Taxe carbone sur les engrais : vers une envolée du prix du pain en France
À partir du 1er janvier 2026, la taxe carbone européenne aux frontières sur les engrais pourrait renchérir le coût de production du blé et, à terme, celui du pain et d’autres produits alimentaires. Le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF) place au cœur du débat la transition climatique, la compétitivité agricole et le pouvoir d’achat.

Photo: VALENTINE CHAPUIS/AFP via Getty Images
Le MACF est conçu pour aligner le coût carbone des engrais importés sur celui supporté par les producteurs européens soumis au marché du carbone de l’Union européenne. Selon Cerfrance, les importateurs devront acheter des certificats MACF correspondant aux émissions de gaz à effet de serre des fertilisants azotés, comme l’urée ou les solutions azotées. L’objectif affiché est de limiter les « fuites de carbone » et de « rééquilibrer la concurrence » entre l’industrie européenne et ses concurrents hors UE.
Les engrais jouent un rôle central dans les rendements agricoles européens, en particulier pour les grandes cultures comme le blé. Le Point rappelle que « la moitié des rendements des « grandes cultures » (céréales et oléoprotéagineux) dépendent des fertilisants » et que la France importe 43 % de ses besoins. Cette dépendance rend la filière céréalière particulièrement exposée à toute hausse du coût des intrants azotés.
Des engrais plus chers, des rendements sous pression
La mise en œuvre pleine et entière du MACF en 2026 doit faire grimper le prix des engrais importés. L’économiste Quentin Mathieu, interrogé par Le Point, évoque une hausse attendue « a minima de 15 % à 20 % » du prix des engrais, alors que les modalités exactes de calcul de la taxe restent encore floues.
Cette tension sur les coûts incite déjà certains céréaliers à adapter leurs choix culturaux. Des agriculteurs, notamment dans le sud de la France, renoncent à semer du blé et préfèrent laisser leurs terres en friche plutôt que de risquer de vendre à perte, faute de visibilité sur le prix final des engrais et des céréales.
Du champ au prix du pain
L’augmentation du coût des fertilisants se répercute mécaniquement sur les coûts de production de la tonne de blé. Pour Cédric Benoît, représentant des céréaliers européens, « l’urée se négocie autour de 500 à 600 €/t, et la seule taxe MACF pourrait ajouter 40 à 140 €/t selon les origines ». Il estime qu’à la fin, « la tonne de blé dur […] produite en Europe présenterait un surcoût d’une vingtaine d’euros, et dix euros pour le blé tendre », ce qui remettrait en cause la compétitivité des céréales européennes.
Économie Matin insiste sur la transmission de ces hausses à l’ensemble de la chaîne alimentaire. Les coûts supplémentaires pesant sur les exploitations céréalières se répercutent ensuite sur les transformateurs, les distributeurs, puis les consommateurs, en particulier sur des produits de base comme la farine et le pain. Cette logique de cascade alimente les craintes d’une tension supplémentaire sur le pouvoir d’achat.
Une mesure climatique aux effets contradictoires
Officiellement, le MACF vise à lutter contre les « fuites de carbone » en évitant que la production industrielle ne se délocalise vers des pays où les émissions ne sont pas ou peu taxées. Cerfrance rappelle que le mécanisme doit encourager des pratiques plus vertueuses et, à terme, favoriser les fertilisants produits en Europe, jugés globalement moins émetteurs que ceux issus de certains pays tiers. Certains y voient un possible « levier de valorisation » pour les productions européennes les moins émettrices.
Mais les articles soulignent une série de contradictions. Le dispositif est jugé « mal préparé », avec des outils de calcul incomplets, l’absence d’organismes de vérification pour les engrais et le recours à des « valeurs par défaut » contestées pour mesurer l’empreinte carbone par pays, selon Le Point. Dans ce contexte, les importateurs ne savent pas précisément combien ils auront à payer, alors que le prix du carbone peut varier fortement.
Il existe un décalage entre l’ambition climatique et l’absence de « mécanisme de compensation directe pour les agriculteurs », pointe Économie Matin. La taxe, pensée pour l’industrie, se répercute « directement sur l’agriculture, sans filet de sécurité clair ». Cerfrance met en avant le risque que les consommateurs se tournent vers des produits importés moins chers mais à « empreinte carbone plus élevée », si la production européenne devient trop coûteuse.
Souveraineté alimentaire et risque de dépendance accrue
Derrière le débat technique sur le MACF se jouent aussi des enjeux de souveraineté alimentaire. Le Point rapporte l’inquiétude d’Irène Tolleret, ancienne eurodéputée Renew et agricultrice, qui redoute que si « la farine européenne devient trop chère, les transformateurs vont tout simplement l’importer d’ailleurs ». Elle y voit un risque d’accélérer « nos pertes de production, nos dépendances, notre désindustrialisation ».
Autre contradiction : la taxe ne s’applique qu’aux engrais, pas aux productions agricoles ni aux produits transformés. Cela pourrait encourager l’importation de farine ou de produits finis fabriqués hors MACF avec des engrais plus carbonés, tandis que des terres européennes resteraient en friche. Cette situation alimente la crainte que la mesure, censée verdir l’économie, fragilise au contraire la production européenne de céréales et la sécurité alimentaire.
Le MACF interroge la cohérence des politiques européennes entre transition écologique, compétitivité agricole et prix alimentaires, selon Économie Matin. Sans « mécanisme correcteur robuste » ni redistribution clairement fléchée vers l’agriculture, le dispositif risque de créer « plus de tensions qu’il n’apporte de solutions », en ciblant un maillon central de la chaîne : les engrais, donc le blé, donc le pain.
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