États-Unis : stratégie de la forteresse

25 avril 2017 07:00 Mis à jour: 24 avril 2017 23:45

Sous l’impulsion de Donald Trump, le monde peut-il trouver une dynamique globale ou y aura-t-il une fragmentation des intérêts ? Début de réponse avec Philippe Moreau Defarges, spécialiste des questions européennes et de la mondialisation.

D’après vous, il y a deux solutions à la crise, soit celle-ci est maîtrisée et la gouvernance mondiale peut progresser, soit la crise persiste et la planète se fragmente en blocs hostiles. Comment analysez-vous la situation actuelle ?

Aujourd’hui, en 2017, nous voyons clairement que la mondialisation est en crise. L’économie mondiale peine à tirer les populations, avec des conséquences en termes d’inégalité, et le politique a du mal à s’adapter. Il y a un fossé entre la mondialisation des flux au sens large du terme et les politiques enracinées dans des États territoriaux.

Deux issues sont donc possibles – elles se sont déjà produites par le passé. Il y a eu une grande dynamique de mondialisation dans la seconde moitié du XIXe siècle jusqu’en 1914, puis la guerre et ses conséquences ont cassé le monde. Jusqu’à la chute de l’Union soviétique, la planète se partage alors en blocs dans ce que l’on appelle la « grande parenthèse » qui va de 1914 à 1991, avec un face à face Est-Ouest.

La question qui se pose aujourd’hui, c’est : compte tenu du degré d’intégration économique planétaire, du fait qu’il y a un système économique planétaire réel, est-il possible que se produise une nouvelle fragmentation ? On pourrait citer en référence les années 30, avec le bloc germanique, japonais, américain. À ceci près que par rapport au début du XXe siècle, la planète est devenue beaucoup plus petite et l’intégration économique est aujourd’hui beaucoup plus importante. Pour répondre à la question, les deux issues sont possibles.

Concernant la politique de Trump, ce n’est pas du tout une politique expansionniste ou de conquête du monde. C’est une politique de forteresse. Il veut enfermer les États-Unis, c’est le mur avec le Mexique, la remise en cause des accords des multinationales avec l’Europe. Trump est un homme de la fragmentation du monde. En tant que président des États-Unis, l’homme le plus puissant du monde veut une politique de fragmentation. Mais est-ce que le monde de demain ne va pas lui emboîter le pas ?

Quelles en seraient les conséquences ?

La fragmentation est synonyme de guerre, elle attire les conflits. Cela, pour deux raisons : les forteresses sont des enfers. Les gens sont enfermés derrière des murailles. Ils vivent dans un huis clos. Le moyen de sortir de cela, c’est l’agression vers l’extérieur. Deuxième raison : une forteresse finit par ne plus pouvoir se nourrir. Elle vit d’abord sur ses réserves, et une fois celles-ci épuisées, il faut une voie de sortie.

L’Amérique va-t-elle jouer un nouveau rôle dans la construction mondiale ?

Les États-Unis assument des responsabilités. Il y a eu des nuances dans les administrations, mais globalement, jusqu’à Bush Junior, l’Amérique s’est dite responsable de l’ordre mondial. À ce moment, leurs intérêts s’identifient avec un ordre planétaire, plus ou moins pacifique, qu’ils surveillent et dans lequel ils interviennent. Or, aujourd’hui, ce n’est pas cette configuration. Dans le cas de Trump, il y a une contradiction, celui-ci dit : « Les États-Unis n’ont plus à subir les responsabilités, ou alors celles-ci sont conditionnelles. Il faut que vous payiez si vous voulez que l’on intervienne ». C’est une politique différente.

Ce qui est intéressant, c’est que Trump augmente massivement le budget de la Défense. Cependant, il ne le fait pas dans une logique d’intervention extérieure, mais de forteresse.

« D’un côté, Trump espère opérer ce repli sur le sol américain, mais en même temps, il dit vouloir détruire Daesh, protéger Israël… Il y a une contradiction ! »

Mais est-ce que les États-Unis peuvent être une forteresse et ignorer les désordres du monde ? Voilà la vraie question. Ils ne le peuvent probablement pas, car s’ils optent pour ce choix, cela va de pair avec un démantèlement, les multinationales américaines seront obligées de se retirer sur le territoire américain. C’est un phénomène de repli formidable et extrêmement lourd. Cependant, d’un côté Trump espère opérer ce repli sur le sol américain, mais en même temps, il dit vouloir détruire Daesh, protéger Israël… là il y a une contradiction !

