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L’Hudson River School : des âmes sœurs dans la vie et dans l’art

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Détail de "Kindred Spirits" (Les âmes sœurs), 1849, par Asher Brown Durand. Huile sur toile. Crystal Bridges Museum of American Art, Arkansas. Les amis Thomas Cole et William Cullen Bryant se remémorent les paysages de la vallée du fleuve Hudson.

Photo: Domaine public

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Durée de lecture: 12 Min.

La vallée du fleuve Hudson, dans l’État de New York, est l’une des régions les plus pittoresques d’Amérique, avec ses vues spectaculaires de collines, de montagnes, d’escarpements et d’étendues d’eau. Au XIXe siècle, sa beauté naturelle a inspiré un mouvement artistique connu sous le nom de Hudson River School (école Hudson River). Ses élèves ont peint des paysages, créant les premières œuvres significatives de ce genre dans l’histoire de l’art américain.
Le Britannique Thomas Cole (1801-1848), considéré comme le « fondateur » de l’école, a inspiré les artistes contemporains ainsi que les générations suivantes à prendre leur pinceau pour capturer le paysage unique de l’Amérique. Il a encouragé l’élévation de ce genre en incorporant le symbolisme et les sujets bibliques, historiques et littéraires.

A View of the Two Lakes and Mountain House, Catskill Mountains, Morning (Vue des deux lacs et de la maison de la montagne, Montagnes Catskill, Matinée), 1844, par Thomas Cole. Huile sur toile ; 91 x 137 cm. Musée de Brooklyn, New York. (Domaine public)

Le premier voyage de Thomas Cole à Catskill, dans l’État de New York, un tournant décisif dans l’art américain, a eu lieu au cours de l’été 1825, à savoir que 2025 est le 200e anniversaire de ce voyage. Les peintures que l’artiste a réalisées de la région ont lancé sa carrière ainsi que le mouvement artistique de l’Hudson River School. Après la mort prématurée de Thomas Cole, son ami Asher Brown Durand a repris le flambeau.
Porter le flambeau

(À g.) Autoportrait, vers 1835, par Asher Brown Durand. Huile sur toile ; 76 x 63 cm. National Academy of Design, New York. (À dr.) Portrait de Thomas Cole, 1837, par Asher Brown Durand. Huile sur toile. Musée du Berkshire, Pittsfield, Massachusetts. (Domaine public)

Asher Brown Durand (1796-1886) avait été un graveur et un portraitiste à succès avant d’être encouragé par Thomas Cole à peindre des paysages. Le chef-d’œuvre de M. Durand, et l’une des quintessences de l’école de l’Hudson River, est l’huile sur toile de 1849 intitulée Kindred Spirits (Les âmes sœurs). Ce tableau résume les principes du mouvement artistique. C’est également un hommage au défunt Thomas Cole et à leur ami commun William Cullen Bryant (1794-1878), le célèbre poète naturaliste et éditeur de journaux.
Les trois hommes ont collaboré à des projets artistiques et littéraires publiés, partant ensemble en excursion en plaine nature le long de la côte est, y compris dans les Catskills. Après la mort de Thomas Cole, l’amitié entre Asher Brown Durand et William Cullen Bryant se poursuit. En 1850, M. Durand peint une toile inspirée du plus célèbre poème de M. Bryant, intitulé Thanatopsis, un poème qui avait lancé sa carrière littéraire.

Scène de paysage tirée de ‘Thanatopsis’, 1850, par Asher Brown Durand. Huile sur toile ; 99 x 155 cm. The Metropolitan Museum of Art, New York. (Domaine public)

Le tableau élogieux d’Asher Brown Durand
L’impulsion qui a poussé M. Durand à peindre Kindred Spirits était une commande de l’éminent collectionneur et marchand d’art new-yorkais, Jonathan Sturges. La consigne était de représenter Thomas Cole et William Cullen Bryant comme des « âmes sœurs », ainsi que le décrit le poète anglais John Keats dans son Sonnet à la solitude.

Ô Solitude ! si je dois habiter avec toi,
Que ce ne soit pas dans l’amas pêle-mêle
De bâtiments obscurs : grimpe avec moi les pentes abruptes,
L’observatoire de la nature, où le vallon,
Dans les pentes fleuries, la houle cristalline de sa rivière,
Peut sembler une étendue ; laisse-moi garder tes veilles
Parmi les rameaux pavoisés, où le bond rapide du cerf
Fait sursauter l’abeille sauvage de la Digitale pourpre.
Mais bien que je sois heureux de retracer ces scènes avec toi,
La douce conversation d’un esprit innocent,
Dont les mots sont des images de pensées raffinées,
C’est le plaisir de mon âme ; et c’est certainement
Presque la plus grande félicité de l’humanité,
Quand deux esprits semblables fuient vers tes lieux de prédilection.
(Traduction libre)

Kindred Spirits, 1849, par Asher Brown Durand. Huile sur toile ; 116 x 92 cm. Crystal Bridges Museum of American Art, Arkansas. Les amis Thomas Cole et William Cullen Bryant se remémorent les paysages de la vallée de la rivière Hudson. (Domaine public)

