nom différent selon la région.
Peu importe comment on l’appelle, son apparence est décrite partout de la même façon. Un long manteau, un chapeau mou, des bottes et une longue barbe donnent au compagnon du saint une apparence sinistre, avec laquelle il effraie encore davantage les enfants avec une voix rauque et déguisée (« Hoho »). Comme instrument de menace, il porte une verge, un gourdin ou une fourche.
Mais même avec ces instruments, le sens véritable s’est perdu. Au départ, le fait d’être touché par la verge – un rameau vivant, donc du bois vivant – était considéré comme une bénédiction, comme un signe de prospérité et de fertilité. Ce n’est que lorsque la punition joua un rôle important dans la pédagogie que la verge devint un instrument de discipline.
En Suisse, et dans certaines région d’Allemagne, une autre figure effrayante de Noël est encore connue sous plusieurs nom dont : Habergeiß (créature mythologique alpine, mi-chèvre mi-oiseau, souvent représentée comme un démon effrayant avec des sabots de cheval, des yeux luisants et un cri de chèvre). Les enfants désobéissants doivent chevaucher cette terrible bête. Mais cette figure annonce également la fin de l’année, car la figure sombre et effrayante est conduite à travers le village le soir du Nouvel An dans certaines localités en Suisse par un ange vêtu de blanc, pour montrer que dans la nouvelle année, le mal sera maintenu en bride par le bien.
Hans-Jürgen Wünschel, né à Ludwigshafen am Rhein en 1947, a été directeur académique du département d'histoire de l'université de Coblence-Landau de 1982 à 2012. Depuis 2002, l'historien est également professeur honoraire à l'université polonaise de Częstochowa.
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