D’après vous, les États sont un peu schizophrènes entre leurs besoins d’ouverture et leur imperméabilité. Est-ce une autre contradiction ?

L’État se définit par un ancrage territorial, une identité qui s’incarne dans un territoire. Celui-ci peut varier par les guerres de conquête, ou disparaître, mais grosso modo, dans un monde en paix, chaque État a une identité territoriale précise et ne peut en sortir. Par exemple, le Royaume-Uni est en train de quitter l’UE, il peut le faire. Mais ce qu’il ne peut pas faire, et c’est embêtant pour lui d’ailleurs, c’est de transporter les Îles britanniques au large du New Jersey. De son côté, la France voudrait peut-être être une île, mais non ! Donc l’État, si vous voulez, est à la fois une entité territoriale, cela représente une force, une légitimité, mais aussi un handicap.

Or, face à lui, tous les autres acteurs, vous-même, les individus, les entreprises, même des mouvements comme Al Qaïda, sont nomades. Ils se déplacent. Aujourd’hui, les plus doués, les plus riches disent : « En France, on paye trop d’impôts, la France est très chère. Ils sont nomades, ils emmènent leur fortune, ils vont ailleurs ».

Cela ne répond pas tout à fait à votre question, mais le problème de l’État, c’est qu’il est ancré dans ce territoire, il a besoin que ce territoire vive, qu’il soit prospère. Or, il ne peut continuer à prospérer que s’il est ouvert sur le monde. Prenez un exemple, en France, l’un des facteurs de richesse est le tourisme. Si la France veut accueillir des touristes chinois ou d’autres nationalités, elle doit être ouverte. Sinon, les touristes vont aller ailleurs. L’impératif de prospérité de l’État et du développement économique a pour principe l’ouverture. Mais la contradiction est que l’État doit garder le contrôle de son territoire.

Donc comment trouver le bon compromis entre la nécessité économique d’ouverture et de l’autre côté, l’impératif pour des raisons de sécurité ou même de solidarité de contrôle des territoires.

Elle est extrêmement vive aujourd’hui car le besoin d’ouverture est beaucoup plus fort pour des raisons économiques. Cette pression est beaucoup plus forte parce que les individus et les entreprises sont beaucoup plus mobiles qu’avant. L’État est devant cette contradiction extraordinaire, d’un côté un impératif d’ouverture mais en même temps un devoir de contrôle.

Il y a un sentiment d’impuissance des États – croissance molle, dette publique… sont-ils affaiblis ?

C’est variable d’un État à un autre, mais cela concerne tous les États. Je ne parle pas de la construction européenne, je ne parle ici que des facteurs généraux s’appliquant à tous les États. Pourquoi cet affaiblissement ? Parce que les acteurs non étatiques, entreprises et individus ont d’abord un plus grand appétit de mobilité qui s’accompagne d’une plus grande capacité. Une entreprise, aujourd’hui, peut très bien dire « le territoire français est trop coûteux pour nous, on va s’installer à Hong Kong ». Les leviers de mobilité économiques sont beaucoup plus forts. Le deuxième élément est politique : le lien entre l’État et les individus, la loyauté, a considérablement diminué. Le lien classique entre l’individu et l’État, c’est d’un côté l’État qui dit : je suis là pour te protéger, assurer ta sécurité et te protéger contre l’envahisseur, mais toi, individu, tu as des devoirs, par exemple le service militaire obligatoire. Ce sont des codes sociétaux qui donnent cet esprit patriotique, et l’institution du service militaire obligatoire. Les codes rencontrent aujourd’hui des difficultés, et le service obligatoire a aujourd’hui disparu dans beaucoup d’États, sauf en Israël ou en Suède. Il y a des exceptions.

Il y a donc un affaiblissement, un rapport de force entre les États, les entités sédentaires et les acteurs mobiles, ce qui est malgré tout plus favorable au nomade qu’à l’enraciné. 

 

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