Comment les Soulèvements de la Terre fédèrent une nouvelle écologie radicale et sociale

Course de caisses à savon sur la nationale lors d'un rassemblement à l'appel des Soulèvements de la Terre contre le projet d'autoroute A69 entre Castres et Toulouse, près de Soual (Tarn).
Photo: LIONEL BONAVENTURE/AFP via Getty Images
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Durée de lecture: 11 Min.
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À la suite de la manifestation violemment réprimée contre les méga-bassines à Sainte-Soline le 25 mars dernier, les Soulèvements de la Terre (ci-après les SdlT), collectif écologiste co-organisateur de l’évènement dans les Deux-Sèvres, s’est retrouvé sous les projecteurs médiatiques et politiques qui lui font vivre un véritable tournant.
Le rassemblement contre l’A69 dans le Tarn le week-end du 22-23 avril a rassemblé plus de 8000 personnes et une mobilisation similaire pourrait avoir lieu dans les environs de Rouen les 5 et 6 mai.
Malgré la menace de dissolution par le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin (qui n’a pour le moment pas donné suite), et les attaques récurrentes de la part de ses détracteurs, le mouvement semble rester fédérateur et continue à prendre de l’ampleur.
Dans le contexte de la mobilisation nationale en France contre la réforme des retraites et de la multiplication des luttes écologiques en Europe et dans le monde, les SdlT incarnent une nouvelle mobilisation des luttes écologistes et anticapitalistes radicales. De quoi est faite cette « terre qui se soulève » ?
Une histoire en train de se faire
La formation des SdlT en 2021 par des activistes issu·e·s de la Zone-à-Défendre (ZAD) de Notre-Dame-des-Landes n’est pas anodine. En effet, la ZAD marque un tournant dans l’histoire du mouvement écologiste français. Tout d’abord, parce qu’elle a été victorieuse à Notre-Dame-des-Landes et parce que son existence perdure.
Comme plusieurs personnes en témoignent, la ZAD a été une alliance entre des jeunes militant·e·s écologistes anticapitalistes et des paysan·nes locaux·les pour la défense d’un territoire et pour des formes de vie non marchandes et semi-marchandes. Ces alliances défensives et cette manière particulière de façonner le réel résonnent au sein des SdlT.
Un renouveau des luttes anticapitalistes et écologistes
Les SdlT s’inscrivent dans un renouveau des luttes anticapitalistes et écologistes qui a commencé avec Occupy (2009), Nuit debout (2016) ou encore les gilets jaunes (2019) et s’inspirant beaucoup des positionnements idéologiques Zapatistes. Ces luttes partagent trois points : ce sont des formes auto-organisées sans leaders officiel·le·s, elles recourent à l’occupation pour se réapproprier des lieux publics (places, ronds-points, territoires naturels) et elles sont anticapitalistes.

Wikimedia, CC BY-NC-ND
Un mouvement fédérateur et décentralisé
Les SdlT ne se désignent ni comme une association, ni comme un groupe constitué, mais comme un réseau anticapitaliste de luttes locales à la croisée de l’écologie et des questions sociales. En effet, bien que l’agro-industrie, l’accaparement des terres, l’artificialisation des sols et l’écologie sans transition soient visées, les SdlT considèrent que les questions écologiques et sociales ne font qu’une et sont interdépendantes. Ainsi, les luttes écologiques doivent s’arrimer à des solutions pour améliorer les conditions sociales des individus et inversement.

Instagram/Soulèvementsdelaterre
Parmi ces personnes, on trouve des figures politiques d’Europe Écologie Les Verts et de la LFI/Nupes. De plus, des personnalités connues se sont mobilisées pour s’opposer à la dissolution et soutenir le mouvement. Enfin, force est de constater l’appui inconditionnel de plusieurs intellectuel·le·s reconnu·e·s comme Naomi Klein, Alain Damasio, Andreas Malm ou Philippe Descola. Les SdlT apparaissent donc comme un réseau hyper fédérateur, ce qui contribue à son unicité.
Cette volonté décentralisatrice s’est concrétisée dernièrement avec l’appel à la création de comités locaux partout en France afin de prouver au gouvernement l’impossible dissolution d’un mouvement aux multiples ramures. Cet appel a d’ailleurs dépassé les frontières françaises et a été entendu en Belgique et en Suisse.
« Nous sommes le vivant qui se défend »
La deuxième dimension structurante du mouvement est la rhétorique des alliances vivantes qui se déploie à travers la structuration de la lutte en « saisons » et des slogans tels que « Nous ne défendons pas la nature, c’est la nature qui se défend », « Nous sommes le vivant qui se défend », « Nous sommes les soulèvements de la terre », ses déclinaisons sur le thème de l’eau ainsi que « Ce qui repousse partout ne peut être dissout ».
Inédite dans les mouvements sociaux bien que fortement inspirée par le mouvement zapatiste, cette rhétorique n’est pas sans lien avec une école de pensée théorique issue de plusieurs anthropologues. Des figures telles que Philippe Descola, Anna Tsing ou encore Tim Ingold ont montré comment la société capitaliste a imposé une séparation hiérarchique entre Nature et Culture, plaçant la Culture comme supérieure à la Nature qu’il faut domestiquer, maîtriser et s’approprier.
Une partition de stratégies de luttes diverses
Les SdlT élaborent aussi une panoplie de pratiques militantes qui reposent sur un postulat de base : la mobilisation doit modifier une situation.
Il ne s’agit plus de s’en tenir à des manifestations classiques, c’est-à-dire la traditionnelle marche d’un point A à un point B, mais de déployer des « manifestations impactantes » (ou manif’actions). Ces dernières peuvent prendre plusieurs formes : occupations, blocages, démantèlements, jeux. Toutes ces stratégies s’inspirent du « be water » ayant eu cours lors des manifestations à Hong Kong et des gilets jaunes c’est-à-dire le fait d’être imprévisibles, rapides et toujours en mouvement.
Une ingéniosité nouvelle
Étant donné ces trois dimensions structurantes, les SdlT semblent tendre vers un empouvoirement des luttes écologistes (cela étant d’ailleurs reconnu dans une note récente des renseignements français).
À la fois fédérateurs et décentralisés, donnant une place centrale aux territoires naturels et développant des stratégies de luttes diverses, les SdlT essaiment une multitude de soulèvements terrestres dont il deviendra difficile de suivre toutes les occurrences.
Du fait de ce devenir multiple, furtif et diffusé dans plusieurs lieux, les SdlT ont sûrement trouvé une nouvelle voie pour s’organiser contre « l’ordre républicain » tel que le nomme le philosophe du politique Jacques Rancière qui souligne la dépolitisation des enjeux de partage des ressources, la militarisation du maintien de l’ordre et le recours au passage en force législatif avec le 49.3.
Le mouvement veut en outre se réapproprier les territoires menacés de destruction et pour inclure dans la lutte un ensemble composite de classes sociales (allant des classes populaires aux classes bourgeoises). Ce faisant, il essaime une écologie radicale et sociale dont les futurs échos pourraient prendre une ampleur insoupçonnée.
Article écrit par Sophie Del Fa, Professeur information et communication, Université catholique de Louvain (UCLouvain)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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