Le choix d’un intellectuel en Chine – 2e partie

27 avril 2016 16:56 Mis à jour: 27 avril 2016 16:58

Suite et fin de : Le choix d’un intellectuel en Chine – 1ère partie

L’antre de la bête
Après avoir été appelé à Pékin en 1994, sous l’ordre de Jiang Zemin selon le China News Service, Wang s’est penché sur le genre de théorie politique qui pourrait être utile aux dirigeants communistes. Les observateurs étrangers sont le plus familiers avec cette période de sa vie, étant donné que plusieurs développements théoriques du régime ont été ultimement attribués ou retracés à Wang Huning.

Parmi ces théories ont retrouve les « Trois représentations » de Jiang Zemin, soit un texte opaque publié en 2000 qui affirme que le Parti communiste « représente les forces sociales productives avancées », le progrès culturel et « les intérêts fondamentaux de la majorité ». La conséquence principale de cette théorie fut de permettre aux capitalistes de devenir des membres du Parti communiste, pavant ainsi la voie au copinage bien ancré qui a défini le développement économique de la Chine dans les années subséquentes.

Wang serait aussi derrière la théorie anodine de Hu Jintao sur la « perspective scientifique sur le développement ». Cette théorie vise à « intégrer le marxisme avec la réalité contemporaine chinoise et avec les caractéristiques sous-jacentes de notre époque et elle incarne complètement la vision du monde marxiste sur la méthodologie de développement », indique les médias officiels.

L’influence de Wang s’est même étendue dans l’ère Xi Jinping, ce qui est un fait rare pour un conseiller des hauts dirigeants du Parti. Il peut souvent être aperçu en compagnie de Xi lors de voyages à l’étranger et lors de rencontres politiques en Chine. Ses anciens collègues croient aussi que son influence est palpable dans certaines contributions théoriques de Xi. Parmi elles, la « théorie du soulier », qui est utilisée pour balayer les critiques du système autoritaire en Chine : « Vous savez seulement si la chaussure va une fois que vous la portez ». Wang Huning était un étudiant du théoricien politique américain John Dewey, célèbre pour son commentaire : « C’est l’homme qui porte la chaussure qui sait le mieux où elle fait mal ».

Ses collègues de jadis qui habitent maintenant à l’étranger sont consternés par la manière avec laquelle Wang utilise son intellect.

« Il était obéissant et intelligent et était prêt à être utilisé », affirme Chen Kuide. « Une fois qu’il est allé à Pékin il devait s’ajuster à l’environnement politique et suivre les règles. Ce n’est pas comme s’il avait ses propres valeurs. »

Cette tendance à se ranger derrière les hommes de pouvoir semble avoir été présente très tôt dans le travail de Wang. « Il est impossible de dire absolument quel état culturel est supérieur à un autre », a-t-il écrit dans un livre de politiques comparées.

Chen Kuide a répondu dans une critique de l’ouvrage en 1987 : « Si c’est le cas […] alors nous sommes tombés dans un état de cynisme passif total dans lequel nous pouvons seulement nous conformer aux réalités politiques et abandonner tout espoir de progrès social ».

« Wang Huning a détourné tellement de bonnes idées », déplore Xia. « Au départ, la phrase de Dewey visait à habileter les gens, mais il l’a transformée en antithèse de Dewey, l’utilisant pour défendre le gouvernement chinois. L’idée démocratique originale est castrée. Voilà l’oeuvre intellectuelle de Wang Huning. »

Des anecdotes circulant parmi ses anciens camarades de classes racontent que Wang dormait souvent sur un divan dans son bureau, prêt à répondre aux besoins des hauts dirigeants à tout moment.

Xia Ming, professeur de science politique à la City Université de New York (Samira Bouaou/Epoch Times)
Xia Ming, professeur de science politique à la City Université de New York (Samira Bouaou/Epoch Times)

Xia Ming se rappelle d’un événement en 1997 lorsqu’un groupe de vieux amis de Shanghai de Wang s’était rendu à Pékin dans le cadre de réunions politiques annuelles et il l’avait invité à un grand souper. Wang n’a pris qu’un instant pour saluer le groupe, faisant une croix sur le banquet traditionnel et la beuverie. Xia a interprété que Wang « ne voulait pas entretenir de liens avec personne d’autre que son patron – il se donnait corps et âme au patron ». Cela pourrait expliquer comment il a été en mesure de survivre à trois administrations. Wang Huning, ayant servi avec dévouement quiconque étant au pouvoir, n’a lui-même jamais établi sa propre base ou ses connexions et ainsi il n’a jamais représenté une menace pour Hu Jintao ou Xi Jinping.

Wang Huning apparaît donc comme cet être unidimensionnel qui est heureux de servir le pouvoir, peu importe dans quelles mains il se trouve. Xia croit aussi que Wang est vraiment dévoué idéologiquement au Parti communiste et qu’il achète l’idée selon laquelle le Parti a scientifiquement compris la « ligne rouge » du développement historique. Il pourrait s’agir de la force motrice expliquant le dévouement entêté de Wang.

C’est de manière inattendue que Wang a aussi aidé à propulser la carrière de Xia Ming à l’étranger, lui qui tentait de quitter la Chine depuis un an. La bourse d’étude complète obtenue de l’Université Temple en 1991 s’est seulement matérialisée avec l’accord de Wang, son patron à l’Université Fudan à l’époque, dont l’autorisation était essentielle pour que Xia puisse sortir du pays.