Cette œuvre témoigne de l’habileté d’Asher Brown Durand à réaliser à la fois des paysages et des portraits. L’artiste représente Thomas Cole et William Cullen Bryant debout sur un affleurement rocheux, entourés d’un paysage époustouflant. Thomas Cole est l’homme à droite. Il tient un portfolio et une flûte à bec, une référence à l’appréciation commune de M. Durand et de Thomas Cole pour la musique. Même si le grand public aurait reconnu les deux personnages, puisqu’ils faisaient partie des artistes les plus connus de leur époque, les noms de Thomas Cole et de William Cullen Bryant sont inscrits sur l’un des troncs d’arbre à gauche.
Intégrer le style de Thomas Cole

Kaaterskill Falls (Les Chutes de Kaaterskill), 1826, par Thomas Cole. Huile sur toile ; 25 x 36 cm. Musée d’art Wadsworth Atheneum, Hartford, Connecticut. (Domaine public)

Le cadre de Kindred Spirits joint le lieu de naissance de l’Hudson River School, Kaaterskill Clove – l’une des gorges des Catskill Mountains – ainsi que Kaaterskill Falls, la plus haute cascade de l’État de New York, qui était populaire auprès du public et des artistes. L’inclusion de ces deux éléments par M. Durand est incorrecte d’un point de vue géographique. Prendre des libertés avec le naturalisme n’était pas le style typique de cet artiste, qui prônait un réalisme botanique très détaillé. Dans ce tableau, il incorpore la grande idéalisation du paysage de Thomas Cole.
Asher Brown Durand fait aussi référence au tableau de Thomas Cole intitulé Expulsion from the Garden of Eden (Expulsion du jardin d’Eden) par la position similaire des personnages, l’inclusion d’un ruisseau dans un lit rocheux et l’emplacement des falaises.

Expulsion From the Garden of Eden, 1828, par Thomas Cole. Huile sur toile ; 101 x 137 cm. Musée des Beaux-Arts de Boston. (Domaine public)

Avant Kindred Spirits, les paysages de M. Durand étaient horizontaux et panoramiques. Pourtant, dans ce tableau, il explore une composition circulaire, façonnant des troncs d’arbres, des branches (également connues sous le nom de ‘boughs’, terme utilisé dans le poème de John Keats) et d’autres éléments de l’environnement pour créer cette configuration sur une toile verticale. L’arbre abattu, visible au premier plan, est un symbole utilisé par Thomas Cole. Dans cette œuvre d’art, il signifie peut-être comment la vie de Thomas Cole a été interrompue. La présentation de William Cullen Bryant par M. Durand, chapeau à la main, peut être interprétée comme un hommage du poète à son ami décédé. L’aigle volant visible à l’arrière-plan pourrait indiquer que l’esprit de Thomas Cole a quitté son corps.
M. Sturges avait offert Kindred Spirits à William Cullen Bryant pour le remercier d’avoir prononcé l’éloge funèbre de Thomas Cole lors du service commémoratif organisé à la New York Drawing Association (qui deviendra plus tard la National Academy of Design). Cette institution avait été cofondée par un groupe d’artistes dont Thomas Cole et Asher Brown Durand faisaient partie. Julia, la fille de William Cullen Bryant, a fait don du tableau à la New York Public Library au début de l’année 1904, et l’œuvre est restée dans la collection de la NYPL pendant un peu plus de 100 ans.
En 2005, la NYPL a annoncé qu’elle mettait le tableau en vente pour financer une dotation permanente. Cette décision a suscité une vive controverse, car les critiques acclamaient le tableau comme un trésor qui devait rester exposé au public et demeurer à New York, étant donné qu’il incarne l’histoire culturelle de l’État. Le projet a été mis en œuvre et le tableau a été vendu en mai de la même année chez Sotheby’s dans le cadre d’une vente aux enchères scellées. Il a été acheté par Alice Walton, héritière de Walmart, pour l’équivalent d’environ 30 millions d’euros, battant ainsi le record du prix de vente aux enchères d’un tableau américain.
Kindred Spirits a quitté New York pour Bentonville, Arkansas, une ville nichée dans la magnifique région des montagnes Ozark et la ville natale de Walmart. La destination finale n’était pas la résidence privée d’Alice Walton, mais un musée. C’était le cadeau de Mme Walton à la communauté et au grand public : un musée de classe mondiale conçu par le célèbre architecte Moshe Safdie, dont l’entrée est gratuite et qui présente une collection complète d’art colonial et contemporain.
Le Crystal Bridges Museum of American Art a ouvert ses portes en 2011 avec pour pièce maîtresse Kindred Spirits. Le musée est un lieu privilégié pour observer et contempler le divin dans la nature. Il n’y a pas de meilleure cristallisation de cette connexion dans l’art que le chef-d’œuvre par excellence d’Asher Brown Durand de l’école de la Hudson River.
Michelle Plastrik est conseillère en art et vit à New York. Elle écrit sur un grand nombre de sujets, dont l'histoire de l'art, le marché de l'art, les musées, les foires d'art et les expositions spéciales.

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