L’amour, dans la maladie et la santé, jaillit des « Flora » de Rembrandt

Par Lorraine Ferrier
6 mai 2023 11:00 Mis à jour: 6 mai 2023 11:00

Rembrandt a esquissé, dessiné et peint sa femme bien-aimée, Saskia, tout au long de leur mariage, dans la maladie comme dans la santé, jusqu’à ce que la mort les séparât. Il l’a représentée de toutes les manières possibles. Dans ses œuvres, nous voyons Saskia la femme, l’épouse, la mère et la muse. Nous la voyons ébouriffée au réveil, riant avec son mari, ainsi qu’en majestueuse Minerve, l’ancienne déesse romaine de la sagesse, pour n’en citer que quelques-unes.

Les trois tableaux de Rembrandt représentant Saskia en Flora, l’ancienne déesse romaine du printemps et de la fertilité, reflètent les saisons du mariage de Rembrandt et le caractère éphémère de la vie – des premiers bourgeons de leur lune de miel à sa grossesse épanouie jusqu’à sa mort prématurée.

Cet ensemble de peintures de Flora montrent également comment Rembrandt a utilisé dans son art des éléments de l’Antiquité grecque et romaine, ainsi que de la Renaissance italienne. À la Renaissance nordique et italienne, les artistes aimaient créer des œuvres utilisant des dieux, des déesses et des créatures mythologiques de l’Antiquité.

N’ayant jamais voyagé en Italie, Rembrandt s’est inspiré des œuvres d’artistes de la Renaissance nordique qui avaient connu la péninsule italienne, comme Anthony van Dyck, Peter Paul Rubens et le peintre d’histoire Pieter Lastman, qui a été son compagnon d’étude à Amsterdam vers 1624. Rembrandt a également eu accès à des œuvres d’art de la Renaissance italienne à Amsterdam, comme le tableau de Flora de Titien qui appartenait à l’ambassadeur d’Espagne, Alfonso Lopez.

Flora, vers 1515, par Titien. Huile sur toile ; 79 × 63 cm. Galerie des Offices, Florence, Italie. (Domaine public)

L’amour naissant

En 1633, Saskia rencontre Rembrandt à Amsterdam alors qu’elle rend visite à son cousin, Hendrick van Uylenburgh, marchand d’art de Rembrandt.

Rembrandt réalise son premier croquis de Saskia à la pointe d’argent, quelques jours après leurs fiançailles. C’est une œuvre délicate et charmante, pleine d’amour. Elle porte un chapeau à larges bords et esquisse un sourire timide, tout en tenant une fleur, peut-être une rose, que Rembrandt vient de lui offrir. Sous le croquis, Rembrandt a écrit : « Ceci est un portrait de ma femme, dessiné lorsqu’elle avait 21 ans, le troisième jour de nos fiançailles. 8 juin 1633. »

Portrait de Saskia en mariée, 1633, par Rembrandt Harmenszoon van Rijn. Pointe d’argent sur parchemin blanc ; 18,5 × 10,6 cm. Musée national de Berlin. (Domaine public)

Le couple se marie le 22 juin 1634 et, cette même année, Rembrandt peint pour la première fois Saskia sous les traits de Flora.

Flora, 1634, par Rembrandt. Huile sur toile ; 125 × 101 cm. Musée national de l’Ermitage, Saint-Pétersbourg, Russie. (Domaine public)

Rembrandt a représenté Saskia de profil, en grandeur nature et de trois-quarts, vêtue d’une volumineuse robe de soie et de satin brodée d’argent. Elle ressemble à une jeune fille innocente et un peu timide. Elle tourne la tête vers le spectateur, donnant l’impression d’avoir été dérangée. Elle tient un bâton couvert de feuillage et porte une couronne de fleurs, dont une tulipe « cassée ». Les artistes aimaient peindre des « tulipes cassées » aux pétales fendus et aux marques striées.

Rembrandt connaissait peut-être les travaux du physicien et botaniste flamand Carolus Clusius, qui a été le premier à découvrir que ces marques étaient causées par un virus. Clusius savait que si les tulipes changeaient de couleur naturelle, elles ne vivraient probablement pas longtemps. Il a déclaré qu’une telle fleur n’existait « que pour ravir les yeux de son maître avant de mourir, comme pour lui dire un dernier adieu ».

Sa robe volumineuse et sa couronne florale rappellent une ancienne statue impériale romaine de Flora, qui se trouve dans les musées du Capitole à Rome. Mais au lieu d’une corne d’abondance de fleurs, Rembrandt a peint Saskia tenant son manteau à la main.