Enfants écrasés et vin français
Peut-être que la plus grande différence entre les perspectives intellectuelles de Wang Huning et Xia Ming est simplement leur volonté de changer.

Malgré son penchant prodémocratie alors qu’il était un jeune idéaliste, Xia se considérait encore comme une sorte d’universitaire neutre et non aligné après son arrivée aux États-Unis.

La première phase de son éveil politique était arrivée : après l’échec des réformes politiques en Chine à la fin des années 1980, il savait qu’il devait poursuivre sa vie à l’étranger.

La deuxième phase est survenue de manière plus inattendue et ceux qui voulaient l’attirer dans leur camp ont obtenu le résultat opposé.

En 2008, Xia a voyagé au fin fond de la campagne chinoise pour aider une équipe de tournage à filmer un documentaire au sujet du séisme au Sichuan, alors que les vrais efforts de secours étaient empêtrés par le jeu politique. Le régime s’était efforcé de camoufler la mort de milliers d’écoliers dans les décombres d’édifices mal construits, le fruit d’une corruption éhontée. Le film, China’s Unnatural Disaster: The Tears of Sichuan Province, a été sélectionné pour un Oscar et a remporté un prix Emmy.

Ce n’est toutefois pas la corruption qu’il a vue, la souffrance des parents qu’il a ressentie ou l’odeur des corps en décomposition qui lui ont définitivement fait prendre ses distances avec le régime. Cet épisode est plutôt survenu dans un restaurant de haute cuisine française dans la tour Jin Mao, alors qu’il dînait dans une pièce privée donnant vue sur l’horizon de Shanghai.

Xia avait fait une escale à Shanghai pour visiter de vieux amis et étudiants avant son retour aux États-Unis. Alors que de belles hôtesses lui servaient des plats exquis et du vin dispendieux, ses collègues l’ont questionné sur son voyage au Sichuan. Il leur a expliqué ce qu’il avait vu.

Leur réponse était unanime : « Nous sommes persuadés que ce que tu as vu n’était pas la vraie Chine », raconte Xia. « La vraie Chine est ici, lorsque tu passes du temps avec nous. » Ils l’ont invité à revenir, même à accepter de nouveau un poste d’enseignement en Chine et ensuite « nous allons te montrer les vrais avantages du socialisme ».

L’aspect le plus étrange de cette expérience, outre l’immense contraste entre le dîner et ce qu’il avait vu au Sichuan, était « leur tentative de nier l’authenticité de ma réalité. J’ai trouvé cela très intéressant ».

Ses amis travaillaient au gouvernement ou en finance, dont un cadre en charge des investissements pour l’administration de Shanghai. Le désenchantement avec cette expérience fût un autre point tournant dans le périple intellectuel de Xia. « Si je dis ce que je veux, alors le prix est que je ne peux plus retourner en Chine. » Il a accepté ce destin.

Chapelets bouddhistes
Xia a peu à peu considéré son rôle d’intellectuel d’une manière beaucoup plus globale. Il ne s’agit pas seulement d’analyser la politique, mais bien de faire quelque chose pour pousser la Chine vers une plus grande liberté.

Une partie de ce cheminement consiste à se rebeller contre l’endoctrinement et le contrôle du Parti. Il a annoncé sa démission du Parti communiste en 2010 et il se rappelle avoir commencé à réfléchir profondément sur les influences subtiles de l’idéologie du Parti sur lui.

« Je crois vraiment que nous sommes tous les victimes du lavage de cerveau communiste. Comment pouvons-nous nous purifier? », se demande Xia. « J’ai passé 20 ans à essayer de nettoyer mes propres pensées. J’ai réalisé qu’il y avait tellement d’obscurité dans mon cœur. »

Des années d’introspection l’ont mené à une tentative échouée d’adopter la chrétienté. Il a ensuite commencé à lire les classiques du bouddhisme, comme le Sutra du cœur et le Sutra du lotus, et ceux de la philosophie traditionnelle chinoise, comme Confucius, Mencius et Mozi. Il a également développé une affinité pour le dalaï-lama, lisant ses livres et portant un chapelet bouddhiste sur son poignet.

« Tout cela m’a donné une nouvelle compréhension du monde. J’ai fait le choix de faire des choses qui sont en ligne avec certaines vérités universelles », explique Xia, à l’instar de l’approche holistique d’un érudit traditionnel et en contraste avec les technocrates qui dirigent souvent le régime ou les écoles chinois.

Xia est un régulier de Voice of America, une radio financée par les États-Unis, de même que sur New Tang Dynasty Television, un diffuseur avec une tendance dissidente. Il rédige des articles pour des publications prodémocratie et participe et anime régulièrement des débats avec d’autres universitaires qui ont dû s’exiler pour s’exprimer librement.

« Ceux qui connaissent Xia Ming ont vu son changement au cours des dernières années – certains amis sont même stupéfaits », a écrit Chen Kuide en 2011 pour la préface du livre de Xia Political Venus.

Comme Xia l’a écrit dans ce livre, « rien de ce que j’écris n’est que purement pour des raisons académiques – tout est dirigé aux grands événements qui se déroulent en Chine, afin d’influencer la politique chinoise, le progrès social et pour aider la Chine à être plus démocratique, juste et libre. Voilà ce à quoi je travaille. »

Version anglaise : The Choice of an Intellectual in China

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