Quand poster des photos en ligne devient notre vie

Par Nancy Colier
9 juin 2021 18:41 Mis à jour: 2 mai 2023 20:21

Essayer de vous mettre en valeur sur les médias sociaux vous a-t-il fait oublier ce que vous valez ?

Lors d’une récente visite au musée d’Art moderne avec une amie et sa fille, j’ai été frappée par le nombre de fois où la fille de mon amie, âgée de 13 ans, nous a demandé de la prendre en photo devant les œuvres d’art.

La tête inclinée, elle contemplait les pièces, dont elle postait ensuite fébrilement les photos sur Instagram, Snapchat et tout le reste. Elle n’était pas la seule personne jeune (ou plus âgée) à faire cela ; il semblait que tout le monde fût occupé à prendre des photos d’eux-mêmes en train de « ressentir » le musée.

Il ne s’agit en aucun cas d’une critique de la fille de mon amie (ou de quiconque). Ce qui est inquiétant, du moins pour moi, c’est qu’entre le moment où elle a été photographiée et celui où elle a posté sa photo, la fille de mon amie ne s’est pas intéressée à l’œuvre d’art. Ce fait ne semblait pas avoir d’importance ou avoir un rapport avec le fait de s’afficher comme une personne appréciant l’expérience.

« Ce qui était inquiétant, du moins pour moi, c’est qu’entre le moment où elle a été photographiée et celui où elle a posté, la fille de mon amie ne s’est pas intéressée à l’œuvre d’art. »

La seule fois où elle regardait l’œuvre, en fait, c’est lorsque nous l’avons photographiée en train de la regarder. Et même là, elle regardait surtout dans la direction de l’œuvre d’art, avec un regard léger qui ne semblait pas prendre en compte l’œuvre elle-même. Lorsque je lui ai demandé pourquoi elle voulait mettre des photos d’elle dans le musée alors qu’elle n’appréciait manifestement pas d’être là, elle a souri, haussée les épaules et m’a demandé de prendre une autre photo.

À son âge, je n’avais pas non plus envie d’aller dans les musées, et quand on m’y traînait, j’avais hâte de sortir du bâtiment. Ne pas s’intéresser à l’art est tout à fait normal et n’a rien de dérangeant. Mais ce qui est inquiétant, c’est la quantité d’énergie qu’un jeune consacre aujourd’hui à créer une image de la vie qu’il mène et du personnage qu’il joue dans cette vie.

Fausse identité 

Si la création d’une image de soi a toujours joué un rôle important dans la croissance et la définition de notre identité, les médias sociaux semblent avoir changé les règles du jeu. Les médias sociaux n’ont pas seulement intensifié la pression et la possibilité de créer une image de soi, ils ont également déformé le processus par lequel nous devenons ce que nous sommes.

Les jeunes semblent désormais créer une image de ce qu’ils sont au lieu de devenir ce qu’ils sont, en affichant leur vie au lieu de la vivre. Les efforts déployés pour créer une identité et la faire remarquer ou « être suivi » ont remplacé les efforts déployés pour s’intéresser à la vie qu’ils affichent.

Les médias sociaux ont transformé la vie et ses expériences en un exercice de narcissisme. Quel que soit le sujet de l’expérience, il s’agit de vous, de la personne qui la vit. Un concert n’est pas une question de musique, un restaurant n’est pas une question de nourriture, un événement sportif n’est pas une question de sport ; tout tourne autour de vous, celui qui le fait, et de ce que l’événement dit de vous.

« Les expériences de la vie ne sont pas vécues directement, mais elles sont utilisées comme des occasions d’afficher quel genre de personne vous êtes. »

Pour ceux qui lient étroitement leur identité à leur flux de médias sociaux, les expériences de vie ne sont pas vécues directement, mais plutôt utilisées comme des occasions d’annoncer quel type de personne ils sont. La vie est désormais un produit permettant de promouvoir son image, sans que l’on se préoccupe vraiment de savoir si cette image reflète fidèlement ce que l’on est.

Cette relation avec les médias sociaux est l’une des façons les plus inquiétantes dont nous évoluons face aux nouvelles technologies. Pour un trop grand nombre d’entre nous, il semble que nos expériences n’aient désormais de sens que lorsqu’elles disent quelque chose sur nous. Et c’est une arme à double tranchant : plus nous nous sentons séparés et déconnectés de nos vies, plus le sens est difficile à trouver.

Plus nous utilisons la vie pour créer une identité, plus nous nous sentons coupés de la vie. Au lieu d’en faire partie, dans le flux de la vie, nous avons l’impression de devoir générer sans cesse de nouveaux « matériaux de vie », qui nous annonceront, nous établiront et, finalement, prouveront notre existence. Pendant ce temps, le gouffre entre nous et la vie se creuse de plus en plus.

Voici une invitation : la prochaine fois que vous serez enclin à publier votre histoire, arrêtez-vous un instant et faites plutôt l’expérience de l’endroit où vous vous trouvez. Ressentez ce que cela fait de vivre sans rien en faire. Soyez simplement vous, sans commentaire. Même si vous avez l’impression que cela pourrait vous faire rater une occasion d’établir votre valeur, en fait, les avantages que cela peut offrir à votre véritable moi dépasseront de loin toute perte occasionnée.

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