Flora. Réplique d’une sculpture antique en marbre, conservée au musée du Capitole à Rome. Les fleurs que la déesse tient passent pour avoir été un rajout du XVIIIe siècle. Musée du Capitole, Rome. (Yair Haklai/CC SA-BY 4.0)

Un an après leur mariage, en 1635, Rembrandt peint à nouveau Saskia sous les traits de Flora dans le tableau désormais intitulé Saskia van Uylenburgh en costume d’Arcadie (en bergère). Cette fois, les cheveux roux de Saskia ondulent autour de ses épaules et, en place de la jeune mariée pensive que nous voyons dans son premier tableau de Flora, cette Saskia semble confiante. Elle regarde vers la droite du tableau, comme si elle regardait directement son mari pendant qu’il peint.

Saskia van Uylenburgh en costume arcadien, 1635, par Rembrandt. Huile sur toile ; 123.5 x 97.5 cm. National Gallery, Londres. (Domaine public)

Sa gestuelle à bras ouverts reflète étroitement la pose de la statue antique de Flora mentionnée précédemment, tout comme la corne d’abondance de fleurs qu’elle tient à présent.

Rembrandt a peint les fleurs selon la mode de l’époque, au plus fort de la « manie des tulipes », alors qu’un bulbe de tulipe pouvait coûter aussi cher qu’une maison du canal d’Amsterdam. Margaret Fairbanks Marcus, dans Period Flower Arrangement, écrit que « Au milieu du siècle, la composition baroque caractéristique avait évolué : les fleurs massives suivaient une volute ou une courbe en S, avec un tourbillon de feuillage balayé par le vent. … L’ambiance du baroque est dynamique et audacieuse. Une telle abondance luxuriante n’a jamais été vue auparavant ou depuis dans l’art occidental ».

Rembrandt reflète cette composition florale dans la corne d’abondance de Flora, qui reflète également le nouveau genre de la nature morte de fleurs. « Il ne doit pas y avoir aucun endroit calme, mais un mouvement exaltant de tiges arquées, de fleurs qui s’inclinent et de pétales qui s’enroulent. L’effet final ne doit être ni rigide ni groupé, mais volumineux et gracieux », ajoute Margaret Fairbanks Marcus. Rembrandt a inclus des tulipes, des roses, des primevères et des roses minuscules dans le bouquet de Saskia, même si certaines de ces fleurs fleurissent naturellement à différentes saisons. La représentation de fleurs de différentes saisons et des étapes de la vie est un thème commun aux peintures hollandaises de Vanités – un genre qui met l’accent sur le caractère éphémère de la vie.

Rembrandt peint une telle abondance de fleurs pour rappeler aux spectateurs que Flora est la déesse de la fertilité, ce qui est particulièrement significatif pour Saskia, qui incarne ici Flora et se repose sur son bâton. Son ventre arrondi et sa poitrine généreuse montrent qu’elle est enceinte de leur premier enfant.

Le couple a eu quatre enfants, dont un seul a malheureusement dépassé l’âge de l’enfance.

L’adieu à Flora

Rembrandt a peint Saskia sous les traits de Flora pour la dernière fois en 1641. Ce tableau, Saskia à la fleur rouge, diffère des deux précédents. Il a utilisé ses rouges riches et ses marrons emblématiques pour créer un portrait à la fois attachant et sombre. Il n’y a pas d’explosion de couleurs célébrant le mariage ou annonçant une naissance imminente. Ce portrait marque le dernier souffle de Saskia, commémorant sa vie et leur mariage. Elle est pâle et fatiguée – de petits cercles encadrent ses yeux. Elle place sa main gauche sur son cœur, fait face au spectateur et lui offre une fleur de la main.

Saskia à la fleur rouge, 1641, par Rembrandt. Huile sur chêne ; 82.5 x 98.5 cm. Galerie d’images des maîtres anciens, collection d’art de l’État de Dresde. (Domaine public)

La douceur de l’esquisse des fiançailles de Rembrandt résonne à travers cette peinture ; il n’y a également qu’une seule fleur. Mais ce n’est pas le début de leur vie commune : Saskia est décédée avant d’avoir atteint l’âge de 30 ans, des suites de la tuberculose et de complications liées à un accouchement quelques mois plus tôt. Saskia et Rembrandt ont vécu sept années d’un mariage heureux, à l’apogée de la gloire de l’artiste. Saskia à la fleur rouge est l’adieu de Saskia, et l’adieu de Rembrandt à son épouse bien-aimée.